Victoires locales et grande défaite globale - Pas de vraie bonne nouvelle pour 2024

La large adhésion des dominé∙es à la conception des dominants de la liberté et du progrès empêche les ruptures radicales

vendredi 3 janvier 2025, par Stratégie & co.

On peut se réjouir des victoires locales et des potentialités qu’elles révèlent/libérent/stimulent, et en parallèle se désespérer lucidement de l’avancée globale de la mégamachine et de ses ravages.

Le premier article ci-dessous souligne le nombre et la richesse des « victoires » locales, leurs impacts immédiats et sur la durée, les voies qu’elles ouvrent.
Le second rappelle que ces heureuses victoires locales ne doivent pas masquer les désastres généralisés produits par la civilisation industrielle.
Car localement des centaines de petits et gros projets nuisibles voient le jour malgré tout, avec ou sans luttes essayant de les contrer. Et les infrastructures « ordinaires » de la mégamachine continuent de s’étendre et à produire à plein régime, en ravageant nos vies, le climat et la biosphère en général.
Car on sait bien que seule une forme de « révolution radicale », d’insurrection généralisée, de rupture sans retour, pourrait stopper réellement les ravages et permettre d’espérer des sociétés vivables et soutenables, ou au moins un avenir moins sombre.
Car il ne faudrait pas croire que l’accumulation de victoires locales suffirait à nous libérer de la mégamachine.
Car il ne faudrait pas laisser croire que seuls certains projets techno-industriels sont néfastes tandis que tout le reste de la mégamachine serait sain ou réformable (voir aussi : https://ricochets.cc/Mouvements-sociaux-il-n-y-aura-plus-de-petites-victoires-Il-reste-donc-a-detruire-et-remplacer-la-megamachine.html et les liens en bas de page).
Car il ne faudrait pas concentrer toutes les forces dans des victoires locales en laissant de côté, pour plus tard un jour, les vitales luttes révolutionnaires visant le désarmement de la mégamachine elle-même.
Car tant que les structures et institutions de la civilisation industrielle persisteront, elles continueront sans fin de générer d’innombrables projets locaux nuisibles, imposés par la force et la loi, justifiés par le « progrès » et le développement économique, sans parler des risques de guerre généralisée dévastatrice.

- Il faudrait donc tout mener de front, donc inclure les combats locaux contre des projets nuisibles précis dans une « lutte révolutionnaire générale » contre la mégamachine, et vice versa.
L’action des révolutionnaires, écologistes et autres radicaux est de tisser des liens, de s’entraîner, d’étendre des réseaux d’activités alternatifs, de créer des bases arrières, de se défaire de l’idéologie dominante (acceptation et simple réforme de la mégamachine), de déplacer la fenêtre d’Overton vers l’approbation et le soutien accrue à l’insurrection...
Sans cesse agir pour ne pas sombrer dans l’isolement résigné, s’entraîner à des modes de vies soutenables et vivables, attiser et alimenter les possibles soulèvements révolutionnaires, etc.
et advienne que pourra. Que faire d’autre ?

Victoires locales et grande défaite globale - Pas de vraie bonne nouvelle pour 2024

Dossier : Quand la lutte l’emporte : une décennie de victoires locales contre les grands projets imposés et polluants

Riches d’enseignements, nous espérons que ce rapport permette de visibiliser ces centaines de victoires trop méconnues et démontre que se développe une grande ingéniosité et un véritable mouvement d’entraide entre les collectifs d’habitant-e-s qui mènent ces luttes locales.

Au-delà des cas emblématiques du Larzac ou de Notre-Dame-des-Landes, des centaines de collectifs moins médiatisés remportent des batailles locales – pas moins de 162 identifiées rien que sur la période 2014-2024. Mais qu’est ce que ces « victoires » des luttes peuvent nous apprendre ?

Pour répondre à ces questions, nous avons conduit une enquête sociologique entre avril et novembre 2024, via 42 entretiens dirigés avec ces collectifs ayant obtenu l’abandon d’un projet polluant. Cette recherche s’appuie sur le travail des chercheures en sociologie Gaëlle Ronsin (ENS) et Juliette Piketty-Moine (doctorante ENS) qui ont identifié et étudié des centaines de victoires depuis les années 1970.

- Voici le pdf de la synthèse : https://lagrappe.info/IMG/pdf/synthese_pdf.pdf

- Et le pdf de l’étude complète : https://lagrappe.info/IMG/pdf/victoires_pdf.pdf

- Voir en ligne : Terres de Luttes

- source : https://lagrappe.info/?Quand-la-lutte-l-emporte-une-decennie-de-victoires-locales-contre-les-grands-1100

- Extrait :
C’est donc bien parce que les luttes espèrent un changement structurel que la victoire peut avoir un goût amer ou éphémère. À La Clusaz, un militant constate qu’on « ne peut pas dire que concrètement, sur le terrain, ça a produit quelque chose. [au delà de l’abandon] » Cette limite reflète la difficulté à transformer partout les politiques territoriales et étatiques au-delà du blocage ponctuel d’un projet. Mais les lignes politiques globales du territoire ont bougé malgré tout, par l’existence même des collectifs.

