Les agriculteurs, pris en étau entre les impasses de l’Etat et du capitalisme, manifestent leurs colères. En Nord Drôme, des agriculteurs ont bloqué ce mardi l’A7 vers Albon dans les deux sens.
Quelques réflexions et articles pour essayer d’aller un peu au fond des problèmes.
Les Etats, tout en étant activement complices du capitalisme, de la concentration et du productivisme, soutiennent massivement l’agriculture pour atténuer les effets forcément néfastes du capitalisme, de la concentration et du productivisme.
Les Etats ne font pas partie d’une solution viable, d’un côté ils saupoudrent des aides financières (851 milliards d’euros entre 2020 et 2022 pour 54 pays, 26 milliards d’euros en 2022 pour la France) pour éviter que le monde agricole ne s’effondre sous les coups de la civilisation industrielle (dont les Etats font partie intégrante), de l’autre ils perpétuent activement la civilisation industrielle qui démolit la société, les agriculteurs, toutes les professions.
Au mieux, les Etats ne peuvent faire que du rafistolage temporaire, vite démolit par les prochaines crises et par l’avancée inéluctable du technocapitalisme : compétition, concurrence, technologisation, gigantisme, concentration des terres, industrialisation, précarisation, diminution du nombre de paysans, baisse des prix des produits etc.
Ni les Etats et ses gouvernements, ni le capitalisme (le libre marché, le libéralisme), ni les syndicats type FNSEA, ni les extrêmes droites n’ont de propositions viables et acceptables.
On constate aussi que la gauche dite "de gouvernement" reste engluée dans l’étatisme et le capitalisme, dans l’illusoire salut par la technologie, et elle a donc de la peine à proposer d’autres voies.
Ni un capitalisme hyper-régulée par l’Etat ni un ultra-capitalisme laissé la bride totalement libre ne fonctionnent de manière satisfaisante, qu’il s’agisse des agriculteurs ou de tout le reste.
Il serait temps que davantage de monde cherche et pousse franchement à d’autres voies plutôt que de continuer à naviguer en rond entre ces deux pôles sans issue qui mènent au naufrage pour tout le monde, avec toujours plus de victimes, de mécontents, de précarité, de colères, de suicides, de contraintes, de dépossession, de pollutions, de dépendances (aux Machines, aux aides, aux technologies...) de catastrophes climatiques, etc.
Les agriculteurs, comme toute le monde, "doivent" choisir entre soutenir et perpétuer le modèle de société qui les tuent et juste lui demander des aides/lois pour survivre de plus en plus mal, ou entrer en résistance contre ce modèle en construisant collectivement d’autres voies, bien meilleures pour tout le monde.
L’agro-industrie, les grosses firmes, les centrales d’achat des grandes surfaces, la fuite en avant dans la chimie et les technologies, la dérégulation des prix... sont une impasse. Mais l’hyper-régulation centralisée, avec contraintes énormes sur toute la chaîne aussi.
Le modèle actuel est un mélange paradoxal de ces deux écueuils néfastes, rien de bon ne peut en sortir.
Bifurquons, révoltons-nous ensemble pour un avenir vivable.
Ces problèmes de font touchent tout le monde au-délà des agriculteurs.
Gilet-jaunisation généralisée ?
« Amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! »
« Amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! »
La colère des agriculteurs ne devrait pas cibler les écologistes, mais le gouvernement et sa politique agro-industrielle, écrit Hervé Kempf dans cet éditorial. « Qui chasse des paysans ? Les écologistes ou le gouvernement ? »
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Et c’est pourquoi je peux dire : amis paysans, ne vous trompez pas de cible ! Qui a fait passer l’accord de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande, qui va créer une nouvelle concurrence à l’agriculture européenne ? Les écologistes ou le gouvernement et les partis de droite ? Qui favorise l’accaparement des terres par des sociétés financières, chassant des paysans et développe des pratiques agro-industrielles ? Qui laisse dans l’indifférence les installations paysannes ? Les écologistes ou le gouvernement ?
Qui promeut une agriculture « high-tech », sans paysans ? Les écologistes ou le gouvernement ? Qui favorise l’élevage industriel, multipliant les maladies, telle la grippe aviaire, ruinant les petits éleveurs ? Qui laisse bétonner les terres, chassant les paysans à coups d’entrepôts, d’autoroutes et d’un urbanisme incontrôlé ? Les écologistes ou le gouvernement ? Et qui s’allie depuis des années avec ce gouvernement proche de l’agro-industrie, sinon la FNSEA, présidée par un homme qui, après un cursus à l’European Business School de Paris, a fait carrière dans le négoce, avant de prendre la tête d’une exploitation de 700 hectares ? Croyez-vous, amis paysans, que cet homme défend vos intérêts, ou qu’il défend ceux de l’agro-industrie ?
