Voyage en psychiatrie

Un autre monde en dehors du temps

mercredi 14 août 2024, par Armand.

Petit séjour, où l’on rencontre des gens à la dérive.

1 – Les urgences

Quand elle m’a annoncé qu’elle me quittait, ne supportant plus mon alcoolisme, j’ai eu la sensation qu’un missile me traversait la tête de part en part, du milieu du front à l’arrière du crâne et finir par se ficher dans le mur.
Je me suis saisi d’un couteau et ai commencé à me trancher les veines. Vous savez quoi ? Ce n’est pas si facile, avant d’atteindre les veines il y a des nerfs super costaux, ou je m’y suis mal pris, ou c’était pas le bon outil ?
En tout cas, ça a donné le temps aux secours de venir m’embarquer manu-militari. Je me suis recroquevillé au fond du fourgon, m’excusant pour le dérangement.
Bien encadré par trois gaillards, mes pieds ne touchant même plus le sol, j’ai été présenté à l’équipe des urgences. Trois infirmières m’ont alors gentiment choppé, costaude aussi, m’ont confisqué toutes mes affaires, ne me laissant que mes vêtements.
Je me suis retrouvé allongé sur un brancard, à ce moment il devait être une heure et demie du matin, c’était un brancard un peu spécial, muni d’un système pour vous attacher bras et jambes. Je m’en suis étonné auprès des infirmières tandis qu’elles m’attachaient. Camisole de force ?
 C’est pour votre bien, vous êtes suicidaire, ça évite que vous fassiez une bêtise. Et aussi pour nous, comme ça nous sommes tranquilles, s’il vous arrivait quelque chose encore, c’est nous qui serions responsables.
Mais j’ai l’habitude de dormir sur le côté, pas sur le dos !
Faudra vous y faire...

Charmante, la nuit. Au petit matin, une autre équipe m’a libéré un bras, tendu une tasse de café, beurré deux tartines de pain, avec de la confiture, que j’ai mangé plus par instinct que par appétit. De nouveau attaché, j’ai demandé à ce que l’on me libère, que l’on me laisse partir : « Impossible, c’est le psychiatre qui en décidera, et de toute façon ce ne sera qu’accompagné par une personne qui viendra vous chercher. Le psy passera vous voir dans la matinée ».
En effet, deux hommes et une femme sont arrivés peu après. Un psychiatre, un psychologue et une infirmière. Bienveillant, mais me soumettent à une volée de questions, auxquelles j’ai bien eu de la peine à répondre.
La seule qui m’importait c’était : « Qui peut venir vous chercher ? ».
Toujours attaché, je mange un plateau-repas que de la main droite détachée. Et enfin, ils me libèrent, Delphine est venue, assez en colère et m’a ramené dans ma solitude.

Voyage en psychiatrie

2 – L’hôpital psychiatrique

Forcément, les psys ne m’ont lâché d’un pouce. Et se sont proposé de m’aider et de me soigner.
ha bon ? Je serais donc malade ?
Oui, d’une certaine manière m’ont-ils répondu. Une des pires.
Pardon de vous contrarier, mais il n’existe aucun soin ni médicament pour soigner le chagrin.

J’en conviens me dit le psy, mais de ses conséquences, si. Nous vous proposons de faire un séjour en cure de désintoxication, ensuite nous verrons. Une place viens de se libérer. Vous êtes d’accord ?
J’ai signé une pile de paperasse pour ma sortie, une autre pour entrer. Un taxi est venue me chercher, je n’ai eu qu’une heure pour fourrer dans un sac quelques affaires de rechange, des livres et ma tablette. Je ne savais même pas où ils m’emmenaient. Mais je m’en foutais, comme si j’avais remis mon destin à d’autres. Ça m’allait bien, ne plus penser, ne plus avoir à se demander si le frigo est plein ou pas, si la voisine va bien, s’il fait beau, s’il reste de l’argent sur mon compte, tout cela n’avait plus aucune importance. Dans ma tête, j’étais mort.