Victoires locales et grande défaite globale - Pas de vraie bonne nouvelle pour 2024

QUEL BONHEUR, C’EST LA NOUVELLE ANNÉE

Comme à chaque fin d’année, la plupart des médias de masse publient à peu près tous le même article — ô glorieux pluralisme — sur les « bonnes nouvelles à retenir » de l’année passée.

« Ces dix bonnes nouvelles à retenir de 2024 » (L’Express), « Environnement : 3 bonnes nouvelles de l’année 2024 » (TF1), « Dix bonnes nouvelles qui nous ont réconfortés en 2024 » (France 24), « Les bonnes nouvelles environnementales de 2024 » (RTL), « 5 infos positives pour booster votre fin d’année » (RTBF), « On a trouvé 24 bonnes nouvelles que nous laisse l’année 2024 » (France info), etc.

Courrier International a même publié un article intitulé « Pourquoi il faut “entamer 2025 avec optimisme” ». Les bonnes nouvelles invoquées, censées faire office d’anxiolytiques, sont bien souvent des mauvaises nouvelles, que l’idéologie dominante présente comme bonnes précisément parce qu’elle est dominante : ces nouvelles sont « bonnes » parce qu’elles servent à perpétuer l’ordre établi. Un exemple de « bonne nouvelle » tiré de l’article de Courrier International : « avec les avancées scientifiques de l’intelligence artificielle, “2025 a été déclarée par les Nations unies année internationale de la science et de la technologie quantique”. »

Merveilleux, n’est-ce pas ?! Le développement de l’IA, qui est une catastrophe tous azimuts, sociale et écologique, c’est une « bonne nouvelle » aux yeux de l’idéologie dominante. On retrouve aussi presque tout le temps, parmi les « bonnes nouvelles », le développement des « énergies renouvelables ». On fabrique de plus en plus de machines qui servent à produire de l’énergie pour alimenter d’autres machines, et donc à perpétuer les forces écrasantes qui nous dépossèdent et qui détruisent le monde. Bonne nouvelle !

Les médias de masse ne sont pas les seuls à proposer ce genre de « bonne nouvelle ». Les médias prétendument indépendants/alternatifs font la même chose. Gaetan Gabriele, « créateur de contenu » pour « Vert, le média qui annonce la couleur », produit des vidéos hebdomadaires dans lesquels il présente « les cinq bonnes nouvelles de la semaine qui vont illuminer ta journée ». Il a aussi réalisé une vidéo intitulée « les bonnes nouvelles de 2024 ».

Délibérément ou non, les espoirs que ces gens entretiennent correspondent plutôt à la carotte que l’on attache au bout d’une ficelle pour inciter un âne à continuer d’avancer. Ou au soma du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley. Plutôt que d’affronter une réalité déprimante, on nous encourage à ne pas désespérer et à croire en toutes sortes de mirages plus ou moins débiles. Comme l’a noté le sociologue états-unien Philip E. Slater, il semble pourtant que « le désespoir est le seul remède contre l’illusion. Sans désespoir, il nous est impossible de redescendre sur terre, de reprendre contact avec la réalité. Il s’agit, en quelque sorte, d’une période de deuil de nos fantasmes. Certaines personnes ne survivent pas à ce désespoir, mais au sein d’une personne, aucun changement majeur ne peut se produire sans. » L’espoir fait vivre, peut-être, mais il permet aussi d’entretenir une mystification, de faire accepter aux individus des conditions de vie horribles, une situation sociale catastrophique, au nom d’une illusoire amélioration à venir. Il peut donc constituer un outil de contrôle social

Paradoxalement, la grande majorité des gens qui prétendent dévoiler les « vérités qui dérangent » et affronter les dures réalités que dévoile la science (le GIEC etc.) sont aussi du genre à croire en toutes sortes de fables rassurantes, à peine moins absurdes que celles auxquelles adhèrent le reste de la population. Ils s’imaginent presque toujours qu’une civilisation techno-industrielle réellement durable, écologique, et réellement démocratique, est possible. Nul besoin de renoncer à la technologie, au mode de vie industriel. Il faut juste développer des « technologies vertes », substituer aux technologies de production d’énergie basées sur les combustibles fossiles des technologies de production d’énergie renouvelable ou propre (la fameuse « transition »). Et démocratiser ou rendre publique la propriété des « moyens de production » (du système techno-industriel), pour les plus socialistes/marxistes. Quelque chose comme ça.

