Aucun scénario de transition énergétique/écologique ne tient la route, la seule issue est de renverser la civilisation industrielle

Les mouvements, individus et collectifs radicaux ont donc une responsabilité historique

mercredi 29 juin 2022, par Les Indiens du Futur.

En analysant les notions d’énergie et de crise énergétique, voici des articles et un livre qui démolissent à la base les illusions persistantes et dangereuses des énergies « renouvelables », de la décarbonation de l’économie de marché, de la décroissance, de la sobriété, de l’efficacité énergétique, de rationalisation, des économies d’énergie, de la répartition des richesses, des scénarios de transition Négawatt ou machin chose, de toutes ces solutions qui prétendent solutionner le problème insoluble posé par la civilisation techno-industrielle et le capitalisme, et au-delà par les sociétés de masse et les systèmes planifiés/centralisés.

Les problèmes énergétiques ne sont pas des problèmes naturels ou techniques, ce sont des questions politiques.

Prolonger (un peu) l’agonie du système et donc aggraver les désastres, ou faire complètement autre chose, tel est l’enjeu.
Avec quelques conclusions cruciales qui s’imposent en fin d’article.

Aucun scénario de transition énergétique/écologique ne tient la route, la seule issue est de renverser la civilisation industrielle
Se noyer dans le technologisme et la planification afin de poursuivre l’industrie et le productivisme, ou rompre radicalement !?

La transition n’aura pas lieu

Jean-Baptiste Fressoz est intéressant, il rappelle des choses importantes, et cette vidéo vaut le visionnage pour celles et ceux qui ne connaissent pas son travail. Mais J-B Fressoz passe aussi toujours à coté de points parmi les plus cruciaux.

Son propos se résume essentiellement à : non, la « transition » (vers une civilisation industrielle décarbonée) n’aura, selon toute probabilité, jamais lieu. C’est exact, et en partie pour les raisons qu’il avance.

Mais Fressoz oublie toujours de rappeler que la décarbonation de la civilisation industrielle est de toute façon loin de constituer un objectif souhaitable, ou juste un objectif sensé, intelligent. Une civilisation industrielle décarbonée détruirait toujours la planète et continuerait de déposséder les êtres humains, de les asservir. Le problème n’est pas qu’« on » ne va pas — ou qu’« on » ne peut pas — assez vite remplacer les fossiles par des énergies dites décarbonées (propres, renouvelables ou vertes). Le problème, c’est qu’émissions de carbone ou pas, aucune industrie n’est soutenable sur le plan écologique, le problème, c’est que toutes les industries sont destructrices pour la nature, y compris les industries de production d’énergie dite verte, décarbonée, propre ou renouvelable (les industries du photovoltaïque, de l’éolien, de l’hydroélectrique, etc.).

& c’est aussi que la civilisation industrielle — l’industrialisme (la technologie) — implique une organisation sociale hiérarchique, inégalitaire, autoritaire.

Bref, la seule « transition » qu’on devrait souhaiter, promouvoir, défendre, c’est la transition pour sortir de la société industrielle. Dans l’immédiat, ça n’intéresse à peu près personne, mais contrairement à l’autre transition, celle-ci est possible, et même inévitable sur le plus ou moins long terme étant donné que la civilisation industrielle est totalement insoutenable. Qu’on le veuille ou non, on en sortira. Le plus tôt le mieux. Plus elle dure, plus elle détruit le monde.

- Vidéo de Fressoz : https://www.youtube.com/watch?v=mMQwdUxF_bQ

https://www.youtube.com/watch?v=mMQwdUxF_bQ

(post de N. Casaux)

- NOTE : Les textes de Sandrine Aumercier ci-dessous sont parfois ardus à comprendre du fait de leur densité et du vocabulaire employé, il faut les relire et prendre le temps, mais ça vaut le coup.

