Depuis des années, médias aux ordres et politiciens du sérail nous inondent de considérations sur la « démocratie en danger », la « crise de la démocratie », et proclament que la « défiance envers la démocratie » augmente partout. Selon eux, « la-démocratie » serait menacée par les révoltes et la désaffection des urnes, et ils rivalisent d’astuces pour que puissent perdurer le système en place : conseils de quartier, stimuler les jeunes, pincées de participatif, « grands débats », convention citoyenne, « restaurer la confiance », soupçon de proportionnelle...
Ces discours récurrents sont en réalité un triple enfumage politique désastreux.
- Il n’existe pas de crise de la démocratie, mais plutôt un puissant désir de démocratie
- Démocratie directe, pouvoir au peuple !
1er enfumage : parler tout le temps de « la-démocratie » alors qu’en réalité il n’y a jamais eu de démocratie en France
Je ne vais pas répéter des arguments déjà publiés sur Ricochets, voir par exemple :
- Un livre qui démontre clairement que nous ne vivons pas en démocratie - Les puissants ont détourné le sens du concept politique de démocratie pour assoir leur pouvoir
- Acculé, Macron se défend par le mensonge de l’existence d’une vraie démocratie en France, enfonçons le clou !
- France : enfin la fin de l’illusion de démocratie et du dérivatif de la liberté d’expression !
- Le système (« la-démocratie », l’Etat, les capitalistes) préfère toujours les terroristes aux démocrates !
Un système représentatif, qui plus est centralisé, soumis à des lobbies puissants et s’exerçant verticalement sur un veste territoire, ne peut pas être une démocratie.
Ce n’est pas forcément une dictature, c’est autre chose, un machin entre les deux, une démocrature (quoi qu’en France avec le macronisme ça penche davantage du côté de la dictature à présent).
Le fait même de dire que la « démocratie est en danger » ou en crise est déjà une manipulation, un mensonge, puisqu’il n’y a pas de démocratie. Il faudrait plutôt dire : « la démocrature bourgeoise est en danger, le désir de démocratie la menace ».
De même, dire qu’« on n’est plus en démocratie » est une approximation puisqu’on en France on n’a jamais été en démocratie, les classes politiques et bourgeoises se sont arrangées depuis la révolution française et les massacres de la Commune pour éviter ça à tout prix.
Ce sont les discours mensongers et manipulateurs de l’Etat, des gouvernements, des politiciens, de l’éducation nationale, des merdias, des éditorialistes de cour, des intellectuels complices... à propos de la démocratie qui créent de la confusion et du chaos, et qui encouragent des idées parfois confusionnistes, néo-fascistes.
Il n’y a donc pas de « crise de la démocratie représentative », mais un désir d’en finir pour de bon avec ce simulacre calamiteux de démocratie.
2e enfumage : faire croire que les révoltés désirent des formes de dictatures, de régimes non démocratiques
Les puissants qui bénéficient du système anti-démocratique en place répètent vicieusement que les révoltés qui désirent, entre autre, une véritable démocratie, sont des factieux, des antidémocrates, des ennemis de « la-république » (autre concept manipulé et retourné), voir des fascistes et des terroristes à abattre.
On a vu récemment avec la répression brutale des gilets jaunes (voir aussi l’exemple édifiant de la Commune de Paris) l’ampleur de cet enfumage : l’Etat, le gouvernement et leurs polices écrasent et pourchassent sans pitié les personnes qui veulent la démocratie.
Ce qui devrait faire sursauter tout le monde, en effet une démocratie ne se permettrait pas de mutiler, brutaliser, moquer, criminaliser, emprisonner les personnes révoltées qui réclament la démocratie par des moyens au départ très pacifiques ! Dans une démocratie, ce conflit serait résolu en évitant la répression policière et judiciaire. Les éventuels dirigeants politiques seraient automatiquement virés et l’on chercherait à résoudre le problème. Au lieu de ça les tyrans s’accrochent à leur poste et utilisent tout l’appareil d’Etat, qui est là entre autre pour ça, pour massacrer les résistances.
Avec le soulèvement des gilets jaunes s’est affirmé le fait qu’une part croissante de la population ne rejette pas du tout le concept politique de démocratie, mais au contraire se rend bien compte que ce qui existe en France n’est pas une démocratie.
S’il y a une montée de la critique virulente et argumentée des gouvernants, des partis, du système électoral, des lois gouvernementales, des magouilles et retournements de veste, des 49-3, des institutions existantes, ce n’est, le plus souvent (il existe aussi des royalistes et des partisans de l’autoritarisme d’extrême droite, des partisans du grand chef fort du côté de l’extrême gauche), pas du tout pour jeter au feu le rêve de démocratie, mais pour la désirer ardemment et jeter tout ce qui l’empêche, la détruit, la travestit et l’accapare au profit d’intérêts privés, étatistes, technocratiques, le tout au service des riches et du techno-capitalisme.
Les pouvoirs et leurs médias inversent donc la réalité puisque la plupart des gens désirent la démocratie, une démocratie qui démarrerait localement et sous une forme la plus directe possible.
Le fait de répéter et laisser croire que le système autoritaire, centralisé et anti-démocratique, en place est une démocratie peut laisser penser à une partie des gens que la démocratie c’est pourri et qu’il faudrait essayer une forme de dictature.
Ainsi, dire que la France est une démocratie est non seulement mensonger, mais c’est aussi criminel et dangereux.
3e enfumage : proposer des aménagements de surface qui ne changent rien à la nature profondément anti-démocratique du système en place
Le fait d’instaurer des palliatifs à ce système le fait durer davantage, et donc empêche d’instaurer de véritables démocraties.
