De la contre-insurrection à l’antiterrorisme : l’ennemi est-il devenu bête ?

Passage de la stratégie politique aux tactiques technicistes d’éradication sans fin d’individus

samedi 23 novembre 2024

Voici un article qui explicite en quoi les méthodes anti-terroristes de l’Etat israélien sont vouées à l’échec et à la "dérive" génocidaire.
Une réflexion intéressante sur le glissement des stratégies étatiques contre-insurrectionnelles vers des tactiques techno-sécuritaires anti-terroristes qui s’applique aussi aux résistances en Europe.

Contre-insurrection et antiterrorisme : l’ennemi est-il devenu bête ?

- Contre-insurrection et antiterrorisme : l’ennemi est-il devenu bête ?
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Alors que l’objectif déclaré de la guerre contre-insurrectionnelle était de rallier à soi la population [et de désolidariser l’ennemi communiste de cette dernière], l’emploi d’une violence aveugle menaçait au contraire de la jeter dans les bras de l’ennemi. [Mais] la guerre de guérilla a toujours posé problème à des grandes puissances régulièrement empêtrées dans des conflits asymétriques. […] Frapper et se replier aussitôt, se rendre insaisissable. Le drone apparaît comme la réponse tardive à ce problème historique : il retourne contre la guérilla, mais sous une forme radicalement absolutisée, son vieux principe : priver l’ennemi d’ennemi. Un partisan confronté à une armée de drone ne dispose plus d’aucune cible à attaquer. […]
[Cette] doctrine du “contrôle par les airs” n’est en rien différente de celle qui motivait la stratégie de bombardements aériens définie par la Royal Air Force, après la première guerre mondiale afin de “désorganiser et de détruire les villages pour contraindre la population locale à adhérer au mandat britannique”. Une politique qui […] s’est soldée par un cuisant échec. […] Ces attaques ont produit exactement le genre d’effets politiques qu’il importerait d’éviter dans [l’intérêt américain], à savoir l’animosité profonde des [populations locales].
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L’étiquette antiterroriste était surtout utilisée, du fait de ses connotations négatives, à des fins de propagande, en tant que moyen rhétorique pour délégitimer les mouvements insurrectionnels adverses. C’est dans les années 1970, en Europe, face aux actions de la Fraction Armée Rouge et des Brigades Rouges, que l’antiterrorisme s’est progressivement autonomisé pour devenir un paradigme indépendant, fondé sur d’autres principes, en rupture avec le cadre doctrinal classique de la contre-insurrection. Les différences sont notables. Alors que la contre-insurrection est essentiellement politico-militaire, l’antiterrorisme est fondamentalement policiaro-sécuritaire. […] Là où le premier paradigme considère les insurgés comme étant les “représentants de revendications plus profondes au sein d’une société” dont il faut s’efforcer, pour les combattre efficacement, de saisir la raison d’être, le second, en les étiquetant comme “terroristes”, les conçoit avant tout comme des individus “aberrants” des personnalités dangereuses, si ce n’est comme de simples fous, ou de pures incarnations du mal. Ainsi recatégorisées, les cibles ne sont plus des adversaires politiques à combattre, mais des criminels à appréhender et à éliminer. Là où la stratégie contre-insurrectionnelle vise à “mettre en échec la stratégie des insurgés plutôt qu’à appréhender les perpétrateurs d’actes spécifiques”, l’antiterrorisme adopte une démarche strictement inverse : sa logique policière individualise le problème et réduit ses objectifs au fait de neutraliser, au cas par cas, un maximum de suspects.
Là où la contre-insurrection est demo-centrée, l’action antiterroriste est individuo-centrée. Il ne s’agit pas de couper l’ennemi de la population mais de le mettre personnellement hors d’état de nuire : la solution, dès lors, passe par leur traque, un par un, abstraction faite des raisons sociales ou géopolitiques de l’antagonisme qu’ils expriment. Dissolution de l’analyse politique dans les catégories de l’entendement policier. […]
Là où la stratégie contre-insurrectionnelle implique, outre la force brute, compromis, action diplomatique, pressions ou accords sous la contrainte, l’antiterrorisme exclut tout traitement politique du conflit. “On ne négocie pas avec des terroristes” est le mot d’ordre d’une pensée radicalement a-stratégique. La chasse à l’homme dronisée représente le triomphe, à la fois pratique et doctrinal, de l’antiterrorisme sur la contre-insurrection. Dans cette logique, le décompte des morts, la liste des trophées de chasse se substitue à l’évaluation stratégique des effets politiques de la violence armée. Les succès se font statistiques. Leur évaluation se déconnecte de leurs effets réels sur le terrain.
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Ce schéma est celui d’un éradicationnisme infini. […] “Mais la kill list ne se raccourcit jamais, les noms et les visages sont simplement remplacés par d’autres.” Prise dans une spirale sans fin, la stratégie d’éradication est paradoxalement vouée à ne jamais éradiquer. La dynamique même de ses effets pervers lui interdit de jamais décapiter une hydre qu’elle régénère elle-même en permanence par les effets productifs de sa propre négativité. Les partisans du drone comme arme privilégiée de “l’antiterrorisme” promettent une guerre sans perte ni défaite. Ils omettent de préciser que ce sera aussi une guerre sans victoire.

