Je décide de trouver du travail. A mon âge il est temps. Avec les réformes, j’ai pas de bourses pour les écoles supérieures. Et il faut que j’aide ma famille. Il faut des affaires scolaires à mon petit frère. Comment ferait - il sans aller à l’école- sans travail- sans argent ? - C’est normal. C’est conforme. C’est comme ça il faut que ça le reste.
Je trouve un poste à la chaîne dans l’une des usines de la zone industrielle. Parfait, c’est juste à côté de chez moi. J’y vais en vélo. Ça empeste.
Toute la journée, je me baisse et j’appuie sur le bouton pour que la bouteille plastique sorte de la machine.
Je rentre chez moi. Ma mère et mon père se disputent : mon père a cassé son téléphone, il veut acheter un smartphone Apple. Ma mère dit que ça détruit la planète et que c’est immoral. Je comprends pas. Je suis sûr qu’elle dit ça parce qu’on a pas l’argent pour. Je sais qu’au fond, ils rêvent tout les deux de confort. De ce même confort qu’on voit dans les films américains. Ce confort que doit avoir sans se poser de questions le patron de papa. Mon patron aussi. C’est peut être le même gars, d’ailleurs.
Un jour, je vois une bouteille plastique sous l’arbre à la sortie de l’immeuble. Alors c’est là qu’atterrit la bouteille quand elle sort de l’usine. Je la ramasse. Mon pauvre vieux platane. On t’a gravé dessus aussi.
Papy dit que le pays ne sait plus rien produire. Ne sait plus rien fabriquer. Qu’il n’a plus aucun savoir faire. Il dit qu’il est dépendant des pays producteurs. Pourtant, à la télévision, je les entends juger et critiquer ces pays là. Bizarre. Je me dis : si moi je savais que je faisait du commerce avec un pays qui me crache dans le dos, d’abord je me méfierais. Puis j’essayerais de ne plus me laisser marcher dessus. Pour finir je renverserai la balance. Bof.
Je dois aller aider mon petit frère dans ses devoirs. Il fait de l’histoire. Il apprend le féodalisme. Il m’a demandé : mais en fait, ça a pas changé tant que ça, si ?
J’ai du le rassurer. Il y a la démocratie. Une constitution. Les droits de l’Homme. Alors mon frère me demande : droits de quel homme ? - pourquoi mamie et papy n’ont pas le droit au confort qu’ont tous les autres vieux ?- Et nous pas aux sous pour les aider ? Je lui ai dit : on dit « une personne âgée ». Il ne m’a pas écouté. Il est malpoli. Et puis non, tous les pauvres n’ont pas d’aide sociale. Il ne comprend pas encore.
Je vais à l’usine. Je crève un pneu. Je finis le trajet à pied. Ça empeste et je suis en retard. Et je croise un groupe de gens avec des pancartes et de banderoles. Ils crient. Ils ne sont pas contents. Je pense qu’ils n’ont pas Netflix. Ça doit être ça. Ah non : les pancartes disent : « non à la surconsommation et oui à la relocalisation » « stop la pollution, agissons pour une solution » « au peuple : se regrouper pour mieux régner ! » . Il y a des choses qui m’échappent. Bof.
Je décide d’en parler à mamie et papy. Ils disent que je suis naïf. Je suis surtout atteignable et influençable. Puis prévisible aussi. Que je suis l’idiot utile de l’élite. Que c’est pour ça que c’est facile de me faire culpabiliser. Qu’alors je culpabilise. Pour des choses que je n’ai pas vraiment faites. Je comprends rien.
Oui, je culpabilise. Parce que je n’ai pas jeté ma bouteille plastique au tri. Je l’ai mise dans la poubelle noire. Je suis bête.
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