Sabotage coordonné du réseau TGV SNCF le 26 juillet, puis de fibres optiques internet longue distance

Des actions pour désarmer les JO et le système qui les porte ?

mardi 30 juillet 2024

En oligarchie élective dominée par le capitalisme et le technocratisme (ce qu’on nomme "démocratie"), les puissants et leurs alliés veulent que les contestations restent légales et mesurées, afin de les condamner (presque) toujours à l’échec.
Mais les pratiques de sabotages (et aussi de grèves dures, d’émeutes, etc.) montrent depuis longtemps que tout le monde ne se résigne pas à l’impuissance en utilisant sagement les seules armes émoussées préconisées par les pouvoirs (et qu’ils se hâtent vite d’interdire et réprimer quand ces armes là deviennent malgré tout un jour gênantes pour eux).

- Ainsi, on a pu observer ces derniers jours :

Avec plus bas également des réflexions politiques et historiques sur le sabotage.

Game-Over à Gameville

Un sabotage a été revendiqué près de Toulouse :

- Game-Over à Gameville

Dans la nuit du 25 au 26 juillet, à Saint Orens de Gameville, nous avons incendié une antenne relais, et un nœud de raccordement de fibre optique et taggué « No J.O. » sur la tour qui hébergeait les câbles.
Il n’y a pas de trêve olympique. Le mitraillage rhétorique du gouvernement sur l’apaisement par le sport, aux niveaux géopolitique comme parlementaire, s’accompagne du bombardement militaire de par le monde et d’une guerre contre les populations.
De quelle trêve, de quel apaisement parlons-nous ? Du déplacement des populations les plus marginalisées, de la présence policière accrue dans la capitale, du développement de la surveillance panoptique tous azimuts, à base d’implantations de nouvelles caméras de vidéosurveillance et de recours répressif à l’intelligence artificielle ?
(...)
C’est aussi pourquoi nous avons visé un nœud de raccordement de fibre optique, un maillon essentiel de la restructuration capitaliste et de la guerre technologique en cours.
Derrière la célébration des athlètes courant au coude à coude, s’accumulent les bombes de la guerre mondiale. Derrière chaque sourire sportif, une canine aiguisée, derrière chaque médaille, la misère et la ruine.

Les attaques ont déjà commencé à chanter contre ces festivités cyniques.
Au stade comme dans la vie, prenons le virage de la résistance.

Des mauvais joueurs

Sabotages à motivation politique ou actes de délinquance ordinaire ?

- On voit mal des « délinquants ordinaires » mener des actions coordonnées de ce type, mais sur le Monde un article appelle à la prudence concernant les responsables des deux gros sabotages coordonnés, même si :
Pour les services de renseignement, le mode opératoire, tout comme les éléments matériels retrouvés dans l’Yonne, où des saboteurs ont abandonné des outils sur place, orientent également les recherches vers l’ultragauche.

« Le transport ferroviaire, les télécoms et le réseau électrique sont des cibles régulièrement visées par cette mouvance », explique une source sécuritaire, qui estime à quelques dizaines les militants capables d’effectuer un tel sabotage, sur un vivier de 2 500 activistes. « Il n’y a pas besoin de l’aide d’un service secret étranger pour obtenir le résultat de vendredi, ajoute cette source. Dix personnes bien organisées, des engins incendiaires rudimentaires et une bonne connaissance du réseau suffisent. Ce qui implique une possible complicité interne à la SNCF. »

- Article complet : Sabotages à motivation politique ou actes de délinquance ordinaire ? Ce que l’on sait des dégradations d’infrastructures de la SNCF et de SFR - Après les actes de vandalisme commis la nuit précédant la cérémonie d’ouverture des JO sur le réseau TGV, des câbles de télécommunications ont été détériorés dans la nuit de dimanche à lundi. Alors que le ministère de l’intérieur désigne l’ultragauche, la justice et les services d’enquête invitent à la prudence.

Sabotage coordonné du réseau TGV SNCF, puis de fibres optiques internet longue distance

🔧 APRÈS LESBLES DE TGV : LA FIBRE OPTIQUE. LES SABOTAGES SE MULTIPLIENT

- Le sabotage : une pratique historique habituelle des luttes sociales -

« Des actes de vandalisme ont visé des installations des opérateurs téléphoniques SFR et Bouygues dans plusieurs départements » explique le journal Le Parisien ce lundi 29 juillet.

