Analyse historique de l’enfumage sur « la-démocratie », puis un post qui rappelle ce qu’a été la 3e République.
Une république n’est pas forcément une démocratie...
Au 19e siècle, les puissants ont changé le sens du mot Démocratie afin de continuer à dominer les peuples via un régime toujours non démocratique
Un excellent et crucial ouvrage, dont le thème devrait être au fondement de toute éducation politique (les autres livres de Francis Dupuis-Déri, aussi bien sur ce sujet de la démocratie que sur celui de l’anarchisme ou du féminisme, valent aussi la lecture). Extrait de l’introduction :
« Le mot “Démocratie”, d’origine Grecque, a conservé la même définition pendant plus de deux mille ans, de la Grèce antique jusqu’au milieu du XIXe siècle, à savoir un régime politique où le peuple se gouverne seul, sans autorité suprême qui puisse lui imposer sa volonté et le contraindre à l’obéissance. Aux yeux de l’élite politique et intellectuelle, un tel régime est une aberration ou une catastrophe politique, économique et morale, puisque le peuple serait par nature irrationnel. S’il n’est pas contrôlé par une puissance supérieure, le peuple entraînera la société dans le chaos et la violence, pour finalement instaurer une tyrannie des pauvres.
Ceux qui sont connus comme les “pères fondateurs” de la démocratie moderne aux États-Unis et en France étaient tous ouvertement antidémocrates. Les patriotes, soit les militantes et militants du mouvement pour l’indépendance en Amérique du Nord ou pour la révolution en France, ne prétendaient pas être démocrates, ni fonder une démocratie. Au contraire, ils affirmaient que la démocratie “est un gouvernement arbitraire, tyrannique, sanglant, cruel et intolérable”, selon les mots de John Adams, qui deviendra vice-président du premier président des États-Unis, George Washington, puis président lui-même. Au XVIIIe siècle, plusieurs autres politiciens d’Amérique du Nord ont évoqué les “vices” et les “folies de la démocratie” Dans la France de la Révolution, des acteurs politiques d’influence ont également associé la “démocratie” à l’“anarchie” ou au “despotisme”, déclarant la tenir en “horreur” car elle serait “le plus grand des fléaux”.
Si “démocratie” est d’abord un terme repoussoir, l’élite politique commence à s’en réclamer vers le milieu du XIXe siècle, mais en lui attribuant un sens nouveau. Il ne fait plus référence au peuple assemblé pour délibérer librement, mais désigne au contraire le régime libéral électoral, jusqu’alors nommé “république”. Dans ce régime maintenant appelé démocratie, une poignée seulement de politiciens élus détiennent le pouvoir, même s’ils prétendent l’exercer au nom du peuple souverain. Déclaré souverain, ce dernier n’a plus d’agora où s’assembler pour délibérer des affaires communes.
Or comment expliquer que le régime électoral libéral soit aujourd’hui perçu comme l’ultime modèle “démocratique”, alors qu’il a été fondé par des antidémocrates déclarés ? Et comment expliquer ce changement de sens vers le milieu du XIXe siècle, à la fois concernant l’objet désigné par le mot “démocratie” (régime électoral plutôt que régime d’assemblées du peuple) et la valeur de ce mot, qui est passée de négative (un régime détestable et détesté) à positive (le meilleur des régimes politiques) ?
Pour répondre à ces questions, je m’intéresserai surtout aux individus engagés au sein de forces politiques dans des luttes pour le contrôle des institutions et des ressources, car ce sont leurs discours qui ont le plus contribué à définir le sens attribué à la démocratie. Cette approche tient pour acquis que les individus et les forces politiques choisissent des termes et les définissent en fonction de leur efficacité présumée dans un débat politique. En tant qu’armes politiques, le mot “démocratie” et ses dérivés (“démocrate”, “démocratique”) influencent les réseaux d’alliance, les normes d’exclusion et d’inclusion politique, ainsi que les capacités de mobiliser des ressources matérielles (des partisans ou de l’argent, par exemple) et symboliques (sympathie, allégeance, loyauté et légitimité). En bref, il s’agit d’effectuer un travail d’interprétation politique, soit de restituer le sens qu’ont eu le mot “démocratie” et ses dérivés à des moments importants de l’histoire, et surtout de dégager les motivations des actrices et des acteurs politiques à l’utiliser – ou non – pour servir leurs intérêts au gré des luttes politiques. Pour y parvenir, une attention particulière sera portée aux pamphlets, manifestes, déclarations publiques, articles de journaux, lettres personnelles, poèmes et chansons populaires, et même les noms de journaux et d’associations politiques.
[…] étudier plus spécifiquement la manière dont on utilise le mot “démocratie” lors de conflits politiques ou en relations avec d’autres notions permettra de constater que le renversement de sens a été effectué consciemment par les élites aux États-Unis vers 1830 et en France en 1848, parce que les références positives à la démocratie permettaient d’accroître leur pouvoir de séduction en période électorale. Plus tard, l’élite politique d’un pays qui n’a connu aucune révolution, comme le Canada, commencera à s’identifier à la démocratie lors de la Première Guerre mondiale, pour accroître sa capacité à mobiliser la population et ses ressources.
