En France, la recherche publique se met de plus en plus au service de l’industrie d’armement. Avec le CNRS et le CEA, le complexe scientifico-militaro-industriel français s’étend et se renforce, dans une logique guerrière et un cynisme visant les profits à l’export croissant d’armes de mort.
Car pour l’Etat-capitalisme privé de nez (et de face), l’argent charogne n’a pas d’odeur. Et tous les marchés rentables et possibles doivent être investis pour créer de l’argent, quitte à en crever.
La lutte contre la guerre, ses armes et ses donneurs d’ordre se situe aussi dans les smart campus, où étudiants, ingénieurs et chercheurs sont complices actifs des avancées technologiques meurtrières.
S’il y a une chose à "réarmer", c’est la rébellion, la contestation, la lutte et la résistance, c’est l’anti-militarisme, l’anti-étatisme, l’anti-capitalisme.
Au cœur des ténèbres du complexe militaro-industriel
Au cœur des ténèbres - Le CNRS, la bombe et la mobilisation scientifique [Groupe Grothendieck]
Depuis la sortie de notre livre L’Université désintégrée, de nombreux étudiants et chercheurs nous ont fait part de leur surprise quant au nombre de liens entre la recherche publique, les universités et l’armée. La plupart, pensant qu’il s’agit de « dérives » ou de « débordements mineurs » de la part de leur institut, prennent le problème à l’envers. Car il s’agit d’une vraie politique publique de direction et de financement de la recherche publique pour l’armée et l’armement.
Alors que nous entrons dans l’ère de la guerre mondialisée, la situation se clarifie. Les instituts publics affichent dorénavant sans complexe ces liens. En écho à l’opus que nous venons de publier, Des treillis dans les labos (Le monde à l’envers, avril 2024) nous vous offrons un petit voyage dans l’univers de la banalité du mal. Nous commenceront par quelques aspects historiques permettant de nous situer (et d’éviter les indignations naïves) avant d’en venir aux liens actuels et d’esquisser quelques réflexions quant à l’opposition au complexe militaro-industriel.
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L’infrastructure technoscientifique et militaire nécessaire pour produire la bombe ne peut être portée que par des États inscrits dans un processus d’industrialisation et de capitalisation très poussé possédant un pôle scientifique très développé. Ni une quelconque organisation terroriste, ni une entreprise multinationale ne pourraient – même avec l’accord d’un pays – produire ce genre d’armement.
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Le caractère technocratique de ce pouvoir peut très bien s’acclimater de gouvernement de droite comme de gauche : seule compte leur volonté progressiste de faire tourner les laboratoires et l’industrie afin de conserver l’avance.
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L’ordre des choses est à la concentration de la puissance pour toujours plus dominer les potentiels adversaires que représentent les empires techno-industriel chinois ou russe.
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Le scientific power est un facteur déterminant pour gagner une guerre, au même titre que le nombre d’hommes disponibles ou que la tactique militaire.
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Bien plus que les savoirs en eux-mêmes, c’est la méthode de travail des scientifiques nazis, à la pointe du « management » en science, qui permet alors à certains laboratoires français d’acquérir une méthode de travail efficace
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Le CNRS puis le CEA, sont à ce titre bien plus que de simples instituts scientifiques où il fait bon chercher. Ils sont la matérialisation du scientific power français, c’est-à-dire de la matière grise française au service du profit (« innovation », « transfert ») et de la puissance étatico-militaire (armement, armée, nucléaire). La force de la mondialisation des capitaux peut être vue non comme une harmonisation mondiale de la puissances de feu et de profit, mais au contraire comme leur concentration dans des pôles nationaux repartis dans les cinq ou six États-forts, c’est-à-dire à peu de chose près chez ceux qui détienne la bombe atomique et qui vendent le plus d’armes. Ces États sont comme des aimants à puissance : dans un cercle morbide, plus ils grossissent, plus ils attirent et plus l’impératif guerrier de « garantir ses fronts et frontières » devient prégnant. D’où la période de la guerre mondialisée qui ne fait que commence
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Les individus participant à ces recherches ne peuvent pas nier, malgré leur statut de chercheurs civils publics, travailler pour l’armement français. Les équations très compliqués et les euphémismes des titres (« projectile » remplaçant le mot missile, « cible mouvante » le mot humain, etc) ainsi que le prétexte en de la recherche « pure » loin des applications industrielles, ne peuvent masquer la barbarie à visage humain qui se dégage de toute cette matière grise dépensée pour la mort et la destruction.