À mon arrivée, refouille et confiscation. On ne me laisse que mon téléphone, mes vêtements et ma tablette, et un code WIFI ! Dingue, je vais pouvoir communiquer ! Mais avec qui ? Trop de honte, trop de tristesse, je n’ai pas envie de partager ça.
C’est un immeuble de trois étages, planté dans la forêt, une belle chambre moderne, un lit confortable, avec douche et toilettes, un petit bureau, une baie vitrée donnant sur la forêt, mieux que toutes les chambres d’hôtel que j’ai pu fréquenter durant ma carrière.
Sauf que les fenêtres ne s’ouvrent pas. Que toutes les portes se verrouillent automatiquement de vingt et une heures à six heures du matin. Toutes les trois ou quatre heure, de jour comme de nuit, quelqu’un passe vérifier que vous n’avez pas fait une connerie. Si tu dors, ben tu dors plus.
C’est une prison dorée.

Le matin tu fais la queue (vers 7h), pour avoir ton médicament, ensuite tu fais la queue pour ton petit déjeuner. Et c’est comme ça matin midi et soir. Certains ont des médicaments tellement fort qu’ils repartent comme des êtres étranges sortis de nulle part. Parce que tu dois les ingurgiter devant l’infirmière, qui vérifie que tu les as bien pris.
Chacun a sa fiche, qu’elles vérifient, avec la bonne dose prescrite.

Il y a une grande cour ouverte à des heures précises (en journée uniquement). C’est là que tout le monde se retrouve. Avec un coin ombragé avec tables et chaises. C’est là aussi que l’on retrouve les filles (oui c’est mixte). Alcoolique aussi, la garde de leurs enfants leur a été retirée. Elles passent leurs temps à pleurer sur leur sort, ou au téléphone pour savoir où leurs enfants ont été confiés dans des familles d’accueil.
Nous sommes cernés par des grillages de trois mètres de haut, infranchissables.
Quand un nouveau arrive, c’est une aubaine, flot de questions. Qu’est-ce que tu fous ici ?
J’ai passé trois jours sans pouvoir prononcer un mot à quiconque, hormis le personnel médical.
J’ai vu un type qui était prostré dans un couloir. Comme une momie. Plusieurs jours comme ça. Dans la cour, au troisième jour, j’ai fini par parler aux filles.
Un type jeune, ingénieur, se mêlait à la conversation (assez lénifiante, il faut bien le dire). Et puis d’un seul coup il se levait, allait au milieu de la cour, et hurlait pendant de longues minutes, dans un langage proche de ce qui me semblait être une langue inca.
Un autre m’a avoué qu’il était là parce que cadre dans une entreprise, il fumait des pétards depuis plus de vingt ans. Il voulait arrêter.
Un autre qui n’a pas prononcé un seul mot durant ce séjour.
Un autre qui me regardait d’une telle façon que je me suis demandé s’il n’allait pas se jeter sur moi et m’étrangler.
Et ainsi de suite.
Une brochette de la misère du monde. J’étais bouleversé par toutes ces vies déglinguées, mais moi-même à la dérive, je ne parvenais pas à entrer en empathie avec eux.
Cet état d’enfermement, isolé du monde semblait convenir à tout le monde.
C’est un cocon, vous êtes nourris, logé, isolé du monde qui vous a cassé.
Pour sortir, il faut une permission, d’une journée maximum. Certains l’obtiennent. La rumeur se répand vite. « Germain va sortir, il reviens ce soir ». Et Germain revient avec un sac plein d’alcool qu’il avait bien planqué. Et il le revend au prix fort, clandestinement.

J’étais ici pour être soigné, mais en fait mon cas empirait.
Au bout de quatre jours, j’ai obtenu un rendez-vous avec le psychiatre.
Sortez -moi de là. Je n’en peux plus.
Mais vous n’êtes pas guéri !
Je m’en fous, tous ces traitements je pourrais les prendre chez moi, entouré de mes proches.
Vous êtes ici de votre plein gré, je ne peux pas vous mettre des menottes.
Laissez-moi partir, ici je vais devenir fou pour de bon.

Au final, il a accepté, un taxi m’a ramené dans ma grande maison vide.
J’en ai pleuré des jours et des jours, et en pleurs encore.

P.-S.

Je tiens à rendre hommage à tout le service médical, qui indifféremment traite tout le monde avec respect, et même gentillesse.
Merci à eux pour leur dévouement, dans des conditions difficiles.


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