Compte rendu de l’Intervention de Salwa, syrienne, sur l’actualité du Rojava et l’effectivité ou non de la démocratie horizontale, lors des 5e Rencontres d´écologie sociale et communalisme les 30 septembre et 1er octobre 2023 à Vaour, Tarn, organisées par le Réseau d´Ecologie Sociale et Communalisme.
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L`intervention a consisté en une présentation de points d’histoire, de context géopolitique, social et idéologique, pouvant jeter le doute sur l’exemplarité de ce de l’expérience en cours dans le Nord et l’Est de la Syrie, zone soumise au régime de « l’Administration Autonome », afin de relativiser le phénomène d’une « révolution communalise au Rojava ».
Une discussion a suivi cette présentation.
En premier lieu, nous relevons une contradiction intrinsèque dans l’omniprésence
du chef historique et actuel du PKK (Parti des Travailleurs Kurde) m. Abdallah
Öçalan dans le discours et l’imagerie du « Rojava ››, par le biais des citations de
ses écrits et de ses photos et portraits qui ornent les espaces publics. Le
communalisme, système politique autogestionnaire acéphale inspiré de
l’anarchisme et des différentes communes célèbres de l’histoire peut-il être instauré
sur simple instruction de la part du chef d’une structure politique autoritaire à
l’organisation très verticale et d’inspiration (à l’origine) stalino-maoïste du seul fait
que ses convictions ont changé de bord ?
Le PKK, sous sa forme spécifiquement syrienne (le PYD) est omniprésente dans
toutes les structures de la gestion et de la décision de ce territoire, civilement et
militairement. Le parti possède des organismes militaires féminin et masculin, des
milices de jeunesse révolutionnaire, des forces de maintien de l’ordre, et de
nombreux organismes civils, dont le rôle intrusif et parfois violent au quotidien vient
affaiblir le discours affiché de démocratie locale et de pluralité. Les pratiques de ce
parti par le biais des administrations officielles ressemble à ceux des régimes
politiques à parti unique. Le rapport de ses branches militaires et de sécurité avec
la population ressemble à celui des régimes autoritaires. Tous les autres courants
de pensée et partis politiques, y compris ceux qui brandissent le drapeau du
Kurdistan, ont été réduits au silence ou sont en passe de l’être.
La seule pluralité dont s’enorgueilli l’Administration Autonome est celle des
communautés. Elle s’applique à désigner les habitants par leur appartenance
ethnique, linguistique et religieuse (Kurdes, Arabes, Assyriens...). Elle s’applique
aussi à faire partager la pratique du pouvoir politique et militaire de façon
systématiquement mixte, par les femmes et par les hommes.
La population de cette zone souffre de ne pas pouvoir exprimer ses opinions
librement ni de pouvoir se réunir autour d’idées politiques différentes, quand bien
même ces idées renforceraient la défense de la cause Kurde. ll est difficile d’y
revendiquer sa sympathie pour la révolution syrienne, d’y demander la chute du
régime Assad ou d`y réclamer la libération des proches détenus à Damas (encore
moins ceux détenus sur place). ll y est délicat de manifester pour réclamer des
droits sociaux, refuser la conscription ou se plaindre de la corruption ou de
l’enlèvement de ses enfants à des fins d’embrigadement. Mais il y est facile et
même souhaitable de participer aux marches réclamant la libération de m. Öçalan
ou dénonçant les frappes récurrentes du régime turque sur le nord du territoire.
Nous sommes loin ici encore d’une démocratie directe ou de la liberté.
Par ailleurs le pouvoir en place au « Nord et à l’Est de la Syrie ›› (ou encore Rojava) comporte des similitudes de fait avec l’instauration d’un Etat moderne ordinaire : des frontières, des points de passages autorisés et des points de contrebande, des taxations douanières et des visas d’entrée ; un centre et des régions périphériques ; l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables (le pétrole), renouvelables (l’agriculture, l’eau de l’Euphrate) et humaines (taxes sur toute activité économique) ; une armée ; une police ; des prisons ; des organes de propagande nationale ; des récits mythiques pour forger l’idée de nation ; des accusations de collaboration et de sympathie avec l’ennemie ; et des relations et compromissions régionales et internationales. Ces compromissions et alliances mouvantes lui permettent, tous comme aux autres acteurs locaux de la guerre civile syrienne, de se maintenir en place. ll y a les Etats-Unis dont l’armée est présente sur son territoire et observe au quotidien l’évolution des choses, qui de temps en temps émet un avis ou une recommandation. Il y a la Syrie d’Assad qui a maintenue ses casernes militaires à l’intérieur de cette zone sans jamais avoir été inquiétée, et il y a les alliés russes et iraniens. ll n’y a pas de compromission avec la Turquie, ligne rouge du PKK/PYD.
