La dictature est dans la démocratie libérale représentative occidentale, et inversement

Faire tomber les préjugés sur la dictature et sur « la-démocratie », pour voir leurs convergences

dimanche 30 juin 2024, par Camille Pierrette.

Une interview essentielle et éclairante, qui brise une fois de plus les illusions sur « la-démocratie » (libérale, occidentale, élective, oligarchique, représentative) et sur les remparts qu’elle serait sensée offrir à l’avènement d’une franche dictature.

N’en manquez aucune miette sous aucun prétexte ! (extraits plus bas avec l’article « Macron peut-il prendre les pleins pouvoirs en activant l’article 16 ? »)

Macron peut-il constitutionnellement prendre les pleins pouvoirs ? Eugénie Mérieau
par [lundimatin->https://www.youtube.com/@lundimatin3299]
https://youtu.be/TBQIWl6CZxc

- Les livres et analyses d’Eugénie Mérieau (juriste, politiste, constitutionnaliste, enseignante) mettent en lumière les grandes similitudes et convergences entre les démocratures (« démocraties » libérales) et les dictatures.
On voit aussi que la Chine pourrait être le « nouveau » modèle des puissants, avec sa méritocratie, son capitalisme d’Etat stable et prospère, sa capacité à imposer les (pseudos) transitions énergétiques.
Quitte à subir un régime autoritaire, certains pourraient se dire : autant avoir une franche dictature comme en Chine et avoir au moins la prospérité matérielle et « la-sécurité ».
D’autant que les dictatures « agiles » s’accomodent très bien de l’économie de marché, des élections, des médias, de la promotion de la paix, etc.

Eugénie Mérieau explique que la « démocratie » libérale est née sous état d’urgence, que l’état d’exception est sa matrice, et que sous ce régime pollitique (qui se veut universel, indépassable et rationnel) la liberté (la démocratie) de quelques uns est liée/conditionnée à la domination (l’absence de droits, la dictature) de nombreux autres.

Et que les Constitutions des régimes libéraux dits démocratiques portent en eux la possibilité de la dictature généralisée. C’est le cas notamment en France, où, après les salves de 49-3, des tyrans tels que Macron pourraient s’auto-octroyer les pleins pouvoirs via l’état d’urgence et l’article 16 pour refaçonner à leur guise les institutions.
Il suffirait de révoltes et d’émeutes après les élections législatives, il suffirait au monarque d’arguer de menaces graves contre « l’ordre publique » et la bonne marche de l’Etat, de troubles risquant de faire sombrer les JO...

La dictature est dans la démocratie libérale représentative occidentale

A force de durcir la démocrature, le régime autoritaire en place nommée abusivement démocratie, il n’y a plus guère de différences entre une démocrature et une dictature « éclairée ». Car la dictature moderne n’advient pas à coup de chars et de coups d’Etat sanglants, mais par les voies légales et constitutionnelles, par l’accumulation de glissements tels que ceux que subit la France. (la constitution de la France actuelle est similaire à celle de Weimar en Allemagne qui avait facilité la prise de pouvoir d’Hitler, après une dissolution et la « complicité » des libéraux du centre...)

Si la France, aux peuples réputés rebelles et rétifs, cèdait à la dictature libérale ou/et à l’extrême droite (qui d’ailleurs peuvent gouverner ensemble sur l’essentiel comme on l’a vu depuis 2022), alors un verrou symbolique sauterait dans l’espace occidental. Ce serait le signe que tout est possible pour les classes dominantes, et de nombreux autres pays suivront, comme des dominos.

La dictature est dans la démocratie libérale représentative occidentale

La dictature est-elle l’horizon inévitable du techno-capitalisme avancé ?

Pour la mégamachine, la civilisation industrielle, la dictature permet plus d’efficacité et d’éviter les perturbations toujours possibles si les gouvernements dévient ou si des foules se soulèvent. La mégamachine étatico-techno-capitaliste étant de plus en plus complexe, fragile ( (comme une Formule 1), elle ne supporte pas les contestations et dérèglements, il lui faut la stabilité, la prévisibilité, les ajustements permanents et la précision sur mesure que permet la dictature pour fonctionner sans trop d’accrocs.