L’action a été coordonnée la nuit dernière dans toute la France : des câbles ont été sectionnés dans des armoires électriques des opérateurs internet dans l’Hérault, les Bouches-du-Rhône, l’Oise, la Meuse, la Drôme et l’Aude. Un responsable de la firme numérique Netalis, explique que « depuis 2h15 du matin, notre réseau national connaît un ralentissement important » et qu’il y a des répercussions à Montpellier et à Marseille, ainsi que sur les liaisons Lyon-Paris et Paris-Strasbourg.

Dans la nuit du 25 au 26 juillet, dans la commune de Saint Orens de Gameville près de Toulouse, une antenne relais et un nœud de raccordement de fibre optique avait été incendié et l’acte avait été accompagné d’un tag « No J.O. » sur la tour à proximité. Un communiqué de revendication expliquait : « Il n’y a pas de trêve olympique. Le mitraillage rhétorique du gouvernement sur l’apaisement par le sport, aux niveaux géopolitique comme parlementaire, s’accompagne du bombardement militaire de par le monde et d’une guerre contre les populations. Quelle trêve, aussi, pour les prisonniers kanaks déportés dans les geôles françaises, et dont on refuse l’autonomie politique pour que nos compagnies minières puissent continuer à se gaver de nickel là-bas ? »

Dans un système qui repose sur des échanges de flux d’informations constants, instantanés et mondialisés, le sabotage du réseau internet semble se développer. Le 27 avril 2022 déjà, une série de coupures sur plusieurs câbles de fibre optique avaient provoqué des perturbations importantes, notamment en Ile-de-France.

Ces actions contre des câbles internet ont lieu après d’autres sabotages visant le réseau SNCF. Dans la nuit précédent la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, plusieurs incendies coordonnés de câbles du réseau ferré avaient en partie paralysé les lignes TGV, et bloqué 800.000 passager. Depuis, un communiqué de revendication a depuis été envoyé à la presse, signé « une délégation inattendue », le texte explique : « Ils appellent cela une fête ? Nous y voyons une célébration du nationalisme, une gigantesque mise en scène de l’assujettissement des populations par les État ». Cependant, ce communiqué est à prendre avec des pincettes, car même les enquêteurs chargés de l’affaire mettent en doute son authenticité.

Enfin, la presse explique ce lundi qu’un « militant d’ultragauche » aurait été arrêté sur un site SNCF de Seine-Maritime, en possession de « clés d’accès à des locaux techniques de la SNCF » et de « pinces coupantes », sans plus de précisions.

Les sabotages se multiplient depuis deux ans et inquiètent les autorités. Dès la fin de 2022, Le Figaro recensait « pas moins de 104 actions » entre le 1er janvier et le 30 octobre de cette année, notamment des « incendies volontaires de boîtiers électriques d’antennes 3G/4G et d’antennes relais en Savoie, armoires de fibres incendiées par des pneus dans le Finistère, câbles sectionnés dans le Var ou en Isère, sabotages de sites protégés au nom de la « justice sociale ». Ces actions ne viennent pas que des milieux révolutionnaires et anticapitalistes : deux moines ont été arrêtés après avoir incendié des pylônes et des antennes relais en 2021, près de Lyon.

Le mot « sabotage » vient du français et est utilisé tel quel dans la plupart des langues. Il viendrait des ouvriers qui jetaient leurs sabots dans les machines pour les empêcher de fonctionner. À la fin du XIXe siècle, le syndicalisme révolutionnaire popularise le sabotage. L’anarchiste Émile Pouget fait l’éloge de cette pratique contre les patrons. Pour lui, « à mauvaise paie, mauvais travail », tant que les riches ne rendent pas l’argent, les pauvres se doivent de protester en abîmant les machines et en travaillant moins, c’est-à-dire en sabotant la production.