En vérité, il me semble que l’important à saisir, en cette nouvelle année comme n’importe quand, c’est que toutes les pires dynamiques, qui ravagent le monde et nos vies avec, notre santé, qui nous dépossèdent et nous aliènent, continuent inexorablement. La civilisation industrielle continue de s’étendre partout sur le globe. Aujourd’hui, 56 % de la population mondiale (4,4 milliards d’humain∙es), vivent dans des villes. La population urbaine devrait plus que doubler d’ici 2050, date à laquelle près de 7 personnes sur 10 vivront en ville. Une grande partie de cette urbanisation se déroulera en Afrique et en Asie. Plus d’humain∙es, plus de villes, plus de terres bétonnées, plus de pollution, plus de déforestation, plus de consommations de ressources diverses et variées, plus de production de déchets, etc. En Afrique, d’ailleurs, la croissance économique est portée par l’industrie extractive, pétrole et gaz en tête. La course à la puissance perdure immuablement, notamment sous la forme d’une course à la puissance technologique, de nouvelles armes, de nouveaux moyens de surveillance et de contrôle.

Un rapport de l’ONG Global Witness paru il y a un mois souligne comment « l’extraction de métaux destinés à la fabrication de véhicules électriques, d’éoliennes, de panneaux solaires et de réseaux électriques est liée à plus de 300 incidents de violence, de protestation et de décès entre 2021 et 2023 », et « est à l’origine de troubles sociaux et de violences, de l’Argentine à la République démocratique du Congo en passant par l’Indonésie ».

Parmi les vérités qui dérangent et que personne ou presque ne souhaite admettre, il y a donc le fait qu’il n’existe pas de version écologique, durable, verte, propre, du système techno-industriel ; que celui-ci va – inéluctablement – de pair avec une dépossession étendue, puisqu’il exige une vaste division et spécialisation hiérarchique du travail ; que l’État est un type d’organisation sociale qui repose sur et produit cette dépossession et cette hiérarchie ; que la véritable démocratie, comme la soutenabilité écologique, requiert des sociétés à taille humaine. Que le problème n’est donc pas la propriété des « moyens de production » (à qui ils appartiennent) mais la nature des moyens de production. Pas (juste) les « 1% », les ultra-riches ou l’extrême droite, mais un mode de vie qui produit inévitablement des inégalités sociales et des dégradations écologiques.

Si Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes, il doit bien se marrer en voyant la gauche déplorer le réchauffement climatique, les inégalités, les injustices sociales, la destruction de la nature, mais chérir l’État et l’essentiel du mode de vie industriel.

Et dans tout ça, la volonté d’éviter le désespoir, la persistance d’une indécrottable naïveté, joue un rôle majeur. La civilisation industrielle, ses médias et ses institutions, nous conditionnent de manière à ce que l’on développe un fort attachement à la civilisation industrielle, au mode de vie industriel. « Les idées de la classe dominante sont les idées dominantes ; autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut. Les pensées dominantes ne sont rien d’autre que l’expression en idées des conditions matérielles dominantes, ce sont ces conditions conçues comme idées, donc l’expression des rapports sociaux qui font justement d’une seule classe la classe dominante, donc les idées de sa suprématie. » (Marx et Engels)

C’est ainsi que les dominé∙es finissent par adhérer à la conception que les dominants ont de la liberté et du progrès. Et que la liberté en vient à être associée, de l’extrême droite à l’extrême gauche, au « fait d’être débarrassé, exonéré d’un certain nombre de tâches pénibles liées à notre condition d’“animaux politiques” » (Aurélien Berlan). Beaucoup de gens et sans doute une majorité ne souhaitent pas décider eux-mêmes directement des règles de la société dont ils participent. S’ils ont du travail, correctement payé, tout va bien. Ils se sont plus ou moins faits à l’idée que la liberté, c’était d’être « délivré des charges politiques liées à la vie sociale » (Berlan), qu’un gouvernement s’occupe de gouverner. C’est le principe de l’État.

Par ailleurs, « l’exonération des tâches liées à la subsistance, qui a toujours caractérisé les classes dominantes, a fini par éclipser l’objectif originel d’abolir les rapports de domination sociale » (Berlan encore). D’où l’attachement au système techno-industriel. D’où les moqueries du « modèle Amish » et du « retour à la lampe à huile » qu’a exprimées Macron. Mais qu’expriment aussi la gauche, l’extrême gauche et même les prétendus « décroissants » bienvenus dans les médias et appréciées des écoles de commerce et des entreprises. Le numéro spécial décroissance de Socialter d’automne 2024, avec Timothée Parrique pour rédac chef, nous rassure : la décroissance, ce n’est certainement pas « revenir à la lampe à huile », et pas non plus « une pensée anti-technologie ». La décroissance est pour l’innovation et la technologie ! A l’instar de Kate Raworth, une autre soi-disant décroissante, idole de Parrique, qui célèbre le numérique, les imprimantes 3D et les robots.

Si tu veux avoir voix au chapitre aujourd’hui, tu dois défendre cette conception incroyablement absurde de la liberté et du progrès. Tous les partis de gauche la défendent. Tous les militants professionnels aussi (employés d’ONG, influenceurs en vogue, etc.).

Et la fuite en avant continue.
Voilà pour le bilan de 2024.

(post de N. Casaux)

Exemples parmi d’autres des dégâts globaux de la mégamachine :


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