Démantelée, salit, détournée, canalisée par l’Etat-capitalisme, la démocratie (ses ébauches et ses concepts) ne fait plus recette non plus parmis les peuples, qui, gavés de Cnews & co, en appellent à la restauration de l’Ordre via l’homme fort providentiel censé les sauver de la misère et de l’inexistence. Devenus incapables d’imaginer de « vraies » démocraties et des modèles émancipateurs, de nombreuses personnes, comme on le voit en ce moment, se jettent dans l’extrême droite, autre possibilité de la dictature étendue.
Quand les peuples gobent que la démocrature existante, dont ils voient à raison les effets néfastes, est une démocratie (ce qui leur est rabâché partout H24), que leur reste-t-il ? La dictature. Ou la révolte pour imposer la démocratie directe et faire vivre eux-mêmes la politique. Mais comme la révolution semble davantage faire peur que la dictature et les partis de l’Ordre...

Plus tard, l’acceptabilité de la dictature passera peut-être par des décisions prises par des IA « politiques » (rationalités cybernétiques programmées pour les choix politiques), présentées comme rationnelles, impartiales, neutres, garantes du bien commun, incorruptibles, mieux que le mieux intentionné des saloperies de politiciens libéraux progressistes. De plus la dictature rationnelle via IA épargnera les frais et perturbations des luttes entre partis et des élections. Cerise sur le gâteau dictatorial, « le peuple » pourra même être consulté via des sondages/référendums électroniques, et il sera de toute façon ausculté en permanence par les innombrables capteurs et bases de données automatisées.
Puisque, selon les dominants et leurs serviteurs, il n’existe qu’un seul modèle possible (l’économie de marché, et un Etat régulateur chargé notamment de rattraper les crises économiques, de garantir les contrats capitalistes, et de mater les révoltes), et puisque la politique consiste selon eux à gérer ce modèle chaotique au mieux, la dictature « éclairée » à base d’IA sera la meilleure option possible. Quoi de mieux qu’une machine complexe pour gérer des machines, des marchandises et des flux complexes de matières, de sujets humains, de travail et d’énergies diront-ils. Ou encore : « la dictature éclairée via IA c’est bon pour la transition écologique et la planète ».

Evidemment, ils n’appeleront pas ce régime dictature, mais lui trouveront des noms sympas, comme : « gouvernement prédictif avancé », « solution optimale pour le bonheur commun », « gestion rationnelle optimisée de la souveraineté nationale », « innovation maximale pour l’intérêt national », « sécurité garantie et prospérité croissante ». Un ancien auteur de SF avait proposé tout simplement « Le meilleur des mondes ».

- Mais avant ces anticipations, écoutez plutôt Eugénie Mérieau sur Lundi.am :

Macron peut-il constitutionnellement prendre les pleins pouvoirs ? Eugénie Mérieau
par [lundimatin->https://www.youtube.com/@lundimatin3299]
https://youtu.be/TBQIWl6CZxc

Macron peut-il prendre les pleins pouvoirs en activant l’article 16 ?

- Macron peut-il prendre les pleins pouvoirs en activant l’article 16 ?
(PODCAST dispo sur l’article)

Eugénie Mérieau, juriste, politiste, constitutionnaliste, enseignante à l’université de Paris 1, a récemment publié deux ouvrages : La dictature, une antithèse à la démocratie ? et Géopolitique de l’état d’urgence. Sous couvert de petits livres sur le droit et les régimes politiques - sujet qui généralement nous échappent par leur formalisme et leur rigorisme tout abstrait -, ce sont peut-être les textes les plus denses, diaphanes et radicaux, les plus heureusement et puissamment critiques de la « tradition libérale-impériale » qu’on ait pu lire depuis bien longtemps. Dans cet entretien, non seulement la démocratie libérale représentative ne nous apparaît plus comme l’antithèse de la dictature mais comme l’une de ses modalités possibles ; mais la dictature même, par l’étude comparative des régimes politiques, se voit revêtue de toutes les propriétés que valorise en réalité le néo-libéralisme économique et ses critères de sanctification.

« Une autre caractéristique souvent associée au syndrome narcissique tient au désir de rester au pouvoir à vie. Or, la présidence à vie est également rationnelle : une fois hors du pouvoir miroite la perspective d’une condamnation, d’un assassinat, d’une saisine des biens ou les trois à la fois. (…) les dictateurs sont en ce sens les prisonniers de leur passé répressif. Pour la plupart d’entre eux, il n’y a pas d’« exit strategy », à l’exception de l’exil »