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Pour notre part nous avons honte que des scientifiques mettent toute leur énergie cérébrale à concevoir des engins de mort, toujours plus rapides et puissants, qui iront tuer hommes et animaux, détruire maisons et immeubles. À l’heure de la guerre mondialisée, la latence entre une découverte et son application industrielles puis son utilisation sur le champs de bataille peut être de moins de dix ans. On peut se retrouver, comme le cas de l’entreprise iséroise Lynred (start-up issue de la recherche en capteurs infra-rouge du CEA-Grenoble) être complice des massacres de civils ukrainiens dans la guerre avec la Russie.
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Le CNRS participe activement à la privatisation de la recherche et à l’accroissement du technocapitalisme. CNRS Innovation fut créé en 1992 dans ce but : collecter l’argent public pour que ses chercheurs montent des entreprises privées. La nouveauté ce n’est pas que l’une de ces entreprises soit à vocation militaire, mais que cela soit assumé publiquement par une politique active en faveur de l’armement et des armées françaises.
D’habitude c’est le CEA, institut scientifico-industriel (EPIC), ayant un pied dans le civil et l’autre dans le militaire, qui est spécialiste des transfères recherches publiques vers l’armée. Mais la politique de la DGA depuis la fin de la guerre froide et ses différentes restructuration est de plus en plus ouverte vers le marché dit « dual ». On pourrait nommer ce phénomène, « l’externalisation » de de la recherche militaire, mais on l’appelle « l’innovation de défense ».
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avec l’application de la nouvelle stratégie de l’Innovation de défense, le nombre de labos de l’institut qui vont collaborer avec le complexe militaro-industriel va exploser. On peut véritablement parler de nouvelle mobilisation scientifique pour la guerre.
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Nos combats contre les tueries de masse des puissances étatiques ont du mal à prendre. Tout au plus une vague d’indignation surgit dans les pays du sommet quand un peuple se fait massacrer. Et encore : ce ne sont pas tous les peuples qui ont le droit à une couverture méditico-indignatoire.
Alors, comment arriver à refaire émerger une défiance envers les organes militaires, fers de lance du nationalisme et du technocapitalisme ? Comment réinscrire le meurtre de masse par les États dans cette guerre généralisée au vivant, celle-ci dépassant les logiques géo-stratégiques et politiques d’une région particulière du monde ? Et enfin, comment ne pas devenir partisan d’un quelconque nationalisme ni commencer à soutenir une quelconque stratégie militaire, au risque de devoir faire passer le « principe de réalité » au dessus de la réalité de nos principes ?
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Pour notre part, nous rendons responsable tous les rouages de la filière. Bien que les niveaux d’implication, bien entendu, ne sont pas les mêmes entre Macron et l’ouvrier de Nexter, tous font partie d’une chaîne de commandement mortifère arrivant au final à la destruction, à la mort et au saccage de vie. Alors nos salaires ne valent pas leurs vies, nos emplois de chercheurs, d’ingénieurs, d’employés de la DGA ou de start-up militaire ne peuvent se justifier. Il y a en France beaucoup de fils d’Eichmann, et nous sommes là pour les faire démissionner de leur « rôle » comme Günther Anders essayait, dans des lettres ouvertes à Klaus Eichmann, de le rendre infidèle à la filiation idéologique paternelle.
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ne jamais se réjouir d’une attaque, de quelques natures quelle soit, c’est garder une sensibilité humaine dans un monde insensé et insensible mû par une logique inhumaine. Plus l’esprit guerrier et le va’t-en-guerrisme prennent de place dans l’affect dominant de l’époque, plus ils nous faut chérir et prendre soin de nos sensibilités et de nos peurs, ne jamais manquer une occasion de s’énerver et de dénoncer les implications de la France et des État-forts dans le jeu des guerres, sans pour autant prendre partie pour une autre nation et faire le jeu de la puissance adverse.
Il conviendra alors dans nos textes de relier matériellement la barbarie qui se fait ailleurs, avec le travail barbare qui se fait chez nous.
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notre rôle, dans les pays où c’est encore possible, est de zbeuler la rue et les entreprises et non de proposer une alternative guerrière/belliqueuse/nationaliste à une autre. Et nous perdrons plus profondément parce que nos cœurs, loin de la sensibilité des pleurs, des nerfs et des coups, divaguant dans des statistiques et des prévisions chiffrées, auront finit par ressembler à ceux de nos ennemis, seule la couleur des uniformes faisant varier les jeux des alliances et des concordats. Nous serons alors des pions de ceux qui ne désirent que dominer et maîtriser pour asseoir la puissance, peu importe le pays.
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Les phénomènes d’habituation à la guerre se font prégnant partout en Europe. La présence des bidasses dans les gares et aéroports, mais aussi via les spots de pub pour l’armée et l’afflux constant de vidéos de militaires à travers les films, les documentaire, les JT, nous désensibilise à l’ignominie, aux armes à feu et à la violence (ici symbolique, là-bas réelle). Ces images attrayantes, presque rebelles, « d’aventure, d’action, d’honneur » permettent à la puissance (militaire, nationale, étatique) de conquérir les cœurs des hommes et font passer la violence structurelle comme naturellement présente dans les régimes démocratiques. Après la banalité du mal, arrive l’adhésion au bien, où est demandé implicitement d’adhérer au nationalisme belliqueux. Sinon gare à la traîtrise !