On rapproche cette pratique du « luddisme », mot tiré du nom de Ned Ludd, un ouvrier anglais qui avait brisé des métiers à tisser dans l’Angleterre du début de la révolution industrielle. Le Luddisme s’opposait à la mécanisation du travail en sabotant les machines.
La pratique du sabotage a été massivement utilisée sous l’occupation, pour combattre les fascistes et les collabos. La France Libre envoyait même des saboteurs spécialement formés en France occupée, pour former les résistants et ainsi gêner l’économie de guerre et l’armée allemande. Le sabotage a ensuite été employé lors des décolonisations. Enfin, le sabotage a été remis au goût du jour des dernières années par les mouvements écologistes, qui appellent à « désarmer » les entreprises qui détruisent la planète.

Alors que le régime en place n’écoute plus ni la rue, ni les associations ou syndicats, ni même le vote, et ne gouverne que par la répression, comment s’étonner du retour de tels modes d’action ?

D’un point de vue historique, le sabotage n’est pas un gros mot : il fait partie depuis 200 ans du répertoire habituel des luttes sociales. C’est un geste non violent, qui vise uniquement le matériel et non les humains, dans le but provoquer des dégâts économiques. C’est l’arme des faibles contre les forts, de ceux qui n’ont pas de moyens, face à des États policiers et armés.

(post de Contre attaque)

Sabotage contre la SNCF : « Le réseau ferroviaire est extrêmement vulnérable »

- Sabotage contre la SNCF : « Le réseau ferroviaire est extrêmement vulnérable »
Plusieurs lignes à grande vitesse du réseau ferré français ont été sabotées dans la nuit du 25 au 26 juillet, veille du début des Jeux olympiques. « On n’a jamais vu ça sur le continent européen », dit Michel Quidort, de la Fnaut.
(...)
Une situation provoquée par des incendies volontaires — le ministère des Transports parle d’« actes de malveillance coordonnés » —, dont on ignore encore la source. Selon la SNCF, une tentative de dégradation supplémentaire aurait été déjouée sur la ligne à grande vitesse allant vers le Sud-Est. Ces incidents mettent en lumière « l’extrême vulnérabilité » de nos lignes, selon Michel Quidort, vice-président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports
(...)
Le réseau ferroviaire est, dans une certaine mesure, extrêmement vulnérable. Il suffit de couper d’une manière ou d’une autre les connexions électriques et électroniques — par exemple en mettant le feu pour perturber la signalisation, les procédures de sécurité et les informations qui circulent à destination des conducteurs de train et des gens qui, dans les postes de contrôle, commandent les itinéraires avec les aiguillages et font circuler le réseau.

Il est très difficile de surveiller en permanence les 30 000 kilomètres de ligne ferroviaire du territoire français. On peut mettre 60 000 policiers, gendarmes et militaires à Paris pour protéger la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, mais on ne peut pas être partout pour surveiller ce qu’il se passe sur l’ensemble du réseau ferroviaire, compte tenu de son étendue…
(...)
Non, ça n’a rien à voir avec la vétusté. On parle de lignes à grande vitesse assez récentes, ou qui ont fait l’objet de renouvellements. Ce sont des technologies modernes, de l’électronique, de la fibre optique. On a des capacités numériques extrêmement importantes, mais par ailleurs extrêmement vulnérables, puisque c’est par ces canaux que transitent toutes les informations nécessaires à la circulation, à la sécurité des trains et des voyageurs.
(...)

