Malgré l’interdiction liberticide de tout rassemblement revendicatif par le préfet de la Drôme, 60-70 personnes se sont rassemblées sur le Champ de Mars à Valence samedi 23 mai 2020 à 14h.
- Valence : un rassemblement a eu lieu le 23 mai 2020 malgré l’interdiction préfectorale
- Présence contestataire au Champ de Mars (source photo : Anticapitalistes Valence nord Drôme Ardèche NPA)
C’est peu étant donné le nombre de mécontents et enragés potentiels ou autoproclamés sur internet, mais c’est beaucoup étant donné les trombes d’eau de l’orage du moment et l’interdiction de toute manifestation revendicative par le préfet ce jour là.
Etaient présents des membres de ACAV, AEG, CNT, Colleuses Valence, EELV, GJ, NPA, SN2607, Sud Educ, Solidaires 07-26, SUD Culture 26-07, et d’autres personnes. (voir CR du NPA en Post Scriptum)
Les manifestant.e.s ont donc bravé la pluie et les flics du préfet pour crier leur révolte, pour signifier leur désaccord avec le gouvernement, sa politique, et tout le système civilisationnel sous-jacent.
D’après plusieurs témoins, les policiers sont restés à l’écart (quelques voitures siglées et quelques policiers et BACeux en civil), il n’y a eu ni appel à la dispersion, ni contrôles ni amendes.
Peut-être ont-ils eu pitié des quelques manifestant.e.s impuissant.e.s ?
Peut-être qu’ils n’ont pas osé s’en prendre à des militant.e.s de syndicats et partis (ils ont d’ordinaire moins de retenue pour des non encarté.e.s et gilets jaunes)
Plus sûrement, ils ont du avoir des consignes de retenue pour ne pas salir davantage leur image et celle des directives étatistes et préfectorales autoritaires.
Ou tout simplement les autorités n’ont pas voulu se fouler pour quelques manifestant.e.s sur une place quasi déserte qui ne gênaient rien ni personne ?
Vu le peu de monde, force est de constater que les très nombreux révoltés sur Facebook et les personnes qui applaudissaient les soignant.e.s aux fenêtres ne sont pas là pour essayer de construire un autre « après » que le retour à la normale en pire.
De la pluie et des injonctions préfectorales suffiraient à les décourager ? Des changements radicaux vers la justice sociale et le respect du vivant ne sont donc pas prêts d’advenir...
En même temps, on peut aussi comprendre les révolté.e.s qui peut-être ont préféré préserver leur énergie et rester à la maison, car ils savent bien qu’une manif ou un rassemblement pèsent bien peu de nos jours pour espérer faire « plier » un gouvernement et/ou le capitalisme.
La situation prend un tour grotesque, ubuesque
Devant les avancées inexorables du régime policier autoritaire qui tourne à la dictature, en tout cas au totalitarisme 2.0, les libertés publiques et droits politiques ne ressemblent plus à rien (déjà qu’on en avait très peu de base).
Ces libertés se réduisent tellement à peau de chagrin qu’on en est réduit à se battre pour conserver une banderole à un balcon ou chanter sur une place !
Les ruines de libertés publiques et de démocratie sont tellement décomposées que le simple fait de coller une affiche sauvage, de poser un tag, d’agiter un drapeau jaune, de gueuler des slogans depuis un balcon deviennent des exploits héroïques.
On célèbre comme une « victoire » le fait de revenir d’une manif spontanée sans GAV, sans lacrymos, sans tirs de flashball et sans amende.
Ca en devient pathétique.
Bientôt, il faudra des archéologues pour tenter d’exhumer les traces anciennes de libertés publiques.
Si l’Etat et la civilisation capitaliste avancent avec « effet cliquet » (sans retour en arrière) vers toujours plus d’asservissement, de lois liberticides, de destruction du vivant, de surveillance généralisée et de répression autoritaire, en revanche pour les libertés et les possibilités de mondes vivables on voit un effet cliquet vers le toujours moins.