Le fait de laisser croire que des démocraties réelles seraient possibles sous le règne de la civilisation industrielle (de l’Etat et du capitalisme) est aussi un enfumage qui détourne de révoltes profondes en laissant croire que des réformes ou de meilleurs élus pourraient changer les choses.
Le problème n’est pas la qualité et la probité des élus, mais le fait qu’il existe des élus (au lieu de mandatés temporaires par exemple) et un système représentatif et électoral qui prive les peuples de tout pouvoir politique, et aussi que le totalitarisme économique prive les peuples de tout pouvoir sur la production et la distribution des biens et services.
Les partis politiques majoritaires sont habiles à proposer avant les élections des réformes pour instaurer "davantage de démocratie", des réformes qui ne changent rien au fond du problème et que, bien souvent, ils n’appliquent même pas une fois élus.
A quoi pourrait ressembler une démocratie ?
Parmi les partisans d’une démocratie réelle qui critiquent vertement le système anti-démocratique actuel on trouve de tout : propositions pour des gouvernants et représentants sous contrôle très étroit, référendum populaire, RIC, démocratie directe locale, fédéralisme, gouvernement mondial dirigé par des votes électroniques très fréquents...
On observe une ligne de partage fluctuante entre celleux qui voudraient garder l’Etat et le côté très institutionnel, et d’autres qui sont pour la disparition de l’Etat et même pour une remise en cause permanente.
Pour ma part, je pense que quelques bases incontournables sont nécessaires (liste non exhaustive) à l’émergence et surtout au maintien de processus démocratiques :
- L’absence d’Etat, ou en tout cas sa réduction à pas grand chose (un simple liant symbolique et une émanation sans pouvoir d’un fédéralisme poussé par le bas ?), avec destitution du système policier, des lobbys industriels et de la technocratie
- La fin du capitalisme, car ce système pousse en permanence à la guerre des intérêts privés et empêche la recherche un peu apaisée des ententes communes
- Et même qu’il soit mis fin au productivisme, à la quête de Croissance (y compris démographique) et à la civilisation industrielle, qui attisent les guerres et conflits et appellent le centralisme, l’étatisme et l’autoritarisme planifié
- Que des entités locales et petites soient la base de la politique et des pratiques démocratiques (dans la culture française, la forme "Commune de Paris de 1871" pourrait fournir une base de réflexion, voir aussi le communalisme libertaire)
- Qu’on pratique dès l’enfance diverses formes d’assemblées et d’auto-organisation dans tous les domaines (et donc en premier lieu dans les temps d’éducation) de la vie sociale
- Que les temps d’activités productives (travail) soient réduits pour toustes afin de libérer un maximum de temps et d’énergie, pour, entre autre, l’activité politique démocratique (ça va avec la fin du capitalisme et du productivisme)
- Que tout ce qui peut se décider à la plus petite échelle possible le soit
- Qu’il existe des mécanismes institués ET des vigilances populaires permanentes pour dénoncer, critiquer et contrer les éternels retour des autoritarismes et centralismes, des chefs et des égoïsmes, et aussi pour proposer des améliorations et transformations perpétuelles des organisations politiques et sociales
- Qu’il puisse exister des variantes suivant les régions
Dire à quoi ça pourrait ressembler exactement serait prétentieux et difficile puisque diverses formes sont possibles et vont dépendre de la volonté populaire et des caractéristiques culturelles et bio-géographiques locales.
Quelques réflexions complémentaires néanmoins sur ces sujets :
- De la Commune aux gilets jaunes, la révolution par le bas comme héritage - Gilets, comme une envie de révolution (jaune) - Un brillant résumé très clair de la situation !
- Hier les communards à Paris, aujourd’hui les zapatistes au Mexique (...) les zapatistes construisent depuis maintenant plus de vingt ans leur autonomie, une société sans État expérimentant une démocratie radicale à partir d’assemblées communautaires et communales
- Inde, le soulèvement paysan devient un soulèvement général appuyé sur la démocratie directe - La Commune est toujours vivante, elle a lieu aujourd’hui en Inde - J. Chastaing
- La Commune du Rojava et ses partisans face à l’empire - Lettre du front - « Si la "communauté internationale" laisse faire Erdogan, c’est parce qu’elle craint davantage le retour de la Commune que l’expansion du bellicisme fasciste. »
- Il n’existe pas de crise de la démocratie, mais plutôt un puissant désir de démocratie
- Nos rêves ne pourront jamais entrer dans des urnes électorales
Aller voter ou pas ?
Puisqu’on entre dans une énième période électoral, un mot sur le débat récurrent du vote ou pas vote du côté de la gauche.
Dans le cadre du système en place, on voit bien que voter ne mène pas à grand chose.
Mais si on n’attend rien de décisif du vote, si on sait bien qu’on n’est pas en démocratie et que le régime se moque des abstentions massives, autant aller voter pour les moins pires (c’est tout à fait subjectif et souvent difficile à déterminer, à part pour l’extrême droite dont on est sûr de la nocivité maximale, surtout avec les lois existantes et la puissance du système policier), ou voter pour faire chuter un tyran plus nocif que les autres.
Ce qui permet parfois d’alléger un peu notre fardeau (et celui des plus dominé.e.s) et d’avoir un pouvoir qui entrave peut-être un peu moins les actions permanentes pour faire émerger des sociétés vivables qui s’exercent essentiellement hors des partis politiques et des institutions.
Le pire ne faisant pas plus que le moins pire réagir positivement les gens, autant s’éviter le pire.
Dans le cadre du système anti-démocratique en place, le vote ou le non-vote ne changent rien au fond du problème.
On peut donc passer par dessus la posture morale de ne pas se salir en allant voter pour tenter de peser un peu par pur pragmatisme opportuniste.