De Mao aux Soulèvements de la terre, le sabotage au service d’un monde meilleur

- De Mao aux Soulèvements de la terre, le sabotage au service d’un monde meilleur - Entretien avec Anaël Chataignier
Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l’instant rien des motivations des auteurs, c’est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cet entretien de Greta Kaczynski avec Anaël Chataignier autrice de Ecosabotage. De la théorie à l’action. Elles reviennent sur l’histoire du sabotage, son influence sur le cours de certains mouvements politiques, et sa fécondité dans le cadre des luttes écolos.
(...)
L’écosabotage se situe dans le droit fil de ces pratiques de résistances au monde-machine et à l’impérialisme, impliquant tout un arsenal de gestes et de manières de faire, dont le sabotage. Contrairement aux apparences, et bien que plus récent, l’écosabotage a déjà une histoire assez riche derrière lui. On pourrait faire remonter l’écosabotage (« ecotage » en anglais) à un certain « Mr. Fox », de son vrai nom James Philips, militant écologiste américain, considéré comme le premier « écosaboteur ». On peut toujours s’amuser à essayer de retrouver ainsi un point d’origine. La vérité c’est qu’un geste véritablement politique est par essence collectif, pris dans une époque et une énergie qui le déborde de toute part. Dans les années 1960, Fox a bouché les tuyaux d’une usine de savon d’Armor Dial (de la Henkel Corporation) qui déversait sans scrupules des produits chimiques dans Mill Creek (en amont de la rivière Fox). Il sera par la suite avec Judi Bari un des membres fondateurs du mouvement écologiste Earth Liberation Front
(...)
Dans les années 90, en même temps qu’un nouveau cadre modernisateur, numérique et mondialisé se mettait en place, un discrédit a été peu à peu jeté sur ces modes d’action au profit de formes plus consensuelles d’actions. Des formes plus symboliques et « non-violentes » : désobéissance civile, manifestation, plaidoyers et actions symboliques par centaines, dialogue avec l’État et cooptation de militants, stratégie de prises de pouvoir par les urnes… nous privant d’une diversité tactique qui avait pourtant largement montré son efficacité par le passé. Par exemple, lors des mouvements emblématiques comme les suffragettes en Angleterre au début du XXe ou le Civil Rights Movement aux États-Unis. Elle permit d’intensifier la lutte et d’obtenir des victoires effectives, qu’elles soient législatives ou sociales.

Le livre tente donc de revenir sur tous ces « malentendus » : dénoncer d’une part le travail de sape culturelle opéré par les démocraties occidentales pour discréditer systématiquement ce type d’action et ses protagonistes au profit de formes plus présentables, en accord avec la démocratie libérale, représentative et globalement favorable au capitalisme. Rappeler d’autre part la nécessité de ne pas opposer les différentes facettes de la lutte, de les penser de manière complémentaire et synergique. Là encore, l’histoire plaide pour l’usage d’un spectre large de formes d’actions, de « diversité des tactiques » adaptées à des situations locales, à des luttes et des acteurs spécifiques.
(...)
Si on tire un rapide bilan de ces 30 dernières années en matière de mobilisation écologique, malgré toutes les bonnes volontés, ce bilan est tout de même assez embarrassant : des mobilisations par milliers pour un résultat quasi nul. Bien sûr de nombreux projets ont été stoppés et il est clair que toutes ces mobilisations ont permis de maintenir une culture de résistance. Mais la poussée d’un capitalisme décomplexé et quasi suicidaire a dans le même temps elle aussi démultiplié ses armes de destruction à un niveau jamais vu jusque-là. Les projets de plateformes logistiques, d’autoroutes, les mines, les décharges... se sont également multipliés. Les victoires décisives sur le terrain se comptent au final sur les doigts d’une main.

L’écosabotage n’est pas la panacée. Il n’est ni la solution, ni le problème. Et il ne remplacera jamais la puissance d’un mouvement populaire et déterminé, qui reste selon moi la seule perspective enviable. Mais, utilisé au bon moment il peut être d’une très grande utilité et permettre de débloquer des conflits, d’attirer l’attention, de déplacer les rapports de force, de cristalliser la colère, de reprendre la main et de redonner de la force afin de repousser les limites et d’obtenir plus de victoires décisives.
(...)
Estimez-vous que pour l’instant, le mouvement écologiste n’est pas encore passé « à l’action » ?
Oui et non. D’un côté la lutte est effectivement amenée à s’intensifier. Le « mouvement écologiste » doit sérieusement reconsidérer ses alliances face à la radicalité du projet capitaliste et la destruction des communs. Cela passe par des organisations vraiment autonomes, l’usage de formes d’actions diversifiées et efficaces (dont l’écosabotage) et le fait de partager une perspective révolutionnaire. De ce point de vue oui, le mouvement écologiste se cherche encore et de nombreux obstacles restent à lever.
(...)
De plus que signifie « passer à l’action » ? On le voit, la lutte qui s’ouvre ne fait que commencer et elle implique de construire des collectifs solides, dans la durée, et de créer une véritable culture de résistance. Cela implique de pouvoir compter sur des activistes motivés pratiquant l’action directe lorsque cela est nécessaire, mais également de monter des cantines, des lieux d’éducations populaires, de transmettre des cultures partagées, de défendre des espaces autogérés, de mettre en réseau les différentes luttes et collectifs, distribuer des tracts, financer la lutte… Tout cela se fait par ailleurs de manière beaucoup plus discrète et souterraine, mais tout aussi essentielle. Pendant longtemps cette logistique de soutien était d’ailleurs essentiellement réalisée par les femmes.
(...)
Quels que soient les degrés d’engagement, l’essentiel est de partager un même constat : celui d’une dégradation qui met pour la première fois la survie de l’humanité et des écosystèmes en balance. Mais également qui met sérieusement en doute le réformisme aussi bien que l’eschatologie capitaliste, ses passions tristes et son penchant pour la destruction généralisée.

