Lettre à ma fille racisée

Face à la normalisation du projet fasciste et de la possible victoire de l’extrême droite aux élections législatives, j’ai repris la plume pour écrire une lettre à ma fille que je n’ai pas encore, afin de lui expliquer et de m’excuser de la société dans laquelle je vais la faire vivre. Cet enfant, mon enfant, que je défendrai toujours face au racisme des vôtres.

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Ma fille, il te faudra quelques années avant de pouvoir lire cette lettre, encore un peu plus pour en comprendre le sens. Par cet écrit, je voudrais m’excuser pour le monde dans lequel je vais te faire vivre.

Ma fille, Khadjia, Enas, ou Layla, je ne sais pas encore le prénom que tu porteras, d’autant plus que je dois encore convaincre ta mère de te donner l’un de ces noms (rire)... Si tu seras la fille d’un père blanc, tu seras aussi la fille d’une mère algérienne et syrienne, et dans notre société française, cette diversité culturelle n’est pas au beau fixe.

Dans quelques jours, le Rassemblement national arrivera sans doute au pouvoir pour une durée indéterminée. Laisse- moi te dire quelques mots à son sujet. Le Rassemblement national est un parti politique fondé en 1972 à partir du mouvement fasciste « Ordre nouveau ». Sa création repose sur la participation de plusieurs hommes : Pierre Bousquet et Léon Gaultier, tous deux soldats de la Waffen-SS durant la seconde guerre mondiale ; Roger Holeindre, membre de l’Organisation de l’armée secrète (OAS), un groupe terroriste colonialiste visant à empêcher l’indépendance de l’Algérie ; François Brigneau, membre de la « Milice », une organisation paramilitaire française créée par le régime de Vichy à la demande d’Adolf Hitler pour lutter contre la résistance française ; Alain Robert et Roger Holeindre, tous deux membres de l’ « Ordre Nouveau » ; et pour finir Jean-Marie Le Pen, président du parti de 1972 jusqu’à 2011, c’est-à-dire quelques années après avoir torturé un grand nombre de militants anticoloniaux pendant la sale guerre d’Algérie.

Comme tu peux le voir, la création du Front National, devenu Rassemblement national en 2018, ne repose sur aucune ambiguïté : introduire des idées fascistes sur l’espace public grâce à la voie politique institutionnelle. Aujourd’hui, il ne faut pas se tromper, ce parti n’a pas changé. On peut couper la hauteur des fleurs, les racines resteront toujours les mêmes. Le Rassemblement national aux commandes du pouvoir d’Etat, c’est le retour aux heures sombres de notre histoire. C’est l’affirmation d’un projet fondé sur la discrimination et l’inégalité des droits. Les immigrés, les réfugiés, les français non blancs seront les premiers attaqués dans leurs droits fondamentaux. Puis ce sera le tour des homosexuels, des trans, des femmes, des chômeurs, des ouvriers, la liste est longue.

Tu sais ma fille, l’histoire sociale française, comme européenne, nous révèle que la bourgeoisie est prête à s’allier au fascisme pour maintenir son pouvoir sur l’économie et sur l’Etat. Elle est prête à matraquer, à mutiler, à tuer. Entre le fascisme et la démocratie, le nationalisme et le socialisme, son choix n’a rien d’ambiguë : « Hitler plutôt que le Front Populaire » martelait le patronat à la fin des années 30. Rien ne semble changer aujourd’hui. La bourgeoisie, représentée à l’Assemblée par la quasi-totalité des partis politiques, est prête à mettre au pouvoir un parti politique qui va s’attaquer aux droits fondamentaux des êtres humains tant que les rapports de production resteront inchangés.

Aujourd’hui c’est près de 10 millions de personnes qui sont prêtes à mettre l’extrême droite au pouvoir. Autrement dit, ma fille, je fais te faire vivre dans un pays où 10 millions de personnes te refusent le droit d’exister telle que tu es, en raison de ta couleur de peau, de ton nom, de ton héritage familial maternel. Tu devras vivre avec ces 10 millions de personnes qui seront autour de toi et qui te refuseront le droit fondamental duquel tous les autres découlent : le droit à la dignité humaine. Tu vas me demander ce qu’ils te reprochent ? Le fait d’être là, tout simplement.