IL N’Y A AUCUNE SOLUTION À LA CRISE ÉNERGÉTIQUE

- Il n’y a aucune solution à la crise énergétique, par Sandrine Aumercier

Extraits :

"Je commence par la fin et je donne déjà la conclusion en disant qu’il n’y a aucune solution à la crise énergétique, même pas une « toute petite solution ». Si une société post-capitaliste émancipée advenait, alors elle cesserait de se préoccuper du problème énergétique ; elle n’irait pas le résoudre en étant « plus rationnelle » et « plus efficiente » avec l’énergie. Une société qui met la rareté à son principe — comme le fait le mode de production capitaliste — s’accule elle-même à devoir toujours plus rationner sa consommation d’énergie, parce qu’elle se rapproche d’une limite absolue. Elle se condamne à s’enfoncer dans une gestion totalitaire des ressources, dans des guerres de sécurisation, dans des crises socio-économiques d’impact croissant… Mais c’est une limite qui fait partie des principes fondateurs de cette société et non de la nature.

La catégorie « énergie » est une catégorie aussi abstraite que la catégorie « travail », et une fois qu’elle est posée au fondement des activités humaines, elle ne peut que s’avancer vers un gouffre, par l’effet même de sa propre logique. J’ai mis longtemps à en prendre la mesure, parce que le discours qui est martelé sur les « limites planétaires » s’impose dans sa fausse évidence, comme si c’était un problème géophysique. Or le vrai problème, ce sont les prémisses du capitalisme, avec lesquelles même les pays dits du socialisme réel n’avaient pas rompu. Si on aligne les uns à côtés des autres les différents scénarios de « transition énergétique » qui se disputent la palme, il saute aux yeux que le discours sous-jacent combine deux tendances contradictoires, présupposant que (1) l’impossible est possible, et en même temps que (2) si jamais malgré tout l’impossible est impossible, alors ce doit être un fait de nature (de nature humaine, de nature géophysique ou d’entropie universelle). De la sorte, les spécificités du mode de production capitaliste n’ont pas besoin d’être examinées."

(...)
"Tous ces raisonnements ont en commun de supposer une réalité incontestable derrière l’idée d’une certaine quantité finie, d’une certaine réserve de matière et d’énergie. Fort de leurs graphiques et de leurs statistiques, ils semblent nous parler du monde matériel. Or cette réalité matérielle découle de l’abstraction qui est posée au départ, et non l’inverse. Autrement dit : une fois qu’on commence à regarder le monde avec des lunettes énergétiques, alors oui, on est irrémédiablement foutus. Seulement le problème n’est pas dans les ressources énergétiques, mais dans ces lunettes. Qu’est-ce qui oblige à regarder le monde avec de telles lunettes et qu’est-ce qui oblige à considérer la nature comme une immense réserve de matériaux à transformer, une réserve limitée, en déplétion inéluctable, et qu’il faudrait économiser, ou bien sur laquelle il faudrait parier des disruptions technologiques mirobolantes et toujours à venir, voire lancer une course contre la montre ?
Cette question est la plus difficile de toutes parce qu’elle nous oblige à réviser entièrement nos catégories. Il ne s’agit plus de bricoler des solutions, même pas la « solidarité » ou la « satisfaction des besoins essentiels » (exigences posées elles aussi de manière aussi abstraite que les processus sociaux dont elles découlent), mais de comprendre comment on a pu en arriver à poser l’ensemble du monde vivant comme un réservoir d’énergie inépuisable. "
(...)
Dans le contexte d’aujourd’hui, la possibilité de telles conditions paraît verrouillée. Beaucoup les considèrent comme un insupportable retour vers le passé, bien qu’elles se déploieraient forcément dans un contexte pratique et symbolique totalement modifié. Mais cet obstacle fétichiste ne doit en aucun cas justifier de laisser croire qu’il serait possible de sortir du capitalisme et d’inventer un monde émancipé tout en maintenant le même mode de production seulement mis « entre de bonnes mains » : infrastructures globalisées, division internationale du travail, échanges monétaires, planification étatique ou supra-étatique, technologies et besoins matériels modernes (c’est-à-dire déterminés par l’état de la production capitaliste que nous avons sous les yeux)…
(...)
Un monde émancipé serait un monde dont les conditions pratiques minimales d’émancipation sont remplies et non un monde dans lequel les humains seraient subitement meilleurs moralement parce qu’on aurait bouté dehors les spéculateurs et les capitalistes.
(...)

