Derrière les tactiques géopolitiques de plusieurs Etats intéressés à une forme de statu quo, le retour en Syrie de comités populaires pour la démocratie "d’en bas". Seuls les peuples sauvent les peuples.
REVOLUTION EN SYRIE : DES COMITES POPULAIRES PARTOUT !
Ce que la révolution syrienne peut enseigner au monde – un fil de l’écrivain libanais Elia Ayoub
Comme je le rapporte, décris et illustre sur cette page depuis la chute de Assad, Elia Ayoub confirme une situation de double pouvoir qui se met en place en Syrie ; le pouvoir d’en haut avec la milice islamiste HTS qui essaie de recycler l’ancien appareil d’Etat d’Assad avec le soutien des Etats et media occcidentaux pour la défense de la libre entreprise comme le dit HTS lui même, et en bas, le pouvoir d’une multitude de comités populaires plus ou moins avancés suivant les régions, qui mettent eux en place une société démocratique de bas en haut et font vivre au quotidien l’avancée de la révolution. Pour le moment, ces deux embryons de pouvoir qui essaient de se structurer et renforcer, cohabitent tous les deux entraînés dans le mouvement de la révolution, mais ils s’affronteront d’ici peu, car ils représentent des mondes opposés, la contre révolution et la révolution.
TEXTE DE ELIA AYOUB :
« La révolution syrienne a commencé comme un soulèvement ascendant de la classe ouvrière depuis la périphérie, organisé par le biais des comités locaux de coordination (LCC). Ils mettent en place des conseils locaux dans les zones libérées qui se coordonnent pour fournir des services en l’absence d’État.
Ils ont vraiment vécu la vie sans l’État, et ils ont prospéré. Ils étaient la preuve vivante que non seulement cela peut être fait, mais que cela peut être amusant et significatif. Bibliothèques, cliniques, hôpitaux, écoles, soupes populaires et plus encore - tous organisés par les personnes appartenant à leur communauté.
Il n’y a rien de romantique dans tout ça. Il y a eu des défis, des hauts et des bas, des tas d’échecs, mais aussi une quantité extraordinaire de succès. L’anarchiste Omar Aziz a fait remarquer, à juste titre, que les Syriens duraient plus que la commune de Paris.
La première chose que les gens ont faite une fois que le régime s’est effondré a été de libérer les prisons. La carcéralité était largement comprise comme une composante centrale de l’appareil du régime. Il ne pouvait pas tuer tout le monde tous les jours dans la rue. Il a dû disparaître de force et tuer 100 000 pour briser les communautés. Et il a échoué.
En tant qu’anarchiste, je pense que tout effort, aussi imparfait, qui contribue à un monde plus libre doit être soutenu, même si c’est critique. C’est pourquoi je crois que la gauche, en gros, presque partout, a fait défaut aux Syriens.
Dans les 13 ans qui se sont écoulés depuis 2011, alors que les prisons continuaient d’être remplies et de devenir les enfers vivants que nous avons vus à Saydnaya, le mouvement anti-carcéral mondial a largement ignoré la Syrie Le mouvement occidental pro-palestine a attaqué et condamné les Syriens et les Syriens-Palestiniens pour se révolter contre Assad.
Le minimum absolu en ce moment est pour tous ceux qui n’ont pas écouté quand les cris étaient au plus fort - quand Alep est tombé, quand Homs a été décimé, quand Daraya a été vidé, quand Yarmouk était affamé, quand les enfants de Daraa ont été torturés, quand Ghouta a été gazé - d’être humble et de réfléchir.
Il y a maintenant beaucoup d’intérêt à s’assurer que ce qui vient après Assad est chaotique. Le Golfe ne veut pas de démocratie dans le monde arabe. Israël et les États-Unis ne veulent pas de démocratie dans le monde arabe. Turquie, Russie, Iran non plus. La dictature militaire égyptienne ? Pareil.
Cela n’inclut même pas les problèmes de l’intérieur. Le régime Assad a annihilé la gauche organisée pendant des décennies, décimé les syndicats. Ils ont sectarisé la population pour la diviser. Les défis à venir sont herculéens, mais cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent pas être surmontés.
Encore une fois, ce sont les personnes qui ont créé les conseils locaux et les comités locaux de coordination pendant qu’Assad et l’Iran, la Russie et le Hezbollah les assiégaient, bombardaient, gazaient, torturaient et disparaissaient. Ils ont organisé des élections dans des centaines de villages et de villes
La pitié et la charité ne sont pas ce dont on a besoin ici. Les commentaires inutiles « J’espère que ça n’empire pas » sont au mieux inutiles et au pire insultants pour ceux qui ont souffert sous Assad. Pire qu’un bambin né d’un viol à la prison de Saydnaya ? Des corps écrasés pour être jetés dans des charniers ? Bande de monstres.
Samir Kassir l’a compris il y a longtemps. La liberté en Syrie est liée à la liberté en Palestine est liée à la liberté au Liban (etc etc). Il n’était qu’un journaliste et un historien et pourtant si dangereux qu’il a été le *premier* à être assassiné par Assad au Liban après la mort du premier ministre Hariri.
