Quelques réflexions de fond un peu iconoclastes à l’heure de nouvelles attaques contre l’allocation chômage et l’assurance chômage, avec tout d’abord un point explicatif sur la modification du mode de calcul de l’allocation chômage :
Comprendre la réforme de l’assurance-chômage en 4 points et 5 minutes
Cette semaine, un séisme social va s’abattre sur la France : la modification du mode de calcul de l’allocation chômage va mettre des centaines de milliers de personnes en grande difficulté financière. Il s’agit d’un décret d’application de la réforme de l’assurance chômage, loi votée en 2018. Pôle Emploi est parfaitement au fait de la violence de ce changement : en Île-de-France, l’organisme a passé commande de nouveaux dispositifs de sécurité pour gérer la colère des demandeurs d’emploi après cette nouvelle régression de leurs droits.
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Ces réformes ont toutes pour but de faire en sorte que ce système ne soit plus assurantiel, plus contrôlé par les syndicats, et qu’il soit de moins en moins protecteur.
Il l’était déjà nettement moins qu’à ses débuts. Rappelons qu’en France, les chômeurs touchent 1050 € d’indemnité mensuelle en moyenne et la moitié d’entre eux touchent moins de 970€ par mois. En outre, 40% des chômeurs ne sont pas indemnisés par Pôle emploi : ils ont épuisé leurs droits ou ont été radiés. La situation actuelle n’est donc pas la panacée, contrairement à ce qu’on entend à longueur d’antenne sur notre généreuse protection sociale. Il ne fait pas bon vivre au chômage en France, c’est d’ailleurs pour ça que 12 000 personnes meurent chaque année du fait du chômage.
Mais notre gouvernement veut aller plus loin : le droit aux allocations chômage reste toujours un caillou dans la botte de tout capitaliste qui se respecte. Car la classe dominante a besoin du chômage, le patronat en jouit chaque jour.
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- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- Ni chômage ni travail, ni concurrence ni argent, pour des activités libérées du monde de l’Economie
Combattre le capitalisme au lieu du chômage
Cette réforme ultra-capitaliste contre l’allocation chômage est bien sûr une saloperie anti-sociale.
Des syndicats et des personnes vont protester, manifester (j’en serai sûrement), des travailleurs vont peut-être faire grève. Peut-être même qu’il y aura de fortes grèves si se cumulent les mécontentements contre la mise à pied pour cause de non pass sanitaire, les réformes libérales retraites, les augmentations des prix de l’énergie et d’autres produits.
« Les gauches » continuent de réclamer des emplois, des droits et du pouvoir d’achat, tandis que la capacité, ou l’envie, de démolir le capitalisme semble absente.
Pourtant, au fond, au vue des exigences sociales et écologiques, on sait bien qu’il faudrait démonter complètement le capitalisme, le salariat et le marché du Travail, et pas quémander des emplois et de meilleurs droits aux exploiteurs et à l’Etat.
C’est l’éternel dilemme entre réformes (améliorations progressives, paliers, conquis sociaux) et révolutions (ou changements radicaux).
D’un côté tenter de soulager des souffrances immédiates et d’innombrables précarités criantes, de l’autre changer complètement de société pour supprimer ou grandement diminuer les sources des problèmes.
Il semble pourtant que la voie des réformes est pour de bon un échec vue la situation actuelle (catastrophes climatiques et écologiques partout, régressions sociales et politiques) et vue les perspectives.
- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- Etre un simple rouage anonyme permettant l’accroissement du volume d’argent tout en détruisant la nature ? Ou détruire le travail et le capitalisme ?
« Les gauches réformistes » ne veulent pas se rendre compte de l’évolution de l’économie de marché, qui rend intenable les anciens équilibres basés sur une certaine dose de protections sociales et de redistribution des richesses produites pour l’accroissement du Capital.
Le capitalisme doit sans cesse augmenter le capital, le volume d’argent, il doit donc croître sans cesse (ce qui est incompatible avec les limites terrestres...). Il est aussi soumis à la concurrence, il doit donc augmenter la productivité, mais davantage de marchandises disponibles font baisser les prix (voir « théorie critique de la Valeur »), il faut donc produire toujours plus et diminuer le coût de la main d’oeuvre ainsi que les contreparties sociales.
D’autre part, les revenus de l’Etat dépendent de la vitalité et des recettes du capitalisme. Comme les taux de profits diminuent, deviennent globalement plus durs à obtenir (sauf dans certains secteurs, comme les GAFAM), et que le capitalisme cherche à privatiser les biens et services publics pour se maintenir, alors les recettes des Etats, et donc son « volet social », diminuent.
- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- Ni esclaves ni salariés ni IA, juste des humains libres qui coopèrent
A l’heure de la robotisation logicielle et électro-mécanique, de la saturation des marchés et de l’endettement croissant des Etats, le chômage, la précarisation, la privatisation des communs et des services publics, la démolition des statuts de fonctionnaires, la baisse des protections et aides sociales ne peuvent que s’aggraver.
L’endettement augmente (ça ne va pas s’arranger avec les catastrophes climato-écologiques de plus en plus graves et fréquentes, non-assurables, le covid-19 n’est qu’un apéritif) et les marges de manoeuvre se réduisent.
Les capitalistes se réfugient dans la finance, la marchandisation de la nature et les hautes technologies pour maintenir la valorisation du Capital, au mépris bien sûr des travailleurs et de la nature.
Syndicats, partis, syndiqués, chômeurs, travailleurs, gouvernements, auront beau lutter et protester contre tout ça, ce mouvement de dégradation sociale nécessaire à la survie du capitalisme (jusqu’aux murs climatiques et écologiques) ne pourra que continuer. C’est un phénomène inévitable, car structurellement lié aux mécanismes fondamentaux du capitalisme.
