Le fantasme ancien de se déliver des réalités de la souffrance, des nécessités matérielles de la vie, de la mort et de la vie politique a mené la civilisation aux tyrannies techno-industrielles étatisées, puis à l’envie de se passer de la liberté, de la pensée et de la vie elle-même.
Quelques analyses et références indispensables dans la guerre des mondes en cours, pour comprendre la « nouvelle » ligne de fracture, le « nouveau » front politique.
La volonté d’être délivré des conflits politiques et des tâches de subsistance matérielle mène aux tyrannnies, aux guerres et aux carnages de masse
Si l’Etat peut aussi facilement fusionner avec le Capital et ses mercenaires aux dents longues c’est que l’Etat poursuit son rôle de serviteur de l’Ordre des puissants et de leurs valets, qu’il s’agisse du capitalisme privé ou du capitalisme d’Etat (stalinisme, Chine actuelle).
- En finir avec le fantasme de la délivrance au lieu de se transformer en zombies cyber
- Laisser la main à l’Etat-capitalisme et à la techno-industrie mène aux pires dystopies (peinture de KarlKopinski)
Et surtout, n’oublions pas que si l’idéologie capitaliste triomphe si bien, si mandat est laissé à l’administration autoritaire d’Etat, si les choix de société sont abandonnés aux experts, managers et élus, c’est parce que l’immense majorité des civilisés continue d’adhérer à fond aux principes de la délivrance (voir l’excellent livre de Aurélien Berlan : « Terre et liberté ») vendus par la techno-industrie et ses prêtres de droite ...et de gauche.
Le fantasme de la délivrance consiste à se concentrer sur une liberté (libérale, limitée et à présent détruite par la surveillance numérique totalitaire) réduite à l’espace privé, c’est se focaliser sur la consommation et les prétendus choix infinis des loisirs et plaisirs privés élargis à internet et bientôt au Métavers, le choix de la délivrance laisse toute la place aux tyrannies capitalistes et étatisées et à leurs requins petits ou gros.
La volonté de délivrance de la vie politique (via l’Etat, les représentants et les experts) et de la réalité d’animal terrestre (via l’industrie, les machines et les énergies), c’est au final être soumis aux désastres climatiques/écologiques/sociaux, totalement dépendant à l’Etat-capitalisme, soumis à la techno-industrie, et privé de libertés y compris dans l’espace privé contrairement à ce que vendait l’idéologie libérale.
La volonté de fuir les réalités incontournables et pénibles de la mort, de la souffrance, de la difficulté et des conflits de la vie collective a mené à une « société » termitière régit par l’Etat-capitalisme, par la cybernétique, par les IA et les robots.
C’est ce qui a mené à Macron, à la démocrature, au capitalisme mondialisé, au règne de l’Argent, de la Propriété et du Travail.
Comme le dit A. Berlan, cette envie de « délivrance » annule à la base la devise « liberté, égalité, fraternité », qui n’a plus aucuns sens ni assise.
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Le techno-monde crée ses bulles dans le désert qu’il a créé
Pourtant, d’autres voies seraient possibles, souhaitables et désirables :
« Dans ce mode de vie fait de cueillette et glanage, jardinage et petit élevage, partage et transformation des surplus, chantiers collectifs et entraide entre voisins, économie informelle et commerce parallèle, j’ai trouvé une immense liberté. Non pas celle de suivre tous mes caprices, “si je veux quand je veux”, mais celle de ne pas être pris dans un tourbillon d’injonctions sociales. Non pas celle de “ne travailler jamais”, comme le rêvent tant de gauchistes pour qui la liberté s’identifie au farniente, mais celle de ne pas perdre ma vie à la gagner, en accomplissant des tâches monotones dans un cadre hiérarchique. Derrière la critique du travail, on confond souvent le salariat (le travail payé, discipliné, morcelé) et toute forme d’activité éprouvante liée à la subsistance quotidienne. Mais ce n’est pas l’effort en tant que tel, même quand il est intense, qui est pénible et assommant ; c’est le fait qu’il soit imposé par autrui et que son caractère spécialisé fasse obstacle à l’expression de la diversité de nos facultés. Liberté donc, pour pasticher une célèbre formule du jeune Marx, de faire du potager le matin, de rénover un bâtiment l’après-midi et de philosopher le soir. »
– Aurélien Berlan, Terre et Liberté : la quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, 2021.
