Travailler sur le Covid Long m’a appris à devenir un meilleur journaliste
En tant que journaliste scientifique, j’ai écrit sur de nombreux sujets au cours de ma carrière. Aucun ne m’a autant affecté que le Covid Long. Aucun n’a changé ma vision de ce que le journalisme peut faire et de comment il peut le faire de manière aussi profonde.
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Des personnes atteintes de Covid Long m’ont dit que ces articles leur avaient permis de mieux comprendre ce qui leur arrivait, de trouver une communauté et des soins médicaux, et d’éprouver le soulagement que procure la reconnaissance à un moment où leurs ami·es, les membres de leur famille et les professionnel·łes de santé balayaient leurs difficultées d’un revers de main en les considérant comme imaginaires. En tant que journaliste scientifique, j’ai écrit sur de nombreux sujets au cours de ma carrière. Aucun ne m’a autant affecté que le Covid Long. Aucun n’a changé ma vision de ce que le journalisme peut faire et de comment il peut le faire de manière aussi profonde.
Couvrir le Covid Long m’a conforté dans l’idée que la science n’est pas la force objective et neutre que l’on présente souvent de façon trompeuse. Il s’agit au contraire d’une entreprise humaine, sans cesse bousculée par notre culture, nos valeurs et nos politiques. En tant que maladies épuisant l’énergie et affectant les femmes de manière disproportionnée, le Covid Long et l’EM/SFC sont facilement dépréciés par une société sexiste qui banalise la douleur des femmes et par une société capitaliste qui valorise les personnes en fonction de leur productivité. Ce mépris social entraîne une négligence scientifique, et l’absence de recherche alimente un scepticisme encore plus grand. Je n’ai compris cette dynamique qu’après avoir interrogé des spécialistes des sciences sociales, des spécialistes du handicap et des patient·es elleux-mêmes, dont la voix est souvent absente ou minimisée dans les médias. À l’instar de la pandémie dans son ensemble, le Covid Long n’est pas seulement un problème de santé. Il s’agit d’un problème social, qui doit être compris comme tel.
Le rejet et le « gaslighting » - tu es simplement déprimé, c’est dans ta tête - sont parmi les pires aspects du Covid Long, et peuvent être aussi écrasants que la souffrance physique. Ils sont difficiles à combattre parce que les symptômes peuvent être tellement éloignés de l’expérience quotidienne qu’ils en paraissent invraisemblables, et parce que ces mêmes symptômes peuvent saper l’énergie et occulter l’acuité mentale
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Je fais preuve d’autant de curiosité et d’empathie que possible lors des entretiens. Je ne cherche pas à obtenir des citations ou des détails spectaculaires sur des symptômes horribles. Je veux savoir ce que ressentent les personnes atteintes de Covid Long, avec les nuances et les particularités de leur vie. Je vérifie mes propres idées à la volée, en soumettant mes interprétations à mes sources en temps réel pour m’assurer que ma compréhension et mes hypothèses sont correctes. Je procède de manière comparative, en leur demandant s’iels ont vécu des expériences identiques ou similaires à celles des sources précédentes que j’ai interrogées, afin d’identifier les points communs ou les divergences ; tout le monde se trompe sur quelque chose, et faire preuve d’empathie ne signifie pas renoncer à la rigueur.
Cette approche révèle des aspects de la maladie qui passent facilement inaperçus. Pour de nombreu·ses personnes atteintes de Covid Long, la fatigue n’a rien à voir avec la fatigue comme on l’entend d’ordinaire : elle est plus sévère, multiforme, plus difficile à surmonter et ne se résoud pas par le sommeil. Le malaise post-effort est lui aussi différent : Chaque symptôme brûle plus fort, la fatigue s’accompagne d’un état grippale et de sensations d’empoisonnement, et les batteries ne sont pas seulement épuisées, elles sont totalement manquantes. Ces états sont trop facilement confondus, et leurs différences ne me sont apparues clairement qu’avec de nombreux entretiens et une écoute attentive.
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