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Au-delà des causes somme toutes « culturelles » (voire complètement farfelues) proclamées par les belligérants pour lancer des attaques, les chefs au sommet ne font la guerre que pour assurer le maintien des « fronts et frontières » de la puissance nationale et maintenir des monopoles commerciaux. Si nous voulons un monde plus juste et égalitaire, alors l’anti-militarisme comme le prolongement d’un internationalisme anti-capitaliste, est évident. Nous tâcherons dans un prochain texte d’asseoir les bases théoriques pour un anti-militarisme en lien avec les transformations politiques de la guerre mondialisée actuelle.
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- Enquête sur le complexe scientifico-militaro-industriel, une politique de recherche publique au service de l’armée et de l’armement
Revue de presse antimilitariste
Revue de presse antimilitariste #3 (partie 1)
A force (de lire et) de relayer la propagande militariste, on se demande ce que cette revue de presse apporte à la critique. (Et aussi si nos nuits seraient moins angoissantes si on lisait moins)... Heureusement ici ou là on trouve des traces et des envies de résistances aux discours de plus en plus décomplexés.
Orgueil (ou mauvaise foi) des antimilitaristes : Si les actions se rapprochent du folklore, si nous sommes si peu nombreux.ses, c’est bien la preuve que la propagande belliciste fonctionne bien.
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Par là, et pour se laisser une chance de ne pas échanger le risque de faire des cauchemars contre la certitude d’en vivre plus, cette revue de presse trouve son sens. L’institution militaire construit son image, détruisons la !
Générosité de l’époque, nos sociétés racistes, patriarcales et industrielles nous offraient déjà les moyens de mourir sous les coups d’un macho, par les balles d’un flic ou les poisons du progrès ; voilà que se rapproche celui de mourir pour des « valeurs » qui sont celles des marchands de canons.
Viva la muerte ! criaient les phalangistes.
Pour celles et ceux qui n’auraient pas reconnu la citation d’Hitler en exergue, la voici plus complète :
Nous avons encore parmi nous des gens aux idées arriérées et bons à rien. Ils se mettent en travers de notre route comme des chiens ou des chats errants. Mais celà ne nous dérange pas.
Nous prendrons leurs enfants.
Nous n’admettrons pas qu’ils soient corrompus par les vieilles idées du passé. Nous les écarterons de leurs familles dès l’âge de dix ans et nous les élèverons dans un esprit nationaliste jusqu’à leur majorité. Ils ne nous échapperont pas. Ils rejoindront le Parti, les SA, ou les SS ou d’autres organisations. Ils feront ensuite deux ans de service militaire. Qui osera dire qu’avec une formation pareille, on ne fonde pas une nation ?
Même servie sur un plateau, nous ne vous ferons pas l’affront de rapprocher cette citation de 1937, de l’actuel SNU. Puisque tous les délégués à la jeunesse nous assènent que le SNU n’est pas militaire, nous avons un exemple non-militaire et « bien français » (c’est le cas de le dire) : les chantiers de jeunesse de Vichy.
Pétain, Hitler et Franco, les points Godwin sont faciles et nous n’en avons pas besoin vu comment les démocraties s’accomodent très bien à la destruction.
Il nous est insupportable d’entendre les dirigeants « préférer la paix » en même temps qu’ils « entrent en économie de guerre » (voir la citation hallucinante de Macron), nous refusons de nous habituer à la double pensée qui consiste à accepter le concept de « bombe défensive ». Les propensions à donner aux machines le choix des cibles à abattre nous glacent le sang.
Voilà, s’il en fallait d’autres, quelques motivations supplémentaires de continuer le difficile travail, au musée des horreurs, de recension d’articles glorifiant (la soumission à) l’ordre et l’économie.
Que ce travail alimente, même cyniquement, une compréhension de la toile qui nous enserre, mais aussi la colère et la révolte contre ce monde mortifère !
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le chef de l’Etat a terminé sa visite en se réjouissant de cette économie de guerre « qui produit de la richesse ». « La réindustrialisation, c’est bon pour l’emploi et, dans l’industrie, il y a l’industrie de défense », a-t-il ajouté, tout en prenant soin de préciser qu’il « préf[érait] la paix »
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on voit encore une fois les connivences morbides entre l’armée, la recherche, l’industrie et les journaux qui relatent tout ça avec la plus cynique des complaisances.
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Que maudites soient les guerres et tous leurs prédicateurs. A bas l’industrie, à bas l’armement, à bas l’industrie de l’armement !