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- Le sport 3.0, pour que les humains plongés dans le virtuel H24 gardent leurs muscles à peu près en état
L’imaginaire pathologique de la modernité occidentale
Le « philosophe-jardinier » Aurélien Berlan signe un brillant ouvrage qui je crois parlera aux déserteurs d’AgroParisTech ainsi qu’aux personnes touchées par leur geste de défiance vis-à-vis du système industriel. Il y dissèque l’imaginaire pathologique de la modernité occidentale et nous explique pourquoi le fantasme de délivrance, central dans la religion du Progrès embrassée d’un bout à l’autre du spectre politique, reproduit les conditions matérielles à l’origine du carnage écologique.
Ce livre n’est pas un traité de stratégie, mais l’auteur ne manque pas de souligner que la quête d’autonomie implique de rentrer "en conflit ouvert avec la société industrielle et ses administrations.
Dans la conclusion, il insiste sur l’urgence de la situation. Plus le système industriel progresse, « plus il détruit nos conditions de vie, qui sont aussi celles de notre autonomie, dans une politique de la terre brûlée faisant que nous pourrons de moins en moins survivre sans prothèses technologiques. On ne peut pas espérer que l’effondrement écologique conduise à celui du système économique qui le provoque : le plus probable est qu’il renforce ce système qui, depuis longtemps, se nourrit des nuisances et des crises qu’il engendre. »
Conférence d’Aurélien Berlan à voir ici : https://lnkd.in/ekxtepu4
Le podcast Floraisons propose plusieurs épisodes sur le livre de Berlan : https://lnkd.in/epxYR7Ee
(Post de Philippe Oberlé)
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Survivre dans un cocon virtuel biberonné au sein de la mégamachine ?
Etre délivré de la pensée, de la liberté et de la vie elle-même
A présent, après la (pseudo) délivrance des activités de subsistance matérielle par les machines, le capitalisme et l’énergie (pour une partie des gens seulement, et avec des conséquences sur la biosphère terribles), après la délivrance des difficultés de la vie collective et de la politique par l’Etat et la caste des représentants/technocrates, les civilisés en arrivent à la délivrance de la pensée et de la liberté par l’avènement des rationnalités cybernétiques (IA) et des algorythmes adossés au Big Data. Les logiciels pensent pour nous et orientent nos « choix », quand ils ne prennent pas directement les décisions.
En voulant se délivrer des difficultés inhérentes à la vie, on en arrive à se « délivrer » de la vie elle-même, à se transformer en ectoplasme vide, en zombie, en pseudo-machine, qui erre abrutie entre l’infinité des « choix » distrayants fournis industriellement par les machines et les logiciels connectés, qui jouit mécaniquement d’une marchandise à une autre, qui, en réalité, ne vit plus rien, ne ressent plus rien, ne crée plus rien.
Le civilisé devient ainsi une marchandise morte qui s’échange et est gérée tout comme les autres marchandises mortes dans les flux tendus de la logistique techno-capitaliste, mortes mais agitées de multiples soubressauts stimulés électroniquement, un peu comme une grenouille décérébrée.
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- La ville virtuelle ou réelle se mélange
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Fuir la réalité et le corps plutôt que l’assumer et faire au mieux
Plus généralement, cette volonté radicalisée de délivrance des contingences naturelles et politiques provoque une destruction de la biosphère et à son remplacement par un techno-monde cybernétique fabriqué par et pour les machines, les robots et les logiciels.