Les salaires et pensions continueront de baisser (un peu comme en Grèce), ainsi que le pouvoir d’achat malgré le recourt, écologiquement et socialement destructeur, aux produits de masses importés. Les éventuels recours à des sortes de revenus universels n’y changeront pas grand chose, car dans le cadre capitaliste ces revenus seront calculés le plus bas possible et remplaceront d’autres aides sociales.
Devant cette réalité encore refoulée ou niée, l’Etat et son gouvernement macroniste utilisent des armes pour maintenir leur Ordre :
- la répression policière et la surveillance tout azimut, avec une inflation de moyens humains, juridiques et techniques pour mater par la brutalité les rebellions
- la distribution de loisirs numériques, la consommation de masse
- l’endettement et la distribution de milliards aux entreprises pour que la « bulle » n’éclate pas
- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- Les impératifs capitalistes entraînent de toute façon la mort du travail, ..et mènent à une planète inhabitable - L’alien c’est le Capital
« Les gauches réformistes » s’inscrivent encore dans un monde ancien qui n’existe plus, elles répètent les mêmes stratégies et demandes qu’au siècle dernier alors que ça ne peut plus marcher.
D’autant que du point de vue écologique et climatique il n’est pas du tout souhaitable de maintenir un tel niveau de production et de consommation.
De plus les syndiqués et syndicats sont très affaiblis pour diverses raisons (domestication par le prêt bancaire et la consommation, perte de crédit et d’offensivité, poids de la menace du licenciement, lois en faveur du patronat, sectorisation et précarisation, séparations des classes en individus isolés, interim, contrats précaires, sous-traitance en cascade, etc.) et ont bien du mal à mener des luttes conséquentes.
Un hypothétique gouvernement de gauche pourrait peut-être faire illusion quelque temps, à quel prix ?, mais les exigences capitalistes reviendraient par la fenêtre, tandis que les atteintes dramatiques au climat et au vivant continueraient de s’aggraver.
Que ça nous plaise ou non, que ça fasse partie de notre culture ou pas, on devrait donc abandonner les habitudes de réformismes, de raisonnements et demandes situées dans le cadre du système en place, de négociations entre « partenaires sociaux », d’en rester à la défensive en reculant, de tout miser sur les voies institutionnelles.
Mais plutôt viser en priorité des offensives radicales, des voies insurrectionnelles.
- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- Non pas libérer le travail du capitalisme, mais se libérer des mâchoires d’acier du travail
Le « camp radical ou révolutionnaire » semble bien faible, mais si des forces nouvelles ou anciennes se coordonnent ou s’allient pour faire chuter le capitalisme et le monde qui va avec (l’argent, le travail, la concurrence, la propriété, la sacralisation de l’Economie, le rapport social marchandisé...) en profitant des « crises » structurelles, alors il serait possible de permettre une vie décente, un bien vivre, pour toutes et tous, en solidarité avec les autres peuples (et en respectant le climat et les mondes vivants), ce qui est structurellement impossible (et de manière de plus en plus criante) via le marché de l’emploi et la quête d’adoucissement (par l’Etat, les syndicats ou les luttes réformistes) du joug capitaliste. (D’autant que l’Etat et le capitalisme ne forment plus qu’un dans la civilisation industrielle)
Sans changements radicaux ou basculements révolutionnaires, on ne connaîtra globalement que des régressions sociales/politiques et des dégradations climatiques et écologiques de plus en plus dramatiques, avec le risque de néo-fascismes ou de régimes encore plus autoritaires et technocratiques.
Il est donc vain de s’attacher à la création d’emplois et au combat contre le chômage dans le cadre capitaliste.
De plus, il faudrait démolir le système techno-industriel et diminuer très très fortement la production (en tout cas tout la production industrielle) pour préserver le climat et le vivant, ce qui est totalement incompatible avec la logique capitaliste.
Dans le cadre de l’économie de marché, d’éventuelles relocalisations et transferts d’emplois assortis de diminution du temps de travail ne suffiront pas à assurer un avenir vivable ni à fournir de quoi vivre, car les ogres capitalistes et étatiques réclameront toujours une part très importante.
Et relocaliser quoi au juste ? Des industries néfastes ? Exporter mondialement depuis des industries relocalisées ici les mêmes produits qui étaient exportés mondialement depuis des usines délocalisées en Asie ? Le déplacement des emplois ou des usines du techno-capitalisme dans le grand marché mondialisé ne mène qu’à la continuation des désastres globaux.
On a besoin de transformations plus profondes qu’une mutation des emplois et une redistribution des richesses prises aux actionnaires, on devra plutôt en finir avec le travail, l’économie de marché, le monde de l’Economie
Non pas transformer les emplois, mais détruire le travail, la valorisation du Capital, le rapport social travailleur/capital, et l’argent.
Ainsi, il sera bien plus aisé, et disons tout simplement possible, pour toutes et tous, ici et ailleurs :
- de vivre décemment matériellement, sur une base qualitative plutôt que quantitative
- de s’épanouir dans de mutiples activités
- d’avoir du temps libre, de participer amplement à la vie politique, culturelle et sociale
- de respecter les limites planétaires, la nature et les êtres qui l’habitent
- de participer à la production de biens et services choisis collectivement en fonction des besoins définis ensemble et des limites terrestres
Ainsi il n’y aurait ni chômage ni travail.
Utopique, improbable ? sans doute, peut-être
Mais la continuation de l’existant est à coup sûr une dystopie, et des plus sanglantes.
- Ce n’est pas le chômage qu’il faut combattre, mais l’économie de marché
- La recherche incertaine d’utopies qui semblent insaisissables, ou la certitude de la dystopie ?