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Le complexe regroupant agro-industrie, FNSEA et gouvernements (depuis Jacques Chirac) veut continuer en accroissant l’industrialisation de l’agriculture, avec de nouveaux OGM (organismes génétiquement modifiés), des mégabassines pour grands exploitants tournés vers l’exportation, des productions végétales pour les avions — arrosées de pesticides et gérées par des ordinateurs —, des exploitations immenses aux champs dénudés favorisant les inondations et exigeant d’énormes tracteurs gros consommateurs de fioul. Rien qui relève le revenu moyen agricole, rien qui favorise l’installation de jeunes paysans, rien qui réponde aux enjeux écologiques, et tout pour une dépendance alimentaire et une nourriture bourrée de pesticides aussi toxiques pour les consommateurs que pour les agriculteurs qui les utilisent.
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et aussi :
Ces agriculteurs « pris à la gorge » qui bloquent les routes façon Gilets jaunes - L’autoroute A64, à 40 km de Toulouse, était toujours coupée en deux le 22 janvier par des agriculteurs de la région. Une action menée indépendamment des syndicats.
(...) Pour lui, la force du mouvement est l’indépendance vis-à-vis des syndicats. « La FNSEA [le syndicat majoritaire] ne soutenait pas cette opération, mais il est temps que les gens de la base puissent faire entendre leurs revendications aussi. Je n’ai pas forcément confiance dans ce syndicat quand on sait qu’Arnaud Rousseau, qui est à la tête de la FNSEA, est aussi président du groupe industriel Avril. Pour moi, on ne peut pas défendre les agriculteurs et les industriels en même temps. »
sur Le Monde :
La mobilisation des agriculteurs est également soutenue par la Confédération paysanne. Ce syndicat, qui se présente comme une alternative à l’agriculture industrielle, dénonce « les conséquences du libéralisme économique et propose une voie de sortie en rupture avec le dogme du libre-échange ». Pour la Confédération, les mobilisations actuelles que ce soit en Europe ou en France, « sont le symptôme d’une crise profonde de la rémunération et de la reconnaissance des paysan.nes. ».
« Cette crise est la conséquence directe des politiques économiques ultralibérales menées depuis plusieurs décennies par l’Etat et l’Union Européenne, en cogestion avec la FNSEA au niveau national », dénonce-t-elle par ailleurs.
(...) « Affaiblir les normes pour la “compétitivité” si chère à la FNSEA sert d’ailleurs à justifier par la suite la poursuite du libre-échange et la mise en concurrence des paysan·nes du monde entier », a poursuivi le syndicat.
- Des agriculteurs essorés se révoltent - Le modèle techno-capitaliste productiviste les tue
En france, le ministre de l’agriculture temporise et lâche un peu de lest :
Colère des agriculteurs : l’écologie prise pour cible : Le monde agricole est en ébullition. Une semaine après les premières mobilisations, les actions ont continué lundi 22 janvier en Occitanie. Des blocages ont été organisés, notamment autour de Toulouse et de Montauban, devant la centrale nucléaire de Golfech (Tarn-et-Garonne) et sur l’autoroute A64, rapporte France Bleu Occitanie.
Les agriculteurs dénoncent, entre autres, les politiques écologiques. « Il y a déjà la perte de nos avantages sur le gazole agricole », expliquait mardi 16 janvier Nicolas Thuries à Actu.fr, cosecrétaire général des Jeunes agriculteurs de Haute-Garonne. Il pointait également « la problématique de l’accès à l’eau pour pouvoir irriguer les cultures ».
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Révolte d’agriculteurs en Allemagne
Depuis plus d’une dizaine de jours, l’Allemagne connaît un large mouvement de contestation, initié par le monde agricole et rejoint depuis par d’autres secteurs socio-professionnels.
C’est l’annonce de la fin de la subvention fédérale sur le diesel agricole qui a mis le feu aux poudres. Seulement, à l’image des gilets jaunes il y a cinq ans, la colère suscitée par cette annonce cache un mal-être bien plus profond.
Dans de nombreux pays d’Europe, les métiers du secteur agricole comptent parmi les plus précaires. Pris en étau entre une grande distribution impitoyable et des institutions nationales et européennes qui les méprisent, de nombreux agriculteurs sont condamnés à la précarité et à la dépendance aux différentes subventions.
Il y a également ce sentiment qui persiste que les timides réformes en matière de politique environnementale sont dirigées contre eux. Et on peut les comprendre. Car la France, l’Allemagne et l’Union européenne refusent de remettre en question le modèle de l’agriculture conventionnelle.
Il est clair que celui-ci n’est pas viable, qu’il est à repenser dans son ensemble. Pour autant il est tout simplement impensable d’en faire porter la seule responsabilité aux seuls agriculteurs, qui ont été enfermés dans ce modèle par ces mêmes institutions et qui en sont aujourd’hui les premières victimes.
Cancer, espérance de vie réduite, taux de suicide qui explose les moyennes nationales, il ne fait clairement pas bon de travailler dans le monde de l’agriculture.
Pourtant, nombre d’entre eux se tournent vers des organisations aux pratiques quasi-mafieuses pour défendre leurs intérêts. Ce qui peut sembler surprenant dans la mesure où les organisations telles que la FNSEA défendent le modèle même qui a conduit nombre d’entre eux à la précarité.