Dans les constats que vous dressez au début de votre ouvrage, vous affirmez que « chaque année qui passe vient refermer un peu plus la fenêtre des possibles » (p. 18), pour dissuader le lecteur d’attendre le grand soir. Pensez-vous que la lutte pour empêcher le ravage écologique est différente des luttes féministes, anticoloniales ou anticapitalistes du fait de son caractère d’urgence ?
Oui. La menace que fait peser la catastrophe écologique n’a pas selon moi d’équivalent dans l’histoire. Elle implique une réaction particulière. Chaque goutte de pétrole qui resterait dans le sol, chaque émission et chaque déchet en moins, chaque forêt préservée... sont autant de chances supplémentaires de vivre sur une planète habitable et de souffrances épargnées aux vivants humains et non-humains. Croire que le capitalisme va s’effondrer sous ses propres contradictions serait une grave erreur. Nous ne pouvons pas nous permettre d’attendre. D’un autre côté, plus l’urgence se fait sentir et plus il faut accepter de prendre le temps... Agir pour agir ne sera pas plus efficace par ailleurs. Il faut convaincre et créer les conditions d’une bataille culturelle qui seule pourra permettre aux luttes de prendre de l’ampleur. Les suffragettes ou les libertaires espagnols en 1936 en ont fait l’expérience. Ils ont mis des décennies à convaincre et diffuser leurs idées avant de pouvoir engager des luttes victorieuses.
(...)
L’idée de s’appuyer sur une avant-garde révolutionnaire pour faire pencher la balance pourrait laisser la place à une stratégie plus composite. Dans son livre Basculement Jérôme Baschet évoque le livre Utopies réelles de Erik Olin Wright. Il y développe une analyse distinguant trois voies pour dépasser le capitalisme :

  • les stratégies de rupture (s’appuyant sur une approche insurrectionnelle),
  • les stratégies « symbiotiques » (qui luttent au sein même des institutions étatiques afin de transformer le pouvoir capitaliste de l’intérieur),
  • les stratégies « interstitielles » (qui ouvre des brèches, des îlots dans la structure sociale et rendent possibles des petites transformations successives échappant à la logique marchande et au pouvoir de l’État).

Cette approche mixte a l’avantage de laisser ouvert le débat stratégique et d’ouvrir une boîte à outils dans laquelle les relations de ces différentes facettes de la lutte sont encore à inventer. Il suggère également de considérer chacune de ces options comme nulle si elle est employée seule.