On fait comme si cette crise était due à des raisons géopolitiques et comme si nous devions changer nos habitudes pour « sauver le climat », parce qu’il est de plus en plus évident — même si personne ne le dit franchement — qu’aucun scénario de transition ne tient la route, et ce, pas du tout parce qu’on serait « trop lent » à mettre en place la « transition » tant célébrée. Toutes ces explications externes évitent d’aborder le problème de la crise structurelle de l’énergie.
(...)
Il faut vraiment que la situation se soit aggravée pour que la nécessité de la « décroissance » (toujours sélective cependant) soit devenue en si peu de temps — disons en une quinzaine d’années, qui coïncide avec le pic de pétrole conventionnel — un tel lieu commun. Et voilà tout à coup l’engeance écologiste, décroissante, écosocialiste, etc., d’accord avec les technocrates de tous bords pour tenter de faire passer l’infini dans le fini. C’est aussi la pierre angulaire d’un scénario comme Négawatt. On admet qu’avec le niveau de consommation actuelle, il est impossible de continuer ainsi, mais si nous améliorons l’efficacité énergétique, si nous économisons, si nous miniaturisons, si nous recyclons, si nous innovons, etc., alors, nous dit-on, tout sera possible. Cette possibilité est non seulement accrochée à des conjectures farfelues [1], mais surtout elle reste entièrement déterminée par une conception néoclassique de la production en termes de stocks finis faisant l’objet d’une allocation de ressources, et non en termes de processus de production
(...)
- Article complet : Il n’y a aucune solution à la crise énergétique, par Sandrine Aumercier

Aucun scénario de transition énergétique/écologique ne tient la route, la seule issue est de renverser la civilisation industrielle
S’enfoncer toujours plus dans l’industrialisme et ses nuisances, ou démanteler la mégamachine ?

Le mur énergétique du capital

- Livre de Sandrine Aumercier : Le mur énergétique du capital

- Des extraits sont en ligne sur le site de Palim-Psao

(...)
« À l’heure de la crise écologique, le dogme révolutionnaire de la « réappropriation des moyens de production » ne peut plus être affirmé innocemment. Moteur humain, moteur mécanique : ce sont là les bases de l’invention capitaliste du « travail ». La croyance en la substituabilité indéfinie d’une dépense d’énergie abstraite nourrit le développement technologique et entretient une relation ambivalente avec la thermodynamique. Une conception substantialiste de la valeur, telle que développée par Karl Marx et relue par Robert Kurz, permet de réinscrire le paradigme énergétique à l’intérieur de la forme sociale capitaliste et d’en expliciter la dynamique propre. Le rapport de composition organique du capital articule en effet étroitement le « travail mort » des machines et le « travail vivant » des humains. La crise énergétique et ses retombées écologiques constituent en ce sens le mur externe du métabolisme capitaliste, l’autre mur étant la création d’une humanité superflue.

L’abolition du travail abstrait ne pourrait donc que signifier la fin des technologies qui sont la « matérialisation adéquate » du capitalisme. Seule une exigence d’émancipation portée jusqu’à cette pointe pourrait à la fois cesser de consumer sans limites le monde matériel et offrir les bases sociales d’une réinvention des techniques et des activités libérées de la compulsion de valorisation. »

« Que les choses soient claires, donc : les annonces de « neutralité carbone » tentent de sauver l’économie de la fin du pétrole pas cher et non le climat ; elles enfoncent le monde dans un extractivisme frénétique qui épuisera les dernières ressources terrestres au nom du salut climatique ; elles effectuent les substitutions énergétiques les plus désespérées dans le seul but que le capitalisme se survive, sans même diminuer la consommation globale d’énergies fossiles ