Le progrès est une mythologie partout agitée pour justifier les sacrifices passés et à venir, pour sacraliser et naturaliser le système techno-industriel, ses innovations et ses institutions politiques anti-démocratiques.
Pour noyer le poisson et éviter des remises en cause, on mélange ainsi allègrement l’idée de vraies améliorations sociales avec la progression techno-industrielle, et on évite de voir les conquénces du « progrès » dans le temps ou des régions lointaines.
Les éventuels possibles progrès dans les améliorations sociales et individuelles qualitatives, choisies et réfléchies, sont oubliées au profit de la progression mécanique et imposée des technologies, des Marchés, des volumes de marchandises et d’argent.
Malgré ses évidents désastres, la civilisation industrielle et son « progrès » continue de faire avancer partout son monde Machine.
Pour vivre mieux et ne pas survivre de façon très dégradée sur une planète rendue invivable, il faudra bien pourtant « arrêter le progrès » (du techno-capitalisme, de la chosification, de la marchandisation, de la technocratie...).
- Le progrès, mythe dévastateur qui enferme dans la fuite en avant accéléré
- Ne plus confondre améliorations sociales avec la progression des sciences et des technologies
LE PROGRÈS, QUEL BONHEUR
On en a fait du chemin depuis les peaux de bêtes, la bougie et les cavernes ! Depuis qu’on se chauffe, s’éclaire et se divertit au nucléaire, les choses vont quand même vachement mieux qu’avant (nous assurent les encravatés et/ou enchemisés de tout poil, qui sont payés pour ça, en bons chiens de garde du pouvoir). Certes, les grands pingouins ne sont plus là pour en témoigner, mais comment ne seraient-ils pas d’accord ?!
« Retourner vivre dans les cavernes », « en revenir à la bougie », « remonter dans les arbres », etc., les expressions ne manquent pas pour se moquer de toute idée consistant à faire machine arrière, puisque, bien entendu, il est évident que le développement des choses était écrit, et qu’il serait contre-nature d’emprunter l’autoroute du temps à contre-sens, d’effectuer un déplacement vers la gauche sur la frise chronologique du développement naturel du Progrès (ou du Progrès naturel du développement) — développement ou progrès qui se rapporte toujours, en fin de compte, à celui de la technologie. D’ailleurs, ces expressions suggèrent non seulement que les populations qui vivent encore dans la forêt, se vêtissent de peaux de bêtes, n’ont pas l’eau courante, l’électricité, la télévision, etc., se situent derrière nous sur la route du Progrès naturel des choses, sont en retard, arriérées (mais qu’elles se dirigent vers nous, qu’elles sont en chemin sur la route du Progrès naturel des choses, route que tout le monde semble destiné, fatalement, à devoir suivre), mais en outre que, pour cette raison, elles nous sont aussi inférieures — le racisme le plus commun et le plus décomplexé qui règne encore actuellement dans la civilisation, c’est sans doute celui-ci. (La tendance relativement courante qui consiste à assimiler ces populations de « sauvages » à des sortes de « singes », à des « animaux », des « bêtes », comme s’il s’agissait de quelque chose de terriblement péjoratif, illustre le mépris de la civilisation pour l’animal, l’animalité, le déni de réalité dans lequel elle s’enferme).
« Retourner vivre dans les cavernes » (peu importe que nos ancêtres n’aient jamais vécu dans des cavernes), « en revenir à la bougie », « remonter dans les arbres », etc., pour le civilisé, ce serait à la fois comme remonter l’axe de la Destinée humaine à contre-courant et descendre plusieurs barreaux de la glorieuse échelle du Progrès. Impensable, inimaginable, inconcevable. Ainsi la machine civilisation continue-t-elle inexorablement à tout détruire et tout ravager dans sa course folle (à ne chercher de remèdes aux maux qu’elle génère inlassablement que dans de nouveaux développements issus des logiques, des principes, des dynamiques, bref des éléments qui président au désastre) :
« La civilisation moderne n’est plus qu’un véhicule gigantesque, lancé sur une voie à sens unique, à une vitesse sans cesse accélérée. Ce véhicule ne possède malheureusement ni volant, ni frein, et le conducteur n’a d’autres ressources que d’appuyer sans cesse sur la pédale d’accélération, tandis que, grisé par la vitesse et fasciné par la machine, il a totalement oublié quel peut être le but du voyage. Assez curieusement on appelle progrès, liberté, victoire de l’homme sur la nature, cette soumission totale et sans espoir de l’humanité aux rouages économiques et techniques dont elle s’est dotée. L’homme [le civilisé], qui s’est assuré une domination incontestable sur toutes les espèces animales d’une taille supérieure à celle des virus et des bactéries, s’est avéré incapable de se dominer lui-même. » (Lewis Mumford)
(Il ne s’agit pas de déprimer davantage mais de comprendre que la dépression figure aussi dans la longue liste des « maladies de civilisation ». Et que le meilleur moyen de combattre la dépression consiste à combattre la civilisation.)
Je traduis actuellement un excellent livre qui paraîtra début 2022, intitulé « Civilisés à en mourir », qui traite de ces sujets. Pour le précommander c’est ici :
https://www.editionslibre.org/produit/civilises-a-en-mourir-christopher-ryan-le-prix-du-progres/
Post de Nicolas Casaux
Fevrier 2022 : "Christopher Ryan explore dans cet ouvrage les différentes manières dont le prétendu « progrès » dégrade notre façon de vivre – de manger, d’apprendre, de ressentir, de nous accoupler, d’être parents, de communiquer, de travailler et de mourir.
En effet, contrairement à ce que prétend la doxa, l’avènement de la civilisation ne fut pas la bénédiction tant vantée. La sédentarisation et l’adoption progressive de l’agriculture permirent l’émergence de sociétés stratifiées en classes, lourdement inégalitaires, amputant au passage la liberté de l’être humain. En outre, l’essor du mode de vie hautement technologique moderne éloigne toujours plus l’individu du monde réel et l’empêche de satisfaire ses besoins physiques élémentaires.
La vie préhistorique, bien sûr, n’était pas exempte de dangers. De nombreux bébés mouraient en bas âge. Un os cassé, une blessure infectée, une morsure de serpent ou une grossesse difficile pouvaient mettre la vie en jeu. Mais en fin de compte, s’interroge Christopher Ryan, ces risques pré-civilisés étaient-ils plus problématiques que les fléaux modernes que sont les inégalités sociales, les maladies infectieuses, les maladies « de civilisation » — surpoids, obésité, cancers, maladies cardiovasculaires, maladies psychiques en tous genres (stress, angoisses, dépressions, etc.), caries dentaires —, les pollutions diverses et variées, le réchauffement climatique, la surexploitation du monde ou encore la longue fin de vie agonique permise par la technologie ? Christopher Ryan affirme que nous devrions commencer à regarder en arrière pour trouver notre chemin vers un avenir meilleur.
Christopher Ryan est un écrivain états-unien principalement connu pour son livre intitulé Sex at Dawn (que l’on pourrait traduire par « Le sexe à l’origine »), co-écrit avec Cacilda Jethá, publié en 2010 aux éditions Harper. Six semaines après publication, ce livre passait dans la liste des best-sellers du New York Times. Christopher Ryan possède un doctorat en psychologie de l’Université de Saybrook en Californie. Ses travaux ont été présentées sur MSNBC, Fox News, CNN, HBO, Netflix, The New York Times, The Washington Post, Time, etc. Il tient un podcast hebdomadaire intitulé Tangentially Speaking. "
Civilisés à en mourir (Christopher Ryan) - Le prix du progrès
https://www.editionslibre.org/produit/civilises-a-en-mourir-christopher-ryan-le-prix-du-progres/
- Le progrès, mythe dévastateur qui enferme dans la fuite en avant accéléré
- De quel progrès parle-t-on ? De la progression de la fortune de milliardaires ou de l’amélioration réelle des conditions de vie qualitatives du grand nombre sur la durée ?
Prévente : La Baleine et le Réacteur, Langdon Winner
Initialement publié en 1988, ce célèbre examen, par Langdon Winner, des implications politiques, sociales et philosophiques de la technologie s’avère plus actuel que jamais. Il démontre que les choix technologiques, loin d’être neutres, déterminent le genre de monde dans lequel nous vivons et le type d’être humain qui y vit, que lorsqu’on adopte une technologie, on adopte une politique – autrement dit, que les décisions techniques sont des décisions politiques, aux conséquences majeures en matière de pouvoir, de liberté et de justice. La Baleine et le Réacteur nous encourage donc à nous défaire d’importants préjugés et lieux communs, en vue de nous permettre de reconstruire un rapport humain et politique à la technologie.
Cet ouvrage ayant fait date dans l’histoire et la philosophie des sciences ressort aujourd’hui dans une édition augmentée d’un nouveau chapitre, d’une préface et d’un post-scriptum de l’auteur, ainsi que d’une postface de l’historien François Jarrige, spécialisé dans le domaine des techniques et de l’industrie.
« Aucun pays nommé Technopolis n’apparaît sur la carte du monde. Pourtant, de bien des manières, nous en sommes déjà les citoyens. En constatant combien nos vies sont façonnées par les systèmes interconnectés de la technique moderne, combien nous subissons leur influence, combien nous nous soumettons à leur autorité et perpétuons leur fonctionnement, il apparait que nous sommes désormais, bon gré mal gré, les acteurs d’un nouvel ordre dans l’histoire humaine. Cet ordre transcende chaque jour davantage les frontières nationales afin d’établir des rôles et des relations reposant sur les immenses et complexes mécanismes de la production industrielle, des communications électroniques, des transports, de l’agro-industrie, de la médecine et de l’armée. Les structures et le fonctionnement de ces vastes systèmes constituent une forme typiquement moderne du pouvoir, l’agencement d’une technosociété. »
En prévente sur notre site editionslibre.org
https://www.editionslibre.org/produit/la-baleine-et-le-reacteur-langdon-winner-nouvelle-edition/
et en librairie à partir du 25 janvier 2022.
voir aussi : La pire erreur de l’histoire de la gauche
et des articles sur ce thème