Promenade en Amazon

Dans les entrailles du monstre déguisé en bisounours

dimanche 2 juin 2024, par Armand.

Quatre jours chez Amazon Montélimar : c’est Rock and Roll

Bienvenu en Amazon.

Il est 10h, bureau d’une agence d’intérim :
- « Alors je vous explique : comme vous êtes inscrit à notre agence, vous avez été sélectionné pour travailler chez Amazon. C’est un travail de manutention, tout le monde peut le faire. Ce que l’on vous demande c’est de la rigueur. Vous avez rendez-vous à 14h pour une formation, voici l’adresse...
14h pétante, tout le monde est là, sauf moi qui me suis un peut planté dans cette zone industrielle déprimante.
Du coup, je sonne à un interphone, le bâtiment est cerné de grillages et de portes de sécurité. Des passages comme dans le métro ou les cheiks-point de Palestine, qui ne tournent que dans un sens selon que tu sors ou tu entres. Je sonne.
- Vous êtes en retard !
- Oui, désolé, j’ai eu du mal à trouver l’entrée...
La personne arrive, ouvre à l’aide d’un badge.
- Observez bien, vous aurez le même si vous êtes retenue.

Après trois passages du même genre sous l’oeil des caméras de surveillances et de vigiles au regard soupçonneux, le gars m’amène à une salle de réunion dans un espace de la boîte d’intérim qui y a ses bureaux. Je découvre qu’il y en a plusieurs comme ça, de différentes boîtes.

La dame qui mène la réunion me regarde entrer d’un regard courroucé.
- Vous êtes en retard !
- Oui désolé je...
- On s’en fiche, asseyez-vous. Je reprends pour monsieur.

Je regarde la dizaine de personnes autour de la table. À croire que la sélection se fait sur les personnes au bord du gouffre : ça va du punk à chien (sans son chien) à la mamie dont la retraite ne lui suffit pas, en passant par des désespérés, des étudiants pour payer leurs études et des égarés comme moi qui ont juste besoin d’un complément pour payer le loyer du mois.

Après un discourt vantant les mérites et performances de l’entreprise, des consignes strictes, visite guidée.
On découvre là tout ce dont le génie humain est capable.
Chacun a un casier qui s’ouvre par un code, on doit tout mettre dedans (téléphones, clefs, papiers, etc.). On ne garde que nos vêtements.
Il y a en gros 3 sortes d’équipes : ceux qui remplissent les casiers des commandes clients, les « piqueurs » (poste qui m’est affecté), qui les prélèvent, et ceux qui font les paquets à expédier.

C’est un immense hangar avec des rayons à casiers formant des allées justes assez larges pour que deux chariots se croisent. Chaque allée est identifiée par A,B,C etc. Chaque casier par un code avec un N° et un code-barre.
C’est très ingénieux, on te confie un chariot, une fiche où sont indiquées les commandes, et une sorte de douchette comme dans les supermarchés. Elle a un petit écran qui t’indique les instructions : c’est relié à un ordinateur qui va te dire quel parcours suivre, de façon optimum, car tout est programmé en temps réel.

Elle t’indique « Allée B casier 123 » une foi que tu as trouvé l’objet à aller chercher, sur la fiche, tu scannes le code barre du casier et de l’objet, que tu mets dans le chariot, et la machine t’indique le casier suivant, sachant que l’ordi calcul pour que ton parcourt soit le plus court et rapide possible. Pas besoin de réfléchir.
Mais c’est aussi un mouchard, tu as des messages du genre : « Bernard, tu n’as pas piqué depuis 3 mn, un problème ? ». Avec le petit clavier, tu peux répondre « tout va bien ».

Quatre heures du matin, je viens prendre mon poste après avoir passé toutes les barrières, et aussi badgé à la pointeuse. De grands panneaux indiquent qui fait quoi et quel chariot t’est assigné. Une vingtaine de personnes tâche de trouver son chariot et sa feuille de route, avec un fond sonore de musique techno à deux balles.

Un manager prend alors la parole, avec sono et micro.
Allure décontractée, jean, t-shirt et basket, cheveux longs et l’allure cool. Pas 30 ans.

- On est lundi, on commence la semaine, la dernière n’a pas été terrible, bla bla bla..., alors cette semaine nous comptons sur vous ! On va faire un bon chiffre et remonter dans le tableau !.
Car oui, il ya un tableau qui chaque semaine mentionne le nom de celui ou celle qui a eu la meilleure performance. Mais ça n’ouvre à aucune gratification ! C’est juste le plaisir d’être en haut du tableau.
Le volume de la musique est à fond à cet instant.
- Alors nous comptons sur vous ! On y va ! Foncez !
On se croirait dans un meeting !
Chacun se précipite avec son chariot dans les allées, les yeux rivés sur l’écran de la douchette. Mais je suis bon dernier, je ne voudrais pas abîmer mon chariot.

En effet, le boulot n’est pas bien compliqué. Tu te balades dans les allées sur les instructions de la douchette, tu scannes l’objet, le code barre de la case et au suivant, ainsi de suite.
À la pause, vers 8h, rendez-vous dans une mini cafétéria avec distributeurs de boissons, gratuites ! J’essaye d’entamer la conversation avec quelques personnes. Échec : personne n’a envie de parler. Comme s’ils avaient honte d’être ici.

À midi direction la sortie.
Premier contrôle de badge en passant dans un passage sécurisé avec barrière comme à l’allée, ensuite au hasard les vigiles choisissent des gens qui doivent passer au détecteur comme dans les aéroports.
Et ouverture des vestiaires où tu peux retrouver tes affaires et voir la flopée de messages dans ton téléphone, et ton paquet de clopes !
Passé ce stade, deux nouveaux contrôles de badge pour ouvrir les portiques électroniques.

Ouf enfin dehors !
Le quatrième ème jour, ma douchette s’énerve : « Bernard, tu n’as pas piqué depuis cinq minutes ». Ben oui, j’avais profité d’aller aux toilettes qui ne sont qu’aux deux extrémités du hangar.
Quand j’en sors, un manager m’alpague gentiment : « Bernard, y’a un problème ? ». « Non, c’est juste que je suis allée aux toilettes »
« Bon alors retourne vers ton chariot et reprend le boulot ! »
Merde ! Je sais plus où je l’ai laissé ! Paumé je suis... Le manager revient vers moi, bon je vais te dire où il est. Et on le retrouve vite fait, sa douchette à lui sait qui est où !
Tout ça bien gentiment.

Mais deux heures plus tard, nouveau message de ma douchette : « merci de venir au bureau des managers rapidement ». J’y vais donc. En fait c’est pas un bureau, c’est un grand comptoir bourré d’ordinateurs qui est en face de l’endroit où on prend son service le matin.
« Bon alors Bernard, merci d’être venu, mais nous trouvons que tes performances ne sont pas à la hauteur de ce que nous attendons, tu avais deux jours pour t’adapter, mais là on ne constate aucune progression ».
« Vous voulez dire que je suis remercié ? ».
« Oui c’est ça, mais il te reste une heure à faire, merci de finir au mieux ».
« Ha, OK ».
J’ai fait mon heure restante à l’allure d’un escargot. À l’heure pile, je suis allé au bureau saluer les cadres, dire au revoir avec un grand sourire, « pas mécontent de quitter votre bagne ! Vous passerez le bonjour à Jeff Bezos de ma part... ».
Ils étaient tellement consternés qu’ils n’ont rien pu dire !
Pour un peu j’aurais éclaté de rire.

Voir en ligne : Il est temps de vous syndiquer les ami es !


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