Pour le techno-capitalisme les processus naturels et les animaux issus de l’évolution ne sont pas assez performants et entravent les rêves de délivrance de la mort et de la souffrance ainsi que les besoins de croissance et de rentabilité, alors les techno-sciences s’évertuent (par les NBIC) d’aller au coeur des gènes et de la matière pour « recréer » sur mesure un monde selon les exigences délirantes et impossibles de la civilisation industrielle.
C’est donc du « fantasme de la délivrance » qu’il nous faut nous délivrer. Ainsi, il sera possible de vivre, de vivre en se libérant des structures qui vont avec ce fantasme (l’Etat-capitalisme, la civilisation industrielle), et de vivre plutôt bien si on évacue les systèmes de dominations, les carcans hiérarchiques, si on fait vivre une autonomie de subsistance et une vie politique intense.
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Fuir la réalité sordide dans des mondes de synthèse ou des captations des zones préservées
Voici certaines critiques envers le livre « Terre et liberté », dans deux articles :
1. À propos de « Terre et liberté » d’Aurélien Berlan, par Anselm Jappe (recension)
Cet article indique qu’il manque dans « Terre et liberté » une part de la critique de la valeur et de la critique de l’argent. Peut-être que ça aurait pu éclairer les passages sur l’industrialisme, le travail.
L’article dit aussi que la notion d’auto-défense en contexte d’autonomie n’est pas assez creusée (point soulevé aussi dans l’article cité ci-dessous).
Anselm Jappe dit aussi que la quête de la délivrance fait partie de l’humain tout comme l’autonomie.
C’est juste, face au mystère de la mort et aux difficultés de la souffrance les humains ont forcément envie de trouver des issues, des baumes.
Même si on arrive un jour à faire tout ce qui est possible pour faire vivre des sociétés sans dominations ni exploitations, où chacun.e pourrait vivre de manière digne et s’épanouir, où donc les souffrances diverses seraient fortement diminuées, le problème perdurerait. La conscience des réalités ne peut pas s’effacer.
Il faudrait donc (re)trouver d’autres voies que les machines, la cybernétique et le transhumanisme pour s’aider à s’accomoder des souffrances, des angoisses et de la mort qui font inévitablement partie de la vie.
Par exemple (re)développer des rituels, des formes de spiritualités, des expressions artistiques, des carnavals, des transes... car on constate que les solutions proposées par la science et la raison pure ne suffisent pas à calmer les angoisses métaphysiques et mènent souvent à des développements hyper-technologiques voire transhumanistes indésirables et posant de graves problèmes.
L’isolement individuel dans la cybernétique pourrait même accentuer les angoisses (suites aux confinements, les maladies mentales et suicides ont augmenté), un peu comme les drogués doivent augmenter les doses. A la place, il faudrait plutôt un surcroît de relations, de créativités, d’échanges humains...
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Imiter les machines à défaut de pouvoir en devenir vraiment une
2. Comment appréhender intelligemment l’effondrement de l’État-nation ? (...) Même Aurélien Berlan, qui se défend pourtant d’être un « gauchiste » assimilant la liberté à l’oisiveté, dit des choses contradictoires sur le survivalisme. Dans le dernier chapitre de Terre et Liberté, il écrit d’abord que « le “subsistantialisme” est aux antipodes politiques du survivalisme des apprentis Rambo qui se préparent à l’effondrement dans leurs bunkers privés ou dans leurs “bases autonomes durables”. » Puis, quelques pages après, il rapporte qu’autrefois la paysannerie était incapable de s’organiser pour assurer sa défense, que cette faiblesse explique son asservissement systématique par les classes dominantes à la tête des États. (...) Terre et Liberté un bon livre de philosophie politique, mais un livre qui laisse à désirer sur le plan stratégique. Ce livre ne nous donne pas d’éléments pratiques pour réaliser concrètement le projet de société hautement désirable porté par Aurélien Berlan.
- La volonté de délivrance des réalités difficiles de la vie et de la politique mène aux tyrannies de la techno-industrie, de l’Etat et du Capital
- Loin du monde, loin de la vie
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