[…] Cette étude comparative confirme l’extrême malléabilité du sens politique des mots et démontre que les élites politiques ont toutes cherché à détourner à leur avantage le sens de “démocratie” pour consolider leur légitimité aux yeux du peuple et accroître leur capacité de mobilisation, et donc leur pouvoir. Cette conclusion devrait nourrir une remise en question de l’idée rassurante que nous vivons aujourd’hui en démocratie. »
- Une chronique d’un autre livre de Dupuis-Déri (sur le masculinisme), suivi d’une interview, réalisée par Minski Ana
- Un autre entretien avec Francis Dupuis-Déri (réalisé par mes soins)
- Un article de Francis Dupuis-Déri sur les différents types de régime politique existants
- Une chronique et des extraits de son livre ’La peur du peuple’
(post de Nicolas Casaux)
QUELLE EST LA RÉPUBLIQUE DE MACRON ?
Il y a 150 ans, la IIIe République née dans le sang de la Commune-
Macron a prononcé ce vendredi un discours censé célébrer la « République ». L’occasion d’annoncer un plan contre les « séparatismes », un mot valise qui vise à réprimer celles et ceux qui sortent du cadre. Le président a apporté son soutien aux « policiers, gendarmes, magistrats, maires » et asséné : « ceux qui s’en prennent aux forces de l’ordre, aux élus, ne passeront pas ». Mais quelle est la République de Macron ? Nous sommes le 4 septembre 2020, et cette date est choisie pour commémorer son anniversaire de 150 ans. Il ne s’agit donc ni de la 1re République, qui met fin à la monarchie pendant la Révolution, ni de la 2e République, sociale, issue de la Révolution de 1848. Non, Macron commémore la 3e République, celle de 1870. Un peu d’histoire :
Au 19e siècle, la France est secouée par des tensions politiques et des Révolutions régulièrement. En 80 ans pas moins de 7 régimes politiques se succèdent. La IIIe République apparaît avec la chute du Second Empire, après une défaite militaire contre la Prusse. La République est proclamée le 4 septembre à l’hôtel de ville de Paris de Paris. Des élections sont organisées : la droite et les royalistes sont majoritaires à l’Assemblée. C’est la République des propriétaires et de la réaction.
L’acte inaugural de cette période est la Commune de Paris. Le 18 mars 1871, le peuple de Paris se soulève, prend les armes, et proclame la Commune. Le drapeau rouge est brandi, les représentants de la Commune prenne des mesures d’urgence face à la misère : annulation des loyers, pensions pour les blessés de guerre, construction d’orphelinats … Une forme de démocratie directe est expérimentée. Des mesures pour l’émancipation des femmes – qui participeront aux combats –, pour la laïcité et la liberté de la presse sont prises. Pendant ce temps, la IIIe République se réfugie à Versailles, la ville des Rois, loin du peuple. Ses armées encerclent Paris, et attaquent la ville en mai. C’est un immense massacre : 20 000 communards sont exécutés sommairement, hommes, femmes, enfants. Des milliers d’autres sont déportés. C’est un traumatisme terrible. La 3e République naît dans le bain de sang du peuple insurgé.
La 3e République s’illustre par un colonialisme forcené. En 1885, Jules Ferry prononce son célèbre discours dans lequel il déclare que « la France doit être un grand pays, exerçant sur les destinées de l’Europe toute l’influence qui lui appartient (...), et porter partout où elle le peut sa langue, ses mœurs, son drapeau, ses armes, son génie. » Il ajoute « il faut dire ouvertement qu’en effet les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures. (...) Il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Ce sera la justification de massacres coloniaux et de guerres de conquêtes.
Répression. Durant la même période, la République réprime avec une extrême brutalité les mobilisations sociales. Le monde ouvrier qui survit dans des conditions effroyables s’organise, se syndique, se révolte. On envoie l’armée contre les grévistes, qui sont parfois fusillés, les mouvements anarchistes sont infiltrés, surveillés et éliminés. D’importants moyens sont mis dans l’éducation,mais c’est aussi l’occasion de faire disparaître les langues régionales et les identités locales.
C’est aussi une période de développement de l’antisémitisme, marquée par l’affaire Dreyfus, et l’apparition de mouvements pré-fascistes tels que l’Action Française. C’est la IIIe République qui précipite la population française dans une guerre effroyable : celle de 14-18. Des millions de français sont envoyés dans l’horreur des Tranchées. Une génération entière est sacrifiée, et cette brutalité inouïe sera le ferment des totalitarismes.
La IIIe République finira dans la disgrâce. A bout de souffle, après avoir abandonné l’Espagne Républicaine sous les bombes fascistes en 1936, après avoir laissé Hitler armer massivement l’Allemagne et verrouiller son Régime, les députés français votent, massivement, le 10 juillet 1940, les pleines pouvoirs au Maréchal Pétain.
Qu’y-a-t-il à commémorer ?
(post et visuel de Nantes Révoltée)
- Les puissants ont détourné le sens du concept politique de démocratie pour assoir leur pouvoir
- La république de Macron est née dans le sang de la répression de la Commune, et elle est morte en donnant le pouvoir à Pétain
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