Néo-léninisme ou « économie circulaire », les impasses de la gauche et de la Croissance

En finir avec les cauchemards de la planification étatiste vivant à faire durer, un peu, l’agonie

dimanche 13 avril 2025, par Les Indiens du Futur.

Face aux rêves et délires persistants de transition de la machinerie Economique, d’"écosystème" industriel, de décarbonation de la mégamachine et autres énergies dites renouvelables salvatrices qui voudraient sauver le capitalisme et la civilisation industrielle, quelques lectures indispensables.
Au lieu du retour de la planification étatisée des technocrates et politicards de gauche, porter la critique radicale du capitalisme et de son monde.
Au lieu du déni, de la résignation et de la complicité, la lucidité salvatrice, prélude utile à la rupture radicale via des actions révolutionnaires.

- Communisme de guerre : vous en reprendrez bien une louche ?, par Sandrine Aumercier

Une partie de la gauche s’est convertie les dernières années à la défense d’un état d’exception permanent pour circonvenir les risques planétaires croissants, au premier rang desquels la catastrophe écologique. De grands « démocrates » n’ont désormais, dans les dîners, plus de scrupule à prôner au nom de l’urgence climatique la dictature écologique et même à prendre la Chine à témoin. La Chine est en effet le premier producteur mondial d’énergies renouvelables (accessoirement aussi le premier producteur mondial de charbon, mais cela ne compte pas dans ce cas). Or cette tendance est congruente avec le positionnement des nouveaux révolutionnaires du climat.
(...)
Pour Malm, comme le développe son livre Fossil capital, le capital est intrinsèquement fossile. Malm définit ainsi le capital par le type d’énergie qui a été privilégié pour son expansion historique et non par ses catégories opératoires. N’est-ce pas simple comme bonjour ? En visant les infrastructures fossiles et leurs détenteurs, nous visons donc le capital lui-même
(...)
A la suite de l’hagiographie marxiste, Malm persiste à attribuer au stalinisme les dégradations écologiques considérables de l’URSS pour mieux sauver le léninisme du bilan final. Et Malm de conclure : « Un Bolchevik accorde une importance primordiale à la conservation de la nature. »

