« Mensonges renouvelables et capitalisme décarboné : Notes sur la récupération du mouvement écologiste »

mardi 11 juin 2024

Un livre pour déconstruire le rêve d’une société techno-industrielle écologiste et démocratique. A rebour de tout ce que racontent les médias dominants pour réduire l’écologie à une adaptation de la civilisation industrielle.

SORTIE OFFICIELLE

Mon livre « Mensonges renouvelables et capitalisme décarboné : Notes sur la récupération du mouvement écologiste » sort aujourd’hui en librairie. J’ai essayé d’y condenser l’essentiel de ce que j’ai appris depuis une dizaine d’années, depuis que j’ai commencé à m’intéresser aux problématiques écologiques.
Depuis que je suis enfant, j’ai l’impression que (l’équivalent de) plusieurs terrains de football de forêts anciennes sont détruits chaque minute. Peu de choses ont changé à ce niveau-là. Ce qui a changé, c’est l’ampleur générale et la diversité des dommages. Dans l’ensemble, tout ne cesse d’empirer. De plus en plus de plastique, de perturbateurs endocriniens, de substances cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, de « polluants éternels », sont disséminés partout. On retrouve du plastique dans les nuages, dans le sang humain, dans le lait maternel, au fond des océans, dans les nappes phréatiques. Partout. De moins en moins de forêts, de moins en moins de biodiversité, de moins en moins de cours d’eau ou de nappes non polluées, de moins en moins de sols en bonne santé. Le tableau est sombre.

Heureusement, il y a les écologistes n’est-ce pas ? Les écologistes, et toutes leurs organisations, comme l’UICN (l’Union internationale pour la conservation de la nature).
Manifestement : non. Ces organisations, qui existent depuis des décennies, sont largement incapables d’endiguer le désastre. Elles n’essaient pas vraiment. Elles ne peuvent pas. L’inefficacité de l’UICN, qui a plus d’un demi-siècle, est patente.
Et saviez-vous que la liste rouge des espèces menacées établie par l’UICN a pour principal sponsor la multinationale de l’automobile Toyota ? Rien d’étonnant.

L’essentiel du secteur de l’écologie (ou de ce que l’on présente ainsi) est financé soit par l’argent des États (« public »), soit par l’argent des entreprises (« privé »), soit par un mélange des deux. Quand on comprend que l’existence et la puissance des États et des entreprises dépend en grande partie de leur capacité à exploiter et ravager la nature, on comprend l’absurdité et l’impossibilité pour eux de mettre un terme au ravage du monde.

« Mensonges renouvelables et capitalisme décarboné : Notes sur la récupération du mouvement écologiste »

D’ailleurs, les principaux objectifs prétendument « écologiques » qu’ils fixent n’ont de fait plus grand-chose d’écologiques. La préservation de la planète, la défense de la nature, laissent de plus en plus la place à la « décarbonation ». Il ne s’agit plus d’arrêter de souiller ou d’anéantir l’environnement, mais de concevoir un capitalisme industriel dont les émissions de carbone seraient compatibles avec un climat viable. Ce qui a environ autant de chances d’arriver qu’une lettre au père Noël.

Mais peu importe. Au nom de la « décarbonation », la civilisation industrielle développe de nouveaux secteurs industriels (prétendument « verts »), produit de nouvelles marchandises (prétendument « durables »), et conçoit de nouvelles manières de produire l’énergie (prétendument « renouvelable ») dont elle a besoin pour continuer d’exister. Et de croître. Et donc pour continuer à dévorer la nature.
Bref. Contrairement à ce que prétend l’« écologie » mass-médiatique, Il n’existe pas de version écologique de la civilisation technologique. Et sans coïncidence aucune, comme j’essaie aussi de le souligner dans mon livre, il n’existe pas non plus de version (réellement) démocratique de la civilisation technologique. En même temps qu’il intensifie le caractère destructeur de la civilisation, le développement techno-industriel impose partout une dépossession croissante.

De plus en plus impuissants, isolés derrière des écrans, avec nos « identités numériques », on subit toutes et tous une conjoncture que personne ne contrôle vraiment. L’existence et le développement du système techno-industriel impliquent des divisions et des spécialisations du travail et des chaînes logistiques bien trop complexes, minutieuses et étendues pour être organisées démocratiquement. Industrialisme rime avec autoritarisme. La civilisation industrielle, c’est un peu un avion sans pilote dans lequel nous sommes toutes et tous embarqué·es, et dont le moteur est alimenté par notre entr’exploitation généralisée et la destruction de la nature (et où les riches sont en classe affaire avec champagne, parachute et gilet de sauvetage).

Et d’autres choses encore. Tu verras bien.

LA GAUCHE, L’ÉCOLOGIE ET LA DISSONANCE COGNITIVE

Lorsqu’ils réalisent les sombres réalités de la prétendue « transition écologique » ou énergétique, les implications écologiquement délétères du développement des technologies de production d’énergie dite « renouvelable » et des technologies dites « vertes » en général, beaucoup de gens « de gauche » entrent en dissonance cognitive. Incapables de renoncer à l’idée sacro-sainte du « développement », de se défaire du mythe du progrès, incapables d’envisager qu’il soit à la fois nécessaire et désirable de renoncer à l’industrialisme, ils se mettent à proférer des incantations absurdes.