Assad aurait pu tuer d’autres politiciens avec l’aide du Hezbollah, comme il l’a fait avec Hariri, mais non il a choisi le journaliste. Qui a été la 2e personne tuée après Kassir ? George Hawi, l’ex leader du parti communiste libanais. Ils créaient un nouveau mouvement ensemble.
Comme en Syrie, toute véritable alternative au statu quo a été assassinée ou disparue au Liban. Et en Syrie comme au Liban, tout Palestinien qui a osé lier la liberté palestinienne à la liberté des Libanais et des Syriens a été poursuivi avec toute la sauvagerie de l’État. Kassir était les 3 identités.
Mais ce que les Assadistes ont fait au Liban n’a toujours été qu’une fraction de ce qu’ils ont fait en Syrie. Au Liban, nous connaissons aussi bien leur Shabbiha. J’étais un enfant, mais je me souviens des voyous d’Assad - et ce n’était rien comparé à ce qu’ils faisaient en Syrie.
Il y a beaucoup de leçons à tirer de ce que les Syriens ont traversé. C’est une expérience ridiculement riche, désordonnée et compliquée, et n’importe qui peut en tirer des leçons. Les dictateurs peuvent être renversés. Les États peuvent être vaincus. L’impérialisme peut être vaincu. ’
14 décembre 2024
Photo en logo : Des grands révolutionnaires de Kafranbel, Idlib, 2012
(posté par Jacques Chastaing)
voir aussi :
- Syrie. La fin d’un État failli - Treize ans après un soulèvement réprimé dans le sang, le régime de Bachar Al-Assad est tombé. Dans la nuit du 7 au 8 décembre 2024, les milices rebelles sont entrées dans Damas, tandis que le désormais ancien président syrien s’enfuyait à Moscou. La rapidité et la facilité avec lesquelles les factions armées, composées entre autres du groupe islamiste de Hayat Tahrir Al-Cham (HTC) et de l’Armée nationale syrienne (ANS) — qui bénéficie d’un parrainage turc —, sont venues à bout du régime de Bachar Al-Assad sont déconcertantes.
D’Alep à Homs, en passant par Hama, les forces loyalistes n’ont opposé aucune résistance, tandis que leurs alliés iraniens ou russes semblaient comme des colosses aux pieds d’argile, fragilisés par les fronts ukrainien et libanais. Nous reviendrons plus tard sur l’aspect régional et géopolitique de ce tournant — un autre que connaît la région après la fin de la guerre israélienne contre le Liban. Mais à travers ce dossier, nous souhaitons d’abord montrer comment la Syrie s’est, au fil des dernières années, transformée en un État défaillant, ce qui explique la débâcle du régime. Son niveau de délitement et de dysfonctionnement était tel qu’il n’était plus capable d’assumer les fonctions qui fondaient normalement sa légitimité. Il payait aussi l’incapacité du régime d’Assad à opérer la moindre réforme. À travers les articles issus de nos archives et ceux plus récents, introduits par angle thématique, nous vous proposons un retour sur les treize années qu’a duré la révolte avortée transformée en conflit, qui montre cette déliquescence de l’État.
La chute d’une des plus vieilles dictatures du Proche-Orient signifie également la fin d’une relation privilégiée entre Damas et Téhéran établie en 1979 entre l’ayatollah Rouhollah Khomeiny et Hafez Al-Assad. Ce bouleversement porte aussi sur le devant de la scène un certain nombre de questions, à la fois sur l’identité des protagonistes de cette chute et de leurs parrains, sur l’effondrement de « l’axe de résistance » mis en place par l’Iran et sur le rôle qui sera joué par la Turquie dans les mois à venir et les répercussions de son ingérence en Syrie sur la minorité kurde. Sans oublier Israël qui, après avoir annexé le plateau du Golan en toute illégalité en 1981, a traversé, pour la première fois depuis 1974, la ligne de démarcation qui le sépare du reste du territoire syrien.
En attendant de répondre à toutes ces interrogations, nous ne pouvons que nous réjouir des images de prisonniers politiques libérés, à l’instar de ceux de la terrible et tristement célèbre prison militaire de Sednaya. Nous nous réjouissons également de la possibilité pour tou·te·s les exilé·es syrien·ne·s de retrouver leur terre natale, ce qu’ils et elles ont commencé à faire de manière massive. (...) - Djihad et/ou révolution - Comprendre politiquement Hayat Tahrir Al-Cham - Entretien avec le chercheur Montassir Sakhi - De 2015 à 2023, l’anthropologue Montassir Sakhi a mené une enquête au long cours auprès des engagés dans le conflit armé syrien, locaux et internationaux. A rebours de la vulgate qui se répand sur les plateaux télé, ses travaux déplacent les repères à partir desquels nous décryptons habituellement les engagements politiques comme les soulèvements ; il en a fait un livre passionnant, La révolution et le Djihad aux éditions La Découverte. Pour mieux comprendre la composition éthique, religieuse et politique de Hayat Tahrir Al-Cham, nous lui avons envoyé quelques questions.