Reprise d’un article de février, pour analyser la question des manifs et assimilées face à un régime autoritaire surarmé.
Les nombreuses brutalités policières (et aussi ce qui va avec : les violences merdiatiques, les mépris et mensonges des oligarques, la « Justice » de classe, etc.) démontrent que le décor “démocratique” sert à masquer la tyrannie et la démocrature au service du capitalisme totalitaire. Le voile de jolie communication et de propagande officielle est déchiré par les morts et les mutilés par la police aux ordres du régime. N’oublions pas que dans les quartiers populaires, ce voile est déchiré depuis longtemps...
Mais la brutalité de la répression ne laisse personne indemne.
Même quand on est « prévenu », qu’on ne se fait pas d’illusions sur le système en place, et qu’on n’a pas subit directement des brutalités policières, on est choqué, on peut être un peu sidéré, être pris part une angoisse sourde mêlée à de la rage et de la colère sans fin.
Attention, sur un plan médiatique comme tactique, à ne pas se faire piéger par le théâtre de la répression policière et des réactions qu’elle provoque.
La barbarie policière En Marche (ainsi que le jusqu’au boutisme extrémiste du régime) qui impose un niveau élevé de contestation en réponse ne sert pas seulement à faire peur, à dissuader de se révolter, à institutionnaliser un terrorisme d’Etat, elle sert aussi à occuper le champ médiatique et les imaginaires, afin que la révolte ne déborde pas vers d’autres objectifs, d’autres cadres, et d’autres méthodes d’action. D’autant que c’est le régime et ses milliardaires qui décident très largement de quel sera le focus merdiatique du moment.
Les gilets jaunes et autres dissidents se retrouvent alors très souvent réduits à chercher des fenêtres hors des nasses, à résister tant bien que mal aux assauts des flics et de leurs armes de guerre, à passer beaucoup de temps et d’énergie à panser et soutenir les blessés, les gardés à vue, les convoqués et emprisonnés.
Heureusement, l’inventivité arrive parfois à trouver des actions originales, des failles, mais il faudrait que les exceptions se généralisent.
La puissance des images et des émotions lors des manifestations réprimées férocement et/ou contraintes militairement (nasses fixes ou mobiles) risquent d’étouffer dans nos têtes aussi bien les objectifs de la lutte que la possibilité d’autres modes d’action.
La lutte pourrait alors se transformer en simple opération de survie en manif, en combats asymétriques contre les basses manoeuvres des flics en armures.
Les robots flics de la répression servent aussi d’obstacles, de leurres, de punchingball dérivatifs.
Ils servent ici à absorber les critiques et la rage (la plupart du temps sans risques réels pour eux d’ailleurs, étant donné leurs équipements, leur impunité et leur droit à réprimer). L’énergie de la révolte se retrouve piégée et étouffée dans des combats de rue perdus d’avance sur le terrain favori de l’ennemi. Un terrain architecturalement conçu depuis longtemps pour favoriser la police et où se déploie toutes les techniques anciennes et modernes de surveillance et de contrôle (matraque, barrage, grenade explosive, lacrymo, LBD, drone, hélicoptère, canon à eau, blindés, caméras en tous genre, fouilles, arrestations préventives...).
Même les petites victoires, les vrais débordements, une manif sauvage, une banque brûlée, un politicard ridiculisé sont éphémères et vite absorbés par la machine du Spectacle.
Si l’expérience partagée de la manif spontanée tournant plus ou moins à l’émeute est utile pour faire corps, pour s’aguerrir, pour bien comprendre la violence et la froideur sans limite de l’Etat, pour connaître notre force et symboliquement écorner la toute puissance de l’Etat et du Capital, ce ne peut être une fin en soi ni l’alpha et l’oméga d’une lutte de résistance.
De même, perturber un événement de l’oligarchie permet utilement de la démystifier à nos yeux, mais ne la fait pas plier ni disparaître. Leurs institutions et leur économie ne sont pas perturbées par ses intrusions.
On peut voir ça comme des étapes dans notre prise de conscience, dans la mise à nue de la brutalité perverse du système en place. Un système qui n’hésite pas à nous tuer et nous mutiler au nom de « la-démocratie » menacée si on ose se révolter pour, entre autre, justement essayer « pour de vrai » la démocratie.
Ridiculiser le pouvoir par des actions symboliques est utile pour montrer sa nullité, sa fragilité, pour détruire sa sacralité surplombante (grands élus, élites, experts, 1er de cordée, créateurs d’emplois...) , pour qu’on ne lui prête plus une quelconque légitimité, crédibilité ou allégeance. On n’attend plus rien de leur système.
Mais le pouvoir n’est pas seulement symbolique, il est d’abord pleinement matériel, il est inscrit dans la propriété des usines, des terres et des brevets, dans les dispositifs techniques, dans la logistique, dans les flux d’information informatiques et médiatiques, dans les divers réseaux de surveillance (pas seulement policiers).
