L’engagement et le militantisme sont difficiles, et beaucoup plus encore pour les femmes :
Le partage des tâches reste sexiste dans les milieux militants
La répartition des tâches dans les associations, ONG ou syndicats sensibilisés à la question féministe est un peu plus égalitaire. Mais les femmes pointent le chemin restant à parcourir.
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Le point noir le plus critique demeure celui des publications et productions intellectuelles. Le conseil scientifique propose un magazine intitulé Les Possibles, où les signatures sont très largement masculines. « Comme on ne participe pas, ou peu, à l’élaboration de l’expertise, on va davantage hésiter si l’on est sollicitée. Parfois même, on a l’expertise, mais on n’ose pas le dire. »
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« Les femmes sont dans le concret, comment fait-on pour telle action, etc. Elles synthétisent, explique la sociologue. Les hommes, souvent pétris d’un très fort sentiment de légitimité, vont davantage partir dans de grandes envolées ou des réflexions personnelles. » Quitte parfois à reprendre à leur compte les propos précédemment énoncés par une camarade.
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« Mettre en avant tous ces enjeux n’est pas simple, soupire Alice Picard, d’Attac, où il existe un groupe de travail “antisexisme”. Il faut du temps. » Beaucoup de temps… que les femmes n’ont pas, accaparées par la sphère privée et la charge mentale quotidienne associée. Dans ces conditions, la question de la militance et du temps à y consacrer peut être secondaire.
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Lors de ses recherches, elle a remarqué que les carrières des hommes s’ancraient souvent dans un « multipositionnement ». Autrement dit, ceux-ci sont impliqués parallèlement dans plusieurs associations, syndicats, collectifs ou partis. Ils vont cumuler, là où les femmes vont s’engager à un seul endroit.
Les conséquences de ce multiengagement masculin sont désastreuses pour les femmes. « Les hommes vont acquérir de multiples connaissances, se former, se créer un réseau, prendre des responsabilités. Même dans les lieux où la division sexuelle est modérée, le multipositionnement des hommes va jouer sur leur assurance et leurs réseaux », analyse Sophie Rétif.
La chercheuse souligne par ailleurs que dans les milieux de gauche, « l’exigence intellectuelle attendue peut être intimidante », venant renforcer le sentiment d’illégitimité des femmes, alors qu’en face, le surinvestissement des hommes les conduit à une forme de « semi-professionnalisation ». Pour sa consœur Auréline Cardoso, il y a là une question « éminemment politique : qui a le temps et les possibilités de militer ? »
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Car penser ce qui ne va pas, ce qui est améliorable, est chronophage. « On aimerait avoir du temps, nous aussi, pour faire des tâches valorisantes, sauf qu’on doit faire tout ce travail féministe… qui prend du temps », résume Alice Picard, d’Attac. « Rien n’empêche les hommes de se saisir et de réfléchir à ces enjeux », dit Maud, de L214.
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- Le partage des tâches reste sexiste dans les milieux militants
Compléments
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- Le partage des tâches reste sexiste dans les milieux militants