Théorie du drone, “La contre-insurrection par les airs”, Grégoire Chamayou, 2013

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Il semblerait que les suites du 7 octobre 2023 ainsi que l’émergence d’un mouvement antisioniste international montre que la politique sous-tendue par l’antiterrorisme s’est heurtée à toute vitesse contre ses limites intrinsèques. Tant que le paradigme contre-insurrectionnel était opérant, la résistance palestinienne pouvait compter sur la possibilité de forcer l’ennemi à négocier : la tactique de la prise d’otages a alors pu servir, par le passé, à libérer beaucoup de prisonniers palestiniens. Quant à l’antiterrorisme, couper les têtes une par une n’a pas permis à l’État israélien d’endiguer la résistance palestinienne, alors il lui faut effectuer le passage à la limite, achever son éradicationnisme infini dans sa réalisation nécessairement génocidaire.
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À cet égard, le mouvement antisioniste international récent représente justement ce que l’ennemi ne sait pas éviter : « Cette colère et cette radicalisation tendancielle des opinions publiques ne sont pas limitées à la région des frappes : dans un monde globalisé, la violence armée a des répercussions transnationales. Or, la perception largement partagée est celle d’un pouvoir odieux, à la fois lâche et méprisant. Attention aux retours de bâton. » Nous, c’est-à-dire ici “nous” au sens large du parti-pris insurrectionnel en occident, est la limite même de l’antiterrorisme international. Nous sommes le destin de notre ennemi. Et la bêtise de l’ennemi ouvre une profonde possibilité de victoire.
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La situation exige donc de nous la formulation d’une proposition stratégique qui rende possible de prolonger et de clarifier la pertinence du mouvement antisioniste au-delà de l’agitation de la jeunesse pour la Palestine. Si l’ordre impérial ne repose plus sur une stratégie, c’est qu’il repose sur l’accumulation de moyens tactiques ainsi que sur le militarisme démocratique du “citoyen”, c’est-à-dire son consentement à l’égard des guerres impérialistes au nom de la démocratie. Les démocraties occidentales ont répondu à la crise des mouvements massifs contre la guerre du Vietnam par la professionnalisation de l’armée et le développement de technologies de guerre à distance, pour faire dépendre l’immunisation des vies nationales sur le massacre des arabes. Une fois qu’on a compris cela, il est facile de comprendre la puissance politique cachée d’un mouvement antisioniste en occident du point de vue révolutionnaire.

Réseau de Sédition Autonome


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