A l’avenir, les résistants et autres révolté.e.s devront forcément sortir des habitudes et de la sidération (deux choses qu’affectionnent le système et ses flics), poursuivre l’analyse critique et la désacralisation du système capitaliste et antidémocratique en place. C’est indispensable pour éviter l’écrasement et/ou la réduction aux formes institutionnelles et réformistes classiques qui ne mènent qu’au retour suicidaire à « la-normale ».
Il s’agit de préciser nos objectifs et désirs, de (re)découvrir des méthodes de résistance adaptées à un régime autoritaire inflexible et surarmé déterminé à asservir et piller.
La stratégie et les modes d’action sont liés à quelle vision critique on a du système, ainsi qu’aux objectifs visés. Ca va ensemble.
Exemple : si vous pensez vivre dans un pays démocratique où les élus sont réellement à l’écoute et où vous voyez le capitalisme comme indépassable/bénéfique malgré tout, alors vous allez pétitionner, manifester pacifiquement, voter aux élections et débattre avec les « élites », demander gentiment des adoucissements du libre marché, et éventuellement faire un happening festif ou deux. Vous allez croire au réformisme des petits pas et vous contenter de quelques miettes qui adouciront vos chaînes.
En revanche, si vous avez compris que les institutions en place sont anti-démocratiques, autoritaires et oligarchiques, qu’elles ne veulent rien lâcher et servent à protéger/renforcer le capitalisme destructeur. Si vous avez compris que c’est le monde de l’économie qui gouverne, que la folie capitaliste détruit partout le vivant, l’humain et le climat, que au fond la civilisation industrielle est un problème, alors la vision, les objectifs, et donc les stratégies, les tactiques et les actions changent.
Comme on a été domestiqué, neutralisé et individualisé par l’idéologie capitaliste et ses ramifications jusque dans nos neurones, par la consommation et la propagande commerciale et étatique, par la guerre permanente de la compétition partout, on est largement démuni face à un régime autoritaire cynique et extrémiste au service du capitalisme prédateur surpuissant, lui-même étant une conséquence de la culture de la Civilisation.
Mécaniquement, par habitude et par soumission aux propagandes, on continue d’utiliser benoitement les outils fournis par le système, les outils estampillés légaux et « démocratiques », on demande gentiment aux pouvoirs de bien vouloir nous écouter. Mais bien sûr ces outils ne mènent qu’à l’échec et à l’accroissement de notre impuissance, ils ne servent qu’à faire diversion, à gagner du temps et à épuiser les révoltes (voir l’exemple archétypique du « grand débat » macroniste de 2019)
S’il est heureux que les rapports inter-humains se soient peut-être pacifiés (localement, et à quels prix...), il est dommageable d’être collectivement impuissants et démunis face aux structurelles oppressions institutionnelles et économiques maquillées par la fiction de « la-démocratie » et par l’injonction « TINA » (There is no alternative) répétée en boucle par tous les champions intéressés du capitalisme.
Résultat, on se retrouve généralement en train de lutter face à l’empire du Mordor du Seigneur des Anneaux avec les armes et les analyses des Walt Disney !
- Lutter contre l’armée du Mordor avec des happenings symboliques ?
- Les généraux du Mordor ne seront pas convaincus par des arguments rationnels ou la pureté morale des héros
La grève reconductible, si elle est suivie, si elle est dure et comporte des secteurs clés de l’économie, reste très utile. Hélas, pour l’instant les syndiqués n’ont pas réussi à l’étendre suffisamment afin de déborder les directions syndicales et de transformer ça en grève insurrectionnelle dépassant très largement la question de la contre-réforme retraites. Malgré l’énergie et l’inventivité de certains, on a même globalement l’impression d’un retour au bercail et aux méthodes d’il y a 30 ans qui ne peuvent que perdre (manifs, grèves épisodiques, luttes et intérêts sectoriels, rester prisonnier du calendrier du régime, se limiter au non-recul et au rejet d’une réforme...).
Sinon, face à des « forteresses blindées » (le régime, ses flics, le capitalisme), l’histoire montre que les rebelles pratiquent des formes de harcèlements furtifs et passent par des voies indirectes au lieu de les attaquer frontalement.
Relisez l’histoire de toutes les résistances asymétriques ayant eu à lutter contre un ennemi puissant et surarmé. Elles ne se jettent pas en chantant sur les énormes dispositifs blindés garnis d’armes de guerre, on voit qu’elles pratiquent plutôt diverses formes de guérillas, d’attaques furtives et éclairs, elles s’en prennent surtout clandestinement aux infrastructures et aux éléments matériels vitaux des oppresseurs, en s’appuyant sur des bases secrètes et des réseaux de soutien matériel, elles ne se jettent pas dans la gueule du loup, elles s’entraînent et se dérobent, elles multiplient les cellules plus ou moins étanches, elles visent des points faibles et accessibles de manière plus ou moins coordonnée.
Il n’y aura pas de retour à la normale, car la normalité était le problème