La politique de conservation de Lénine, à l’égal de celles qui se mettaient en place dans le monde occidental, était pourtant orientée par le seul souci de ne pas dilapider inutilement les ressources nécessaires à une production industrielle planifiée. Elle avait, de la nature, la même vision instrumentale, technocratique et productiviste que son pendant capitaliste. La protection de la nature, ainsi que la connaissance scientifique de ses lois, étaient en ce sens une mesure d’intérêt bien compris. Cependant, l’économie de guerre allait rapidement montrer les limites des lois environnementales.
(...)
Les « zones protégées » seraient donc, encore cent ans après, le mérite des Bolcheviks, tandis que toutes les dégradations existantes seraient à mettre au compte du dévoiement « bureaucratique » stalinien. Avec un tel partage des rôles, le dogme marxiste du développement des forces productives reste intact et un court moment de l’Histoire est érigé en mythe détaché de son contexte. La rationalité instrumentale pourrait selon ce modèle résoudre les problèmes qu’elle-même a engendré, pourvu qu’on ait bouté dehors la classe dirigeante (pour en mettre une autre à la place).
(...)
Recyclant la formule bien connue de Lénine définissant la Révolution comme les Soviets plus l’électricité, Malm propose de « passer à 100% d’énergies renouvelables » (c’est-à-dire d’électrifier toute la production et les transports). Pour Malm, invoquant la science qui lui convient mais certainement pas le dédale de ses contradictions, ces mesures sont « tout à fait réalisables ».
(...)
Voilà donc la source d’inspiration d’Andreas Malm, bien qu’il prenne soin de ne citer que la première partie de la phrase. Discipline, rationnement, travail obligatoire, répression de la dissidence, parti unique, propagande, faisaient aussi partie du cocktail. À la guerre comme à la guerre, cela ne gêne pas une gauche convertie aux nouvelles urgences.
(...)
À l’aise dans ce climat autoritaire, Malm ne vise rien d’autre qu’à expulser une classe politique pour en mettre une autre à la place. Ainsi, le paradigme de la prise de pouvoir nous renvoie sans arrêt d’un pôle des antagonismes à l’autre, de la fascisation/fascination de la rue à la fascisation/fascination du pouvoir politique. Ces antagonismes ne cessent de se conditionner mutuellement. La quête d’efficacité réclame tantôt une insurrection violente de la base, tantôt une intervention autoritaire d’en haut ; elle s’attribue toujours une volonté de pouvoir bien intentionnée face à celle, dévoyée ou malveillante, des décideurs en place.
(...)
Selon Malm, le pouvoir politique méprisé par les récents mouvements horizontaux fut laissé vacant aux forces réactionnaires, il ne fallait donc surtout pas refuser le pouvoir, mais le briguer. Pour Malm, le stalinisme est une révolution trahie et non pas l’issue naturelle d’une révolution passant par la prise de pouvoir d´État. De la sorte, la suite de l’Histoire n’est qu’un accident exogène. Malm fait partie de ceux, particulièrement éclairés, qui savent distinguer entre les bons et les mauvais acteurs politiques, les bonnes et les mauvaises infrastructures du capitalisme. De toute évidence, il se compte parmi les bons. Comme tout dictateur en herbe.
(...)
Ce continuum apologétique allant du robespierrisme au léninisme, du keynésianisme au stalinisme (pour finir parfois dans l’invocation du mouvement des « communs »), ne manque pas de piquant. Il exprime le tournage en rond d’une réflexion politique qui n’interroge pas son propre cadre, et qui ne peut donc que se confondre finalement avec la direction « apocalyptique » du capitalisme, érigée en eschatologie par le philosophe ( Žižek).
(...)

Le déni ancienne manière consistait, pour les compagnies pétrolières et des lobbies d’extrême droite, à financer l’instigation du doute scientifique sur la réalité du réchauffement climatique. Cette forme de déni assez grossière a fait son temps. Elle existe encore, mais elle n’a plus les moyens d’augmenter son audience. Les événements extrêmes qui deviennent notre quotidien l’ont notablement affaiblie. Cette forme de déni se change imperceptiblement en mélasse de complosphère : confusion entre météo et climat, menaces contre l’agence météo espagnole, voire suspicion adressée au gouvernement espagnol de manipuler la météo, attribution de la sécheresse aux « chemtrails » répandants des produits chimiques, chasses aux migrants en Grèce qui seraient responsables des mégafeux [8]… Les réseaux sociaux se chargent désormais de répandre la confusion sans que personne ne dépense un centime.
(...)

Le déni nouvelle manière consiste, pour les mêmes compagnies pétrolières, à diversifier progressivement leur production d’énergie devant la déplétion annoncée des réserves de pétrole et à remaquiller cette reconversion en « action pour le climat ». Il ne s’agit certainement pas, tant qu’il en restera une goutte, de cesser l’exploration des gisements d’hydrocarbures, comme le montre par exemple le dernier projet de TotalEnergies au Suriname ou celui de ConocoPhilipps en Alaska (projet Willow) approuvé par l’administration Biden, pourtant héros de la réintégration dans les Accords de Paris. Mais le pic de toutes les énergies fossiles confondues étant pour la première fois officiellement annoncé par l’AIE vers 2030, la diversification est tout simplement indispensable aux compagnies pétrolières, pour leur survie. Ce sont strictement les mêmes qui soutiennent et financent les énergies renouvelables et les hydrocarbures : la schizoïdie capitaliste n’a pas de limites. Elle jouera jusqu’au bout le jeu d’une catastrophe contre l’autre, pour ne rien dire de la catastrophe qu’elle est. Ceci est d’ailleurs tout à fait compatible avec une COP28 présidée par un magnat du pétrole !

