Mais d’abord, qui sommes-nous, que faisons-nous ?
Dans nos ateliers, nous tâchons autant que possible de partager le savoir. Nous ne mettons aucun frein à l’apprentissage, nous poussons à l’expérimentation : tout est transmissible et surtout accessible. Personne n’est indispensable dans nos collectifs, personne n’est détenteur d’un savoir qui ne pourrait être transmis aux autres, notre objectif est de construire un savoir global possédé par le lieu, le collectif, plutôt qu’un savoir possédé par des personnes fréquentant le lieu.
Nous avons conscience de la violence des rapports sociaux. Nous œuvrons pour une horizontalité des rapports même si celle-ci est difficile à construire. Nous tâchons d’éviter tout forme d’autoritarisme ou rapport de subordination quel qu’il soit, de prendre nos décisions collectivement et de nous engager contre toute forme de discrimination.
Nous sommes des collectifs sans but lucratif, certains sous statuts associatifs, d’autres informels, parfois même sans compte en banque. Si parfois nous embauchons des salariés, il ne s’agit pas de la raison d’être du collectif. Nous pratiquons pour la plupart le prix libre, ou du moins des tarifs accessibles à toutes et tous. Nos recettes servent à entretenir le lieu, acheter du matériel ou encore améliorer l’accessibilité. En somme, dans une société où l’égoïsme libéral est valorisé et l’argent est le moteur, nous n’attendons pas de retour sur investissement et nos pratiques n’ont pas de valeur marchande. Nous tentons de construire un quotidien plus solidaire, en essayant d’être utiles à celles et ceux qui en besoin.
Nous n’attendons pas d’autre validation que la nôtre. Sans jeter la pierre à ceux et celles qui demandent des subventions (cela nous arrive de le faire), il nous semble important de ne pas être dépendant d’institutions, afin de ne pas tordre nos projets et dénaturer notre objet initial pour rentrer dans leurs cases.
Notre recours à la technologie est pragmatique et limité. Elle n’est pas une valeur en soi.
Nous tâchons d’adopter des moyens technologiques pas chers, facilement appropriables, compréhensibles, autant que possible libres, réparables et faciles d’accès. Nous ne cherchons pas l’innovation, mais partageons des savoirs qui existent déjà. Que ce soit pour la soudure, l’informatique, la chimie, les machines et outils de bricolage : la récup’ est notre amie !
Nous cherchons à créer du lien social à l’échelle d’un quartier ou d’une communauté de valeurs. Nous fédérons des groupes, créons des moments conviviaux, poussons les gens à partager leur créativité, à échanger et se rencontrer. En même temps, nous militons et sensibilisons politiquement : culture du logiciel libre, lieux autogérés, déconstructions des stéréotypes de genres, réemploi, réflexion autour de l’autonomie collective… La chose politique est également un savoir à se réapproprier.
Et alors ? C’est quoi notre problème avec les fablabs ?
Nous n’avions jusqu’à aujourd’hui pas éprouvé le besoin de définir nos pratiques. Elles se suffisaient à elle-mêmes. Une fois expliqués à chacun et chacune, les principes de fonctionnement du lieu et la place des outils, nul besoin de discours ou de longs manifestes…
Mais récemment ont émergé ces soi-disant nouveaux lieux qui se revendiquent également de certaines valeurs qui nous animent depuis des années : autonomie, Do It Yourself, collectif, coopération, partage de savoir… Ils s’appellent souvent fablab, coworking, makerspace, tiers lieux.
Ces points communs ne suffisent pas à nous mettre dans le même panier. Trop d’aspects importants à nos yeux nous séparent car, derrière ces éléments de langage (similaires) se cachent en fait de purs produits de la start-up nation et du néocapitalisme.
Face à cette redoutable campagne de communication, à la récupération politique économique et entrepreneuriale de ces mots et à toute la confusion que cela génère, une défense argumentée paraît alors nécessaire. Il s’agit de s’opposer au détournement des mots, de nous les réapproprier si nécessaire, d’en avancer notre propre définition.
Au vu de ce qui précède vous comprendrez peut-être mieux notre agacement à être parfois comparés à des fablabs ou à des espaces de coworking. Que ce soit par les buts que nous nous donnons, nos manières de fonctionner, nos rapports à la technologie, aux institutions, à l’argent, à l’emploi, nous avons bien l’impression de n’avoir pas grand-chose en commun, à part d’être des espaces où des gens peuvent utiliser du matériel.
Nous restons critiques face à la techno-béatitude ambiante et l’innovation aveugle. Nous ne sommes pas une vitrine technologique du 21e siècle et ne participons pas à la révolution industrielle 3.0. C’est principalement pour des raisons d’utilité que nous avons rejoint ou créé nos ateliers. Parce que nous avions besoin d’outils, de lieux, de moyens. La question est « comment puis-je faire ceci ? », plutôt que « que puis-je faire avec cette nouvelle technologie ? ». Apprendre à réparer son vélo ou son ordinateur, à bricoler avec les moyens du bord, nous trouvons cela utile. Imprimer une figurine ou un drone avec une imprimante 3D ou faire des étagères en bois avec une découpeuse laser, non.
Nous ne mettons pas de grands mots sur nos pratiques à des fins marketing. Une technique commerciale éprouvée consiste à renommer (en anglais…) ce qui existe déjà pour pouvoir mieux le revendre. Les fablabs ont réinventé l’atelier partagé ; le coworking a réinventé le bar. Une étiquette tendance pour le simple fait de partager une salle.
Ces espaces ne changent pas le monde. Ils ne font qu’aller dans le sens de l’uberisation et de la numérisation de la société, ce qui correspond tout à fait à la mutation en cours du capitalisme, indispensable à sa survie, vers le « Green » et le « collaboratif ».
Pour masquer la violence des rapports sociaux qu’elle véhicule, la start-up nation a besoin de s’enrober d’un vernis cool, d’un vocabulaire, d’une culture qu’elle emprunte à droite et à gauche. Or nous ne sommes pas disposés à servir de réservoir d’éléments de langage pour cela.
Signataires : L’Atelier de Bidouille Informatique Libre de Grenoble (ABIL), L’Atelier Fluo, L’Alternateur, La Mathériauthèque de Fontaine, uN p’Tit véLo dAnS La Tête
Février 2021