En cas de victoire d’un des « deux extrêmes » le 7 juillet, Macron a fait planer le spectre de la « guerre civile ». Seulement, comme écrit Mérieau, le « chantage au chaos » est sub specie aeternitatis le trope rhétorique des dictatures. Par ailleurs, si la V° république est née d’un coup d’État – il semblerait que, selon les idées qui flottent autour du cabinet du Président, l’activation de l’article 12, le poker de la dissolution, suivi d’une victoire du centre ou d’une démission, n’est pas le seul scénario futur. Une triste idée a commencé à germer selon laquelle un pays ingouvernable – où le parlement serait brisé en trois minorités, où l’antiterrorisme serait devenu le droit ordinaire, où l’état d’urgence serait signe d’une urgence de l’État, comme l’État métropolitain prétend encore être facteur de paix en Kanaky au moment où chacune de ses décisions font tout sauter des anciens destins – ce n’est pas à une démission présidentielle qu’il faudrait s’attendre, mais à la mise en œuvre – légitimée par la chaleur tendue des circonstances – de l’article 16 – octroyant les pleins pouvoir au Président. Alors, nouveau de Gaulle de la médiocrité historique, le monarque pourra se donner à cœur joie de « refonder », par le haut, les institutions dont le fonctionnement ordinaire aura été, pendant des années, par lui-même, démantelées.

« L’économiste Milton Friedman l’a finalement reconnu avec peine dans les années 1990 « il est possible de combiner un système économique d’économie de marché avec un système politique dictatorial ». De la même manière, il est possible de concilier dictature et État de droit, dictature et prospérité, dictature et pacifisme international, dictature et rationalité. Comme cet ouvrage l’a esquissé, la dictature peut être tout ceci à la fois. Elle est parfaitement compatible avec l’ouverture économique et la mondialisation, avec les élections multipartites et la justice constitutionnelle, avec la paix mondiale et l’excellence scientifique. »

Si les propriétés de la démocratie et celles de la dictature sont, grosso modo, les mêmes - dans ce continuum permanent qui est celui de l’État et de son fondement nécessaire contingent, mystique et brutal, si « comme l’affirmait Carl Schmitt, la dictature, [c’est] tout simplement le principe essentiel de l’État » - le retour critique sur nos démocraties implique d’en passer par la réfutation des préjugés que nous avons sur la dictature. Et à ce moment précis, nous découvrons alors que l’État constitutionnel français actuel, son histoire autant que son devenir proche, n’a plus rien à envier aux dictatures contemporaines

« la technique traditionnelle du coup d’État militaire au service de la conquête du pouvoir semble aujourd’hui dépassée. À ce « déclin du coup d’État militaire » se substitue désormais le coup d’État constitutionnel ou judiciaire : le droit devient l’outil privilégié des régimes autoritaires. »

Si nous continuons de croire que sous les dictatures, il n’y a plus de constitution, nous savons désormais que c’est faut. Si nous continuons à croire qu’en dictature, il n’y a plus d’élections, Mérieau répond : « aujourd’hui, l’immense majorité des dictatures y compris militaires se soumet régulièrement à des élections multipartites. » Ce qui devrait nous permettre de penser un au-delà à ce continuum infernal entre démocratie et dictature, et de sortir de cette folie de l’origine des États qui se fonde et refondent : « Historiquement, la démocratie illibérale n’est […] pas un dévoiement de la démocratie libérale –elle apparaît davantage comme son origine. »


Sur Ricochets, vous trouverez de nombreux articles sur les questions de démocratie et de démocrature, par exemple :

Une dernière citation pour la route :

« Ce que j’ai vu en Espagne m’a convaincu qu’il est vain de vouloir être "antifasciste" tout en essayant de préserver le capitalisme. Le fascisme, après tout, n’est qu’un développement du capitalisme, et la démocratie la plus libérale est prête à tourner au fascisme à la première difficulté. »
🌲 George Orwell, soldat du POUM


Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Partagez la page

Site réalisé avec SPIP | | Plan du site | Drôme infos locales | Articles | Thèmes | Présentation | Contact | Rechercher | Mentions légales | Suivre la vie du site RSS 2.0
Médial local d'information et d'expression libre pour la Drôme et ses vallées, journal local de contre-pouvoir à but non-lucratif, média participatif indépendant :
Valence, Romans-sur-Isère, Montélimar, Crest, Saillans, Die, Dieulefit, Vercheny, Grane, Eurre, Loriol, Livron, Aouste sur Sye, Mirabel et Blacons, Piegros la Clastre, Beaufort sur Gervanne, Allex, Divajeu, Saou, Suze, Upie, Pontaix, Barsac, St Benois en Diois, Aurel...
Vous avez le droit de reproduire les contenus de ce site à condition de citer la source et qu'il s'agisse d'utilisations non-commerciales
Copyleft