Car le capitalisme n’a pas de solution à proposer pour le sauvetage du climat. Les recherches sérieuses et indépendantes sur l’industrie minière menées par le collectif SystExt, dont on ne saurait trop recommander la lecture, conduisent à suspecter les conséquences du décuplement des activités minières menées au nom de la transition énergétique de générer au moins autant d’impacts catastrophiques que le changement climatique lui-même. De plus, ces travaux mettent en évidence l’inexistence principielle d’une mine propre, seules quelques « améliorations », qui ne sont par ailleurs jamais définies précisément, pouvant être attendues. [9] Pour finir, les nouvelles sources d’énergie et leur cortège de nuisances s’ajoutent aux anciennes et ne s’y substituent pas, comme le démontrent les recherches de Jean-Baptiste Fressoz.
(...)

Enfermés dans ses vieilles contradictions, cette gauche opportuniste ne masque plus ni son autoritarisme ni sa collusion rampante avec la droite sécuritaire qu’elle légitime maintenant par « l’apocalypse » climatique. Car ceux qui accusent les gouvernements d’exagérer ou de fabriquer le réchauffement climatique pour restreindre les libertés et ceux qui en appellent au contraire à une gestion autoritaire de l’urgence écologique partagent bien un délire commun, celui de faire porter la responsabilité de la catastrophe à un certain « étage » de la société : soit la consommation de masse, soit l’impéritie politique, comme s’il ne s’agissait pas ici des deux faces d’un seul et même mode de production ! Depuis la pandémie, ce clivage idéologique a un fort goût de déjà-vu. D’une critique radicale du système capitaliste, il continue à ne pas être question, puisqu’il continue de s’agir de mieux gérer la catastrophe, et ce, en proposant éventuellement ses propres services.

Si le système capitaliste ne s’effondre pas de l’intérieur avant, nous fonçons à toute vitesse vers une situation où il n’y aura non seulement plus de ressources en énergies fossiles, mais plus assez de métaux essentiels à ladite « transition », plus assez de sable, d’eau douce, de phosphore nécessaire aux intrants agricoles, de poissons dans les océans… La planète, devenue invivable, ne sera qu’une seule et unique poubelle de déchets et de poisons, dont certains destinés à survivre des dizaines ou centaines de millénaires dans l’environnement, sans parler de la perturbation durable des cycles fondamentaux.

Le cynisme éhonté de la technocratie couronne le tableau. Voyons par exemple les analyses de François Grosse, expert spécialisé dans les questions de recyclage, qui avertit des limites intrinsèques du recyclage, calculs à l’appui. Sa proposition considérée comme extrêmement ambitieuse est un modèle pragmatique de recyclage offrant un décalage de cent ans de la déplétion ultime des ressources critiques : « Comme nous le verrons dans les prochaines pages, gagner 100 ans contre la ponction dans nos ressources constitue déjà un défi pour les sociétés humaines. Mettre en œuvre les décisions nécessaires pour concrétiser cette ambition, c’est non seulement une nécessité immédiate, face à des échéances d’apparence lointaine mais que la croissance économique comprime à quelques décennies seulement, mais c’est aussi une première étape de transformation qui préparera nos sociétés à l’évolution suivante : évolution au contenu encore inconnu, mais au moins aussi révolutionnaire pour notre système économique et nos modes de vie, n’en doutons pas. » La démonstration de François Grosse est imparable : peut-être n’y avions-nous jamais pensé, mais promouvoir le recyclage nécessite en effet suffisamment de déchets à recycler… Or seule une croissance exponentielle de la consommation productive fournit suffisamment de déchets à recycler, ce qui en retour annule très rapidement tout bénéfice écologique du recyclage. C’est le serpent qui se mord la queue, pour ne pas changer. Notre technocrate, approuvé par Dominique Bourg, a tôt fait de trouver la formule miracle : « une économie quasi-circulaire » qui, dit-il, donnera au système cent ans de répit et dont il fournit les critères chiffrés. Avec du « quasi » on résout toutes les contradictions : une économie quasi-circulaire est une économie quasi-durable !
(...)
Ainsi, de son propre aveu, le système capitaliste et ses experts n’ont plus rien d’autre à promettre (et ce, dans les scénarios les plus « ambitieux ») que cent ans au plus pour finir cette course vers le néant ! Un ralentissement de l’agonie, une direction politique réglementariste ou autoritariste, des moyens technologiques correspondants — voilà le meilleur de ce qui peut nous arriver jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à tirer des sols et des océans. Si en outre la majorité de la gauche est convertie à cette « urgence », que demande le peuple ?