Comment est-ce qu’on en est arrivé là ? Je peux te donner quelques éléments de réponse. Depuis le milieu des années 70, la France a connu une transformation de la société salariale marquée par une précarisation croissante des relations de travail, un chômage de masse, une désindustrialisation qui envoie les classes populaires dans les ravages de la survie économique, une augmentation des inégalités sociales, l’apparition de nouvelles formes d’exclusion et un maintien toujours croissant de la pauvreté. Face à ces questions sociales, la gauche institutionnelle a abandonné les classes populaires. Par ailleurs, il faut ajouter aussi une surexposition du Rassemblement National dans les médias, dont ces derniers ont œuvré à sa normalisation. Tous ces phénomènes macrosociaux expliquent, en grande partie, le vote pour l’extrême droite.

Cependant, ce tableau n’est pas complet. En réaction à ces problématiques économiques et sociaux, la droite et l’extrême droite ont construit un responsable de tous les maux de la société française, une altérité sur laquelle on peut déposer sa colère, ses angoisses, ses déceptions, sa haine : cet autre est l’étranger, plus précisément les personnes non blanches en général. A travers ce nouveau coupable, on a construit un discours stigmatisant basé sur une dénonciation de l’assistanat ou le pillage : s’il est pauvre, au chômage, et/ou allocataire de prestations sociales, alors il profite du système social de la France ; s’il détient un travail, alors il le vole aux français. Tu l’auras compris, peu importe la situation, le problème c’est sa présence sur le territoire national.

Le vote RN est composé d’une grande hétérogénéité, même si on peut en retirer des éléments structurants : on retrouve les gens qui ont une grande méfiance envers la politique politicienne , un électorat ouvrier abandonné par la gauche , un milieu rural oublié face à la métropolisation du pays , des individus détenant un faible niveau de diplôme, mais surtout, un électorat qui fait une fixation sur les immigrés non européens et leurs descendants.

Tu vois, ce qui est incroyable ma fille, c’est que les personnes qui seront, elles-aussi, discriminées par l’extrême droite sont tout de même prêtes à la mettre au pouvoir. Par exemple, environ 30 % des homosexuels en 2022 auraient voté pour Éric Zemmour, Marine Le Pen ou Nicolas Dupont-Aignan, malgré que ces derniers soient opposés à la PMA et au mariage pour les couples homosexuels. Ce qui faut comprendre ma fille, c’est que même des gens discriminés sont prêts à mettre sous le tapis leurs droits au regard de leur détestation des personnes racisées.

D’aucuns te diront que l’extrême droite a un volet social : les retraites, le pouvoir d’achat, les animaux etc. Mais c’est là une stratégie essentielle de l’émergence de fascisme. Il promet l’amélioration de la situation des uns grâce à la dégradation sociale des autres. Il différencie, sépare, hiérarchise et oppose les classes dominées entre elles en construisant un « Nous » face à la dangerosité du « Eux ». L’émergence du fascisme, c’est réussir à convaincre, ou du moins, à faire voter, une masse hétérogène d’individus face à un ennemi commun : l’immigré, en ajoutant leurs descendants malgré leur nationalité française, faisant d’eux des étrangers de l’intérieur. Mais il ne faut pas se tromper, si la matraque tombe en premier lieu sur les lèvres non-blanches, c’est l’ensemble des groupes sociaux dominées qui subiront le même sort dans un second temps.

Ma fille, le racisme, la discrimination, l’inégalité raciale, sont des choses que tu devras affronter. Tu feras partie des ces « autres ». Tu vivras autour de ces 10 millions de personnes et dans une société dont le Racisme d’Etat te refuse le droit d’exister pour ce que tu es. Je ne veux pas te faire de la peine, encore moins te faire peur, mais la domination blanche avance de plus en plus vers son paroxysme. Ta mère voudrait un prénom non-magrébin afin que tu subisses moins de discrimination, mais malgré n’importe quel subterfuge, tu seras toujours marquée par le sceau du stigmate. Tu rencontreras sur ton passage ces regards malaisants, parfois plein de haine, exaltés de mépris.

Mais je voudrais te dire une chose, ma fille, tu n’auras jamais à avoir honte de toi, de ce que tu es, de ton héritage. Tu seras aussi forte que ta mère, aussi fière qu’elle de son héritage multiculturel. Nous lutterons chaque jour pour transformer les rapports sociaux face aux discriminations multiples que nous subirons dans la famille : racisme, domination masculine et validisme. L’engagement pour le socialisme réel, pour l’idéal communiste, trouveront d’autant plus de sens face au projet fasciste en cours de normalisation.

Cependant, ma fille, je dois à nouveau m’excuser si je n’arrive pas à te préparer à subir le racisme des autres. Mais sache ma fille, qu’un jour la puissance de nos cœurs sera plus forte que les voix nationalistes qui s’exclament aujourd’hui.