La compromission avec le régime Assad est une constante dans l’Histoire du parti. C’est Hafez Al Assad qui lui a permis de se développer et de s’affirmer en accueillant Ocalan en Syrie juste après la fondation du parti en 1978 et en lui permettant d”ouvrir des camps d’entrainement au Liban jusqu”en 1997. La Turquie oblige ensuite Damas à chasser Ocalan. Le PKK revient ensuite en Syrie lorsque Bachar Al Assad, assailli par un soulèvement de toute la population qui réclame la liberté et la fin de la dictature, cherche alors des relais et des supplétifs à son armée débordée. Le PKK se charge alors de réprimer les manifestations dans les zones à majorité kurde du Nord de la Syrie, et obtient en échange de pouvoir réintroduire ses combattant-e-s en Syrie. C’est par cette manœuvre peu glorieuse selon nous que l’Administration Autonome va faire ses premiers pas. La zone qu’elle contrôle couvre aujourd’hui la quasi-totalité de la plaine mésopotamienne syrienne. En effet, Bachar ayant réussi à ne pas être renversé n’a plus été en mesure de reprendre le dessus sur les forces qui l’y ont aidé, et le PKK a étendu son contrôle sur les vastes territoires qu’il a contribué à reprendre à Daesh aux cotés d’autres bataillons syriens et avec l’aval et le soutien militaire et aérien de la Coalition internationale. En 2011 pourtant, les révolutionnaires syrien-ne-s avaient pourtant fièrement crié Azadi (Liberté en Kurde) et le drapeau du Kurdistan avait été brandi. De nombreuses expériences autogestionnaires ont vu le jour dans les quartiers et villages qui parvenaient à repousser le régime et ses milices hors de leurs territoires. Par la suite la plupart de ces expériences ont été écrasées dans des bains de sang par le régime ou par la destruction totale de leurs lieux de vie.
D`autres de ces expériences ont perdu la bataille face à l’émergence de petits chefs de guerre et d’organisations autocratiques ayant profité de l’épuisement d’une population accablée, assiégée, affamée, bombardée, Serait-ce parce que ces gens et ces militant-e-s n’ont pas été représenté-e-s par des organisations pyramidales rompues à la propagande qu’ils et elles ont reçu si peu de soutien de la part de la gauche alternative occidentale ? Toujours est-il que l’esprit de liberté ne quittera plus toutes celles et tous ceux qui y ont goûté. En ce moment même les cris de liberté et de chute de la dictature revivent dans le Sud de la Syrie, où les habitant-e-s ont à affronter les attaques du régime Assad qui iront crescendo et à se défendre plus tard, sans doute, contre les réticences des composantes conservatrices, religieuses ou communautaristes druzes qui pour l’instant cohabitent, soutiennent et participent à la révolte pacifique.
En conclusion, je doute que les quelques projets de gestion vertueuse et collective survenants sur les territoires de l’Administration Autonome « Rojava ›› soient d’une exemplarité totale. Elles ne me semble pas mériter cette réputation d’exemplarité auprès des anarchistes, anti-fascistes, écologistes, désobéissant-e-s civils, et communalistes des pays occidentaux. Je crois avoir compris le communalisme comme l’inverse de l’établissement de frontières physiques ou mentales et comme une pratique du pouvoir la moins accaparée possible. Des expériences de projets de gestion vertueuse et collective doivent certainement avoir lieu dans certaines localités sous Administration Autonome, à quel point ont-elles lieu sur commande et avec quelle surveillance du pouvoir en place ? N’oublions pas que douze millions de réfugiés (soit la moitié de la population syrienne) attendent de pouvoir rentrer chez eux dignement, y compris en Mésopotamie syrienne. Et que les invitations à venir s’installer au Rojava ne s`adressent pour l’instant pas à eux.
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