Envisager une quelconque émancipation sociale dans un tel horizon relève d’une utopie fleur bleue. La question de l’émancipation, si elle a encore un sens, impose plutôt une révision immédiate des priorités de l’actualité, qui ne sont en aucun cas le « climat » ou une cause isolée sélectionnée par l’idéologie du moment, mais bien une évaluation sans fard des perspectives sinistres que nous promet la continuation de cette logique.

Sandrine Aumercier, septembre 2023.

- ici, Frédéric Lordon défend le néo-léninisme, mais il n’est pas question du problème de l’énergie ni des mines... : Frédéric Lordon : Pour un néo-léninisme - Contre les tentations jumelles du mouvementisme et du retrait marginaliste, Lordon plaide pour un « néo-léninisme » seul à même de dessiner une alternative stratégique et macroscopique à la domination capitaliste.

- Des infos utiles dans ce dossier : La planification soviétique : du léninisme à la planification
extrait :
<<Lénine, dans Sur l’infantilisme « de gauche » et les idées petites-bourgeoises, datant de 1918, affirme également :

« Le socialisme est impossible sans la technique du grand capitalisme, conçue d’après le dernier mot de la science la plus moderne, sans une organisation d’Etat méthodique qui subordonne des dizaines de millions d’hommes à l’observation la plus rigoureuse d’une norme unique dans la production et la répartition des produits.

Nous, les marxistes, nous l’avons toujours affirmé ; quant aux gens qui ont été incapables de comprendre au moins cela (les anarchistes et une bonne moitié des socialistes-révolutionnaires de gauche), il est inutile de perdre même deux secondes à discuter avec eux.

Le socialisme est également impossible sans que le prolétariat domine dans l’Etat : cela aussi, c’est de l’abc. »

Comme on le voit, la planification mise en place par Staline est le prolongement de la position de Lénine.>>

voir aussi :


Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n’apparaîtra qu’après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
[Se connecter]
Ajoutez votre commentaire ici

Ce champ accepte les raccourcis SPIP {{gras}} {italique} -*liste [texte->url] <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Retrouvez Ricochets sur :
- MASTODON (en .onion)
- SEENTHIS
- FACEBOOK

Partagez la page

- L'article en PDF : Enregistrer au format PDF
Site réalisé avec SPIP | | Plan du site | Drôme infos locales | Articles | Thèmes | Présentation | Contact | Rechercher | Mentions légales | Suivre la vie du site RSS 2.0
Médial local d'information et d'expression libre pour la Drôme et ses vallées, journal local de contre-pouvoir à but non-lucratif, média participatif indépendant :
Valence, Romans-sur-Isère, Montélimar, Crest, Saillans, Die, Dieulefit, Vercheny, Grane, Eurre, Loriol, Livron, Aouste sur Sye, Mirabel et Blacons, Piegros la Clastre, Beaufort sur Gervanne, Allex, Divajeu, Saou, Suze, Upie, Pontaix, Barsac, St Benois en Diois, Aurel...
Vous avez le droit de reproduire les contenus de ce site à condition de citer la source et qu'il s'agisse d'utilisations non-commerciales
Copyleft