Cette perspective ne peut être viable qu’à deux conditions : que tout le monde s’accorde à considérer le capitalisme dans la radicalité de son projet expansionniste. Mais également à la condition de remettre en cause les stratégies du renversement anticapitaliste qui ont dominé le XXe siècle et ont abouti au dévoiement des espoirs révolutionnaires. L’exploration et l’expérimentation de nouvelles alliances sont de ce point de vue une nécessité. Elles doivent écarter toute forme d’organisation reproduisant les schèmes productivistes capitalistes, refuser la centralité de l’État et un universalisme globalisant qui excluraient de fait l’altérité des territoires et des cultures étrangères (indigènes ou autres). L’idée qu’un grand soir est encore possible doit céder le pas à une évaluation pragmatique des possibles, à une approche stratégique des alliances et une désignation claire des ennemis. Cette critique doit faire place dans les brèches ainsi ouvertes à des processus d’organisation nouveaux des territoires libérés, alliés à des temps d’intensification insurrectionnels, offrant de nouvelles fenêtres vers des basculements institutionnels.
(...)
L’objectif pour ceux qui luttent est avant tout de priver l’ennemi de ses moyens, de le forcer à abdiquer, et cela par tous les moyens. Cet objectif est parfaitement compatible avec une organisation égalitaire et dans le respect de la vie. Alors que nous sommes pris dans un rapport de force dissymétrique (culturel, institutionnel, militaire…) il faut nécessairement penser les actions et les campagnes militantes dans la durée.
(...)
Le premier temps, « l’organisation des réseaux » (les suivants étant « la guérilla » et « la guerre offensive ») correspond bien à notre situation je trouve. Cette première étape est essentiellement une phase de préparation. Les groupes (populaires ou clandestins) se multiplient, se structurent, s’entraînent, se connectent, développent leurs compétences physiques, matérielles et stratégiques. Les luttes de décolonisation pouvaient compter sur le soutien et le ressentiment populaires contre l’envahisseur colonial pour engager le renversement. Il est plus difficile de s’appuyer sur cette colère pour l’instant, étant donné qu’une grande partie de la population en Occident bénéficie encore des « bienfaits » de la croissance (issue de la destruction environnementale). Une des fonctions de la résistance aujourd’hui pourrait bien être d’appeler et d’accompagner (en formation, en livres, en outils, en refuges divers) les révoltes à venir afin d’éviter qu’elles ne s’éteignent, ne soient récupérées où qu’elles ne soient défaites le moment venu. Au-delà de cette phase de préparation, un des objectifs essentiels serait alors de défendre, de diffuser et de construire cette culture de résistance qui nous fait encore défaut et sans laquelle aucune lutte durable n’est envisageable. Comment se battre si nous ne parvenons pas à prendre conscience de l’ampleur des dégâts causés par l’ennemi ? Pendant cette première phase, les actions ne seront presque jamais décisives. Elles permettront aux groupes de gagner en compétence, de recruter et à la culture d’opposition de s’étendre par des campagnes de communication intense.
(...)
Dès lors qu’on s’installe sur un rond-point, qu’on organise une grève, qu’on forme un black block, qu’on ouvre un squat ou une cantine pour des migrants, cela permet de libérer de fait un territoire nouveau, même temporairement. Dans le cadre d’une action il peut s’agir de territoires plus stratégiques. Libérer une forêt. Une centrale à béton. Une route. Un aéroport et son bocage. L’approche territoriale est intéressante, car elle permet d’évaluer concrètement si une lutte est victorieuse. Si elle est en progression ou en recul sans trop se satisfaire des victoires symboliques. De ce point de vue, la domination du capitalisme se déploie au travers de quadrillages et d’infrastructures serrées et d’accaparements territoriaux sans fin.
(...)
Aujourd’hui on considère que s’en prendre à des objets, des choses ou des propriétés est un acte de violence. Il s’agit en réalité pénalement de simple vandalisme. Par contre la violence exercée contre le vivant et les humains par les États et les entreprises est elle bien réelle et éminemment plus « radicale ». Elle met en jeu des inégalités abyssales et détruit peu à peu toute possibilité de survie sur terre. Sans compter la souffrance infinie qu’elle impose aux humains et aux non-humains. De cette violence là, il semble que l’opinion s’accommode. Pas nous.
(...)
Vous expliquez qu’« un mouvement de masse est nécessaire, mais également improbable étant donné l’interdépendance de la destruction du vivant et de notre mode de vie et de confort “moderne”. » À quelles réactions s’attendre de la part des « masses » si on s’attaque aux infrastructures qui permettent leur confort ?
En matière de stratégie politique, il faut toujours avoir en tête comme objectif la reddition de l’adversaire ou l’amoindrissement de ses capacités de reproduction (transports, communications, système productif…). Cela permet d’ouvrir la possibilité d’un basculement institutionnel durable. L’objectif n’est pas de terrasser l’adversaire mais de préparer la paix qui suivra et notamment le basculement institutionnel qui en découlera. Une révolution n’est jamais l’affaire d’une petite élite. Elle n’a de sens que si elle est traversée par les collectifs à venir. Elle est toujours et fondamentalement une « révolution culturelle ».