Le monde d’après s’annonce donc triste, gris, uniforme, atrocement normal, rempli de bottes qui écrasent sans fin des visages humains (allusion au roman 1984), peuplé de systèmes de surveillance numérique automatisés, en marche vers toujours plus d’inégalités sociales, de destructions du climat, des animaux, des mondes naturels, une société totalitaire où des ombres humaines accepteront pour la plupart toujours plus le joug pour obtenir un peu de survie de leurs Maîtres, un peu de pitance industrielle bio ou pas, d’illusoire sécurité, un système suicidaire qui se réjouira des investissements massifs dans les illusions du capitalisme « vert » et des « énergies renouvelables » industrielles, un monde sordide qui ira de désastres en désastres jusqu’à la possible destruction de l’espèce humaine et de la plupart des animaux.
A moins que... On ne sait pas quoi, on ne voit plus ce qui pourrait changer la donne, à moins de croire aux miracles.
Au mieux, quelques espaces interstitiels où respirer subsisteront quelque temps avant d’être rattrapés tôt ou tard par la bureaucratie et des catastrophes climatiques/écologiques, quelques révoltes éphémères arracheront quelques petits sursis et bouffées d’air à la méga-Machine sans tête et aux brasiers de ses holocaustes désormais planétaires.
A moins ...qu’on comprenne que les mouvements de masse toujours attendus n’arriveront jamais, et que les minorités les plus révoltées devront, que ça leur plaise ou non, en venir à des modes d’action adaptés à cette situation affligeante et désespérée.
A moins ...que les activités pour construire l’autonomie à la base prennent des dimensions beaucoup plus importantes et permanentes.
Comme vous le voyez, j’oscille à présent entre désespoir total et mince réminiscence de restes d’espérance. Un moment de fatigue, un assaut de pessimisme irrationnel ? Je crains que non.
Quoi qu’il en soit, je continuerai à me battre, par habitude, par soucis de dignité, pour tenir debout (lire François Brune, « Sous le soleil de Big Brother. Précis sur « 1984 » à l’usage des années 2000 »), rester vivant et ne pas devenir complètement fou.
Désolé pour les plus jeunes, les optimistes et les aveugles volontaires, mais je vais publier prochainement un article plus détaillé sur cette analyse.
En attendant, consultez cet article et les analyses de Simone Weil en 1934 citées en fin : Les vivants comme les morts sont des marchandises dans cette civilisation capitaliste - Avec le confinement, l’assignation à résidence surveillée, la surveillance dystopique, la grande prison se révèle, la vie aussi ?
Extraits de S. Weill :
Avec les masques à gaz, les abris, les alertes, on peut forger de misérables troupeaux d’êtres affolés, prêts à céder aux terreurs les plus insensées et à accueillir avec reconnaissance les plus humiliantes tyrannies, mais non pas des citoyens. Avec la grande presse et la T.S.F., on peut faire avaler par tout un peuple, en temps que le petit déjeuner ou le repas du soir, des opinions toutes faites et par là même absurdes, car même des vues raisonnables se déforment et deviennent fausses dans l’esprit qui les reçoit sans réflexion ; mais on ne peut avec ces choses susciter même un éclair de pensée. […] Il en est ainsi pour tout. Les moyens puissants sont oppressifs, les moyens faibles sont inopérants.
Que peuvent peser les souhaits et les vœux de ceux qui ne sont pas aux postes de commande, alors que, réduits à l’impuissance la plus tragique, ils sont les simples jouets de forces aveugles et brutales ? Quant à ceux qui possèdent un pouvoir économique ou politique, harcelés qu’ils sont d’une manière continuelle par les ambitions rivales et les puissances hostiles, ils ne peuvent travailler à affaiblir leur propre pouvoir sans se condamner presque à coup sûr à en être dépossédés.
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