Mais comment s’en étonner quand on voit le peu d’intérêt que la gauche bourgeoise et citadine porte à la question agricole, sans parler du mépris dont elle peut parfois faire preuve à l’égard des acteurs du secteur primaire.
Aujourd’hui des mesures telles que l’interdiction de tel ou tel pesticide ou engrais chimique ne peuvent suffire (bien que nécessaires) si elles ne sont pas associées à une politique de transition et d’accompagnement sur le long terme des agriculteurs.
Les Etats et l’Europe doivent financer cette transition, ils ne peuvent en faire porter le poids aux agriculteurs, sans quoi ils les réduiront encore davantage à la précarité.
Il est donc indispensable que la gauche s’empare de ces questions-là, qu’elle mette les mains dans la merde et qu’elle cesse de jouer les donneuses de leçon depuis le haut de son piédestal.
Des mouvements tels que celui des agriculteurs allemands doivent être soutenus, de même que pour les mobilisations d’agriculteurs en France, sans quoi cela revient à laisser le monopole de la contestation à des organisations telles que la FNSEA, dont les objectifs sont aux antipodes de nos intérêts et de ceux des petits exploitants.
Il est donc impératif que la gauche électoraliste élargisse son agenda politique dans le domaine de l’agriculture. Il existe aujourd’hui nombre d’agriculteurs qui tentent ou qui aimeraient s’extraire du modèle conventionnel afin de mettre en place des pratiques vertueuses, qu’il s’agisse du bio, de l’agriculture de conservation des sols, de l’agroforesterie, etc, et qui pourtant ne bénéficient de quasiment aucune aide pour les accompagner.
Comme nous l’avons déjà évoqué ici, la refonte de notre modèle de production agricole doit se faire en tenant compte de la situation des travailleurs du monde agricole. Cette transition doit se faire avec eux, et non contre eux, car ils sont tout autant les victimes des logiques prédatrices du capitalisme.
- Des agriculteurs essorés se révoltent - Le modèle techno-capitaliste productiviste les tue
FUCK LA FNSEA, FUCK LA GRANDE DISTRIB, ET VIVE L’AGRICULTURE ?
Depuis quelques jours des tronçons d’autoroute sont bloqués dans le Sud de la France sans que cela ne suscite d’emballement médiatique, alors qu’il y a encore quelques mois le pays était indigné par de petits blocages de périph ne dépassant pas les quelques dizaines de minutes.
Que se passe-t-il donc ? Qui sont ces gens qui terrifient le pouvoir au point que celui-ci n’ose pas déployer son arsenal répressif pour les faire taire ?
Certains avancent qu’il s’agit des représentants de l’agro-business, ceux qui empoisonneraient et assécheraient l’ensemble du pays afin de garantir leur profit. Nul doute qu’ils sont dans les parages, mais est-ce là la seule vérité ?
Ce qui se passe dans le Sud de la France ressemble trop au début des Gilets Jaunes pour que nous puissions l’ignorer.
Au vu des images et des témoignages qui nous parviennent, il semblerait que l’on trouve un peu de tout sur ces blocages. Des représentants de la FNSEA qui tentent de canaliser la colère et de se présenter en seuls intermédiaires, aptes à négocier avec les pouvoirs publics, mais également de simples exploitants ou travailleurs du monde agricole, qui cherchent à exprimer leur colère.
Difficile de s’y retrouver. Il en va de même pour les revendications, puisque certaines sont tout à fait légitimes, tandis que d’autres semblent tout droit tirées d’un fascicule de la FNSEA.
Que faire alors ?
C’est plutôt simple, allez-y. Si vous en avez l’opportunité, allez à la rencontre de ces personnes qui expriment leur colère vis-à-vis de l’Etat et de sa politique.
De notre côté la ligne n’a rien de complexe.
La grande distribution asphyxie les petits et moyens exploitants, et pour cela (entre autres choses), on l’emmerde profondément.
L’Etat est complètement à la traine en ce qui concerne le financement de la transition agricole, et pour cela, on comprend la colère et la détresse de certains agriculteurs, qui subissent les rares politiques adoptées sur le plan environnemental.
La FNSEA est une mafia qui profite de la détresse de ces mêmes agriculteurs, et entend les maintenir dans un modèle qui leur cause du tort, au profit des gros exploitants, et pour cela on l’emmerde également.
En vérité il est tout à fait possible de se joindre à cette contestation sans pour autant remettre en question notre engagement sur les questions environnementales.
Contrairement à l’illusion qu’entretient la FNSEA, le modèle de l’agriculture conventionnelle ne profite à personne si ce n’est au capitalisme.
Soyons solidaires des petits et moyens exploitants, quand bien même nous ne serions pas d’accord sur tous les sujets. C’est en échangeant qu’on avance.
Ne rien offrir d’autre que notre indifférence, c’est laisser le champ libre à la FNSEA et à l’extrême-droite.
(posts de CND)