Produire un certain nombre de désagréments sur une infrastructure vitale aujourd’hui peut être complètement contre-productif : on peut s’aliéner la population locale, augmenter la répression, mettre ses alliés en danger sans nécessairement obtenir de victoire effective. Earth First aux États-Unis déconseillait par exemple les coupures de courant et les dégradations de lignes à haute tension (ou de sous-station) pour ces mêmes raisons. Mais à l’inverse, utilisé de manière locale, cela peut avoir tout son sens.
(...)
Une perspective d’autonomie sur un territoire en lutte pourrait impliquer de ne plus dépendre des services de l’État. Si une population parvenait à atteindre un certain seuil d’autosubsistance et d’organisation sur un territoire suffisamment large, peut être que ce type d’action (sabotage d’infrastructure énergétique, de transport ou de communication) à grande échelle pourrait être favorablement accueilli. Cela me semble tout à fait souhaitable en tout cas, écologiquement et socialement.
(...)
Que pensez-vous des actions de désobéissance civiles non violentes qui ont pour l’instant la faveur des mouvements écologistes ? (type Greenpeace, Alternatiba, XR, Dernière Rénovation...)
Je pense qu’elles sont nécessaires, mais non suffisantes. Tout le livre plaide pour une réouverture du spectre des actions à dispositions et de la solidarité nécessaire entre les différentes sensibilités tactiques au sein du mouvement ecologiste. Si la désobéissance non violente devenait un principe moral exclusif (voire excluant), une stratégie indiscutable et presque métaphysique, alors il y a des chances que la discussion coupe court. À l’inverse si l’on se pense comme une longue chaîne de résistance, de groupes militants divers, mais poussant dans le même sens alors il y a intérêt à rouvrir les spectres de la « diversité des tactiques ». Pétitions, manifestations, plaidoyer, sit-in, désobéissance civile... Mais également : blocages, coupures, autonomie, ZAD, sabotages, actions directes, etc.

Une histoire du sabotage

- Une histoire du sabotage - Entretien avec Victor Cachard
Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l’instant rien des motivations des auteurs, c’est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cette excellente interview parue en janvier 2023. On y discute du sabotage comme pratique politique au fil de l’histoire, comme technique asymétrique contre l’ordre des choses, comme tactique voire comme stratégie contre le pouvoir. Pour cela nous accueillions Victor Cachard qui vient de publier deux livres importants aux éditions Libre : Emile Pouget et la révolution par le sabotage ainsi que le premier tome d’une Histoire du sabotage, des traines-savates aux briseurs de machines.

voir aussi :
- Sabotages des TGV : « C’est une arme efficace pour perturber l’ordre du monde » - Philosophe et chercheur sur l’histoire du sabotage, Victor Cachard loue l’« efficacité » des récents incendies contre les lignes de TGV. Il estime que la revendication publiée « permet d’engager la bataille des idées ».
(...)
J’ai été surpris par l’emballement médiatique et par son amnésie. En réalité, il y a de nombreux précédents. Le sabotage du réseau ferroviaire a toujours été utilisé dans les luttes et les conflits sociaux. Même si à l’heure actuelle, on ne sait pas encore qui sont les auteurs de l’attaque de vendredi, on sait depuis longtemps que le sabotage est une arme efficace pour perturber l’ordre du monde, bloquer les flux et entraîner une paralysie temporaire du système.
L’année dernière, en janvier 2023, en pleine période de contestation contre la réforme des retraites, un incendie volontaire en pleine nuit avait visé un poste d’aiguillage et avait réussi à stopper l’ensemble du trafic de la Gare de l’Est à Paris pendant deux jours. La réparation avait été plus difficile, plus lente et plus coûteuse que vendredi dernier.
(...)
On dit que ce sont des gens qui n’aiment pas la France et qui travailleraient en intelligence avec l’ennemi. C’est une manière de nier le fait qu’ils aient des convictions et de dépolitiser leur combat. C’est un refus de prendre au sérieux leurs revendications.
(...)
Quoi qu’on en pense, l’opération a fonctionné, elle a provoqué des dégâts et suscité des débats. Elle a ouvert des champs qui n’étaient pas assez questionnés. Moi, je trouve insupportable cette indignation à géométrie variable. Qu’est-ce que c’est, ces quelques heures de retard face aux morts des travailleurs sur les chantiers des JO qui ont été largement invisibilisés ? Qui en parle ?
Ce n’est pas la fin du monde, un train en retard ! C’est quand même moins grave qu’une organisation olympique qui célèbre les États-nations, pollue massivement et délocalise la misère. Il y a une légitimité derrière ces sabotages et une bataille intellectuelle à mener pour les faire comprendre.