Pour exemple, prenons le numéro intitulé « Transition “verte” et métaux “critiques” », paru en juin 2023, de la revue Alternatives Sud éditée par Syllepse et le Centre tricontinental (CETRI).
Le CETRI, basé à Louvain-la-Neuve en Belgique, a « pour objectif de faire entendre des points de vue du Sud et de contribuer à une réflexion critique sur les conceptions et pratiques dominantes du développement à l’heure de la mondialisation néolibérale ». De même que la revue qu’il édite, le CETRI appartient au mouvement qu’on appelle « altermondialiste », qui se compose de celles et ceux qui, au lieu d’envisager une alternative à la mondialisation, croient ou espèrent qu’une mondialisation alternative est possible, c’est-à-dire une autre civilisation techno-industrielle, un autre système économique global, un autre capitalisme : durable et équitable.
Dans ce numéro, des universitaires, chercheuses, chercheurs et/ou militant·es exposent divers dégâts sociaux et écologiques liés à la prétendue « transition écologique » : destructions et pollutions d’écosystèmes par l’industrie minière en vue d’obtenir du lithium, du cobalt ou d’autres minerais ; impacts sur les moyens de subsistance des populations locales ; spoliations ou évictions des populations locales, de sociétés autochtones, et ainsi de suite. Pour décrire ces phénomènes, elles et ils parlent à juste titre de « colonialisme vert » et « d’extractivisme vert ». La supposée « transition écologique », c’est le business as usual du capitalisme industriel. Effectivement.
Mais après avoir exposé les mensonges débités au nom de ladite transition, après avoir montré ce qui se cache derrière les technologies de production d’énergie dite « verte », « propre », « renouvelable » ou « décarbonée », derrière les technologies dites « vertes » ou « propres » en général, après avoir décrit les nuisances liées aux activités minières, le caractère mensonger du concept de « mine durable », toutes et tous s’accordent cependant à penser qu’il est « illusoire de croire que l’on pourra se passer des mines ». En effet, afin d’« atteindre la neutralité carbone », de « satisfaire la demande énergétique » et de « pourvoir aux besoins des pays en développement, il faudra continuer à extraire une certaine quantité de métaux et minéraux ». Mais « il faudra alors aussi en répartir équitablement les coûts et bénéfices. Et cela suppose de relocaliser une partie de la production minière dans le Nord, quelles que soient les craintes, réticences et résistances qu’y susciterait l’ouverture de nouvelles mines. »

Oui, rien n’est réellement écologique, durable, soutenable, dans l’industrialisme, dans la « transition ». Oui, aucune technologie dite « verte » ne l’est réellement. Mais c’est pas grave, il faut quand même continuer avec le mode de vie industriel. Pas le choix. Il faut des mines. Mais pour que ce soit plus juste, au lieu de ravager les écosystèmes et de polluer là-bas, on a qu’à ravager les écosystèmes et polluer ici.
[…] Partant du principe qu’il faut des mines, qu’il faut perpétuer le mode de vie industriel et même l’universaliser, l’offrir à celles et ceux qui n’en bénéficient pas encore, [les auteurs de la revue] estiment que « la question cruciale » est alors « de savoir dans quelles conditions politiques cela se produira ». Ainsi, tout ce qu’ils peuvent encourager, c’est « d’atténuer l’impact écologique » et « les impacts sociaux et économiques de l’exploitation minière », par exemple en encadrant « cet extractivisme vert qui s’annonce par une législation stricte en matière de politique environnementale, démocratique et sociale ». La destruction, d’accord, mais encadrée par des lois et des règlements. Les auteurs ne se font pas d’illusion. Il est admis que les lois ne peuvent au mieux que réduire l’étendue des dommages. Au nom de la « transition », mais d’une transition prétendument « juste et inclusive », il est donc acceptable de continuer à endommager la planète.

Autre moyen d’atténuer les dommages. Selon une chercheuse ayant contribué au numéro, si les extractions minières qui prennent place dans les pays du Sud économique pour le développement des technologies dites « vertes » ou « propres », par exemple les extractions de lithium, s’accompagnaient d’une « création de chaînes de valeur », c’est-­à-­dire si les pays du Sud traitaient le lithium et produisaient eux-­mêmes des batteries, cela « pourrait, dans une certaine mesure, compenser les dommages causés à la population et à l’écosystème ». Autrement dit, si les populations locales gagnaient un peu d’argent, obtenaient des emplois, si l’économie locale bénéficiait un peu plus des activités minières liées à la « transition », alors la dégradation des écosystèmes et l’épuisement des ressources, ça vaudrait le coup. Du moment que la production de valeur (économique) est à peu près correctement redistribuée, qu’on crée de l’emploi, la destruction du monde, ça se défend.

C’était un extrait de mon livre, que vous pouvez commander ici : https://www.editionslibre.org/produit/mensonges-renouvelables-et-capitalisme-decarbone-notes-sur-la-recuperation-du-mouvement-ecologiste/

(deux publications de Nicolas Casaux)


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