(...)
Les encombrements matériels qui ont eu lieu sont infimes par rapport à la question politique d’intérêt général que soulèvent ces sabotages. Il n’y a eu aucun blessé, rien de grave, à un moment il faut arrêter. Le sabotage ouvre une fenêtre entre le pacifisme et la violence via la dégradation de biens matériels.
(...)

Sabotages et fibre optique

- Sabotages et fibre optique - Autour du Comité pour la Liquidation ou le Détournement des Ordinateurs (CLODO)
Dans la nuit du 25 au 26 juillet, quatre actes de sabotages [1] visant les infrastructures de la SNCF viennent de paralyser le réseau TGV français. Si nous ne connaissons pour l’instant rien des motivations des auteurs, c’est à tout le moins un gigantesque camouflet pour les services de renseignement français et une excellente occasion de republier cet article paru en mai 2022 qui revenait sur les activités du CLODO (Comité pour la Liquidation ou le Détournement des Ordinateurs) aux alentours de Toulouse dans les années 80. L’article relie quelques fils pour tisser une compréhension de la numérisation du monde qui inclut les sabotages auxquels elle se confronte en permanence au cours de son histoire.
(...)
En un sens, le cloud-computing d’aujourd’hui est une logique impériale qui ne se prétend distribuée que pour mieux masquer la centralité qu’elle impose à tout prix. Ce la même logique qui redonde les données, qui fait passer par d’autres chemins ce qui doit continuer de circuler si une trajectoire dysfonctionne ou se trouve sabotée. D’autres centralisations persistent.
(...)
Le réseau n’est distribué que pour être mieux centralisé, en cas de besoin. Le jeu des traces et des données continuellement recomposé dans les nuages de l’informatique fait en ce sens disparaître l’auto-destruction des machines auquel chaque sabotage aspire. Les boucles des réseaux d’internet se dédoublent indéfiniment pour que rien ne soit perdu, et c’est ce cycle de copies, de sauvegardes et d’archivages permanents qu’il s’agit d’interrompre à chaque tentative de sabotage, des machines en flammes vers l’auto-destruction. Dans Machines en flammes, les archives exposent leur destin vers l’auto-destruction. Comme le disait encore Nietzsche, « on en conclura immédiatement que nul bonheur, nulle sérénité, nulle espérance, nulle fierté, nulle jouissance de l’instant présent ne pourrait exister sans faculté d’oubli. ». Les actions du CLODO, elles, méritent de n’être jamais oubliée, les traces de leurs gestes ne prennent sens qu’au regard de l’auto-destruction des machines qui les guettent.
(...)


Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Partagez la page

Site réalisé avec SPIP | | Plan du site | Drôme infos locales | Articles | Thèmes | Présentation | Contact | Rechercher | Mentions légales | Suivre la vie du site RSS 2.0
Médial local d'information et d'expression libre pour la Drôme et ses vallées, journal local de contre-pouvoir à but non-lucratif, média participatif indépendant :
Valence, Romans-sur-Isère, Montélimar, Crest, Saillans, Die, Dieulefit, Vercheny, Grane, Eurre, Loriol, Livron, Aouste sur Sye, Mirabel et Blacons, Piegros la Clastre, Beaufort sur Gervanne, Allex, Divajeu, Saou, Suze, Upie, Pontaix, Barsac, St Benois en Diois, Aurel...
Vous avez le droit de reproduire les contenus de ce site à condition de citer la source et qu'il s'agisse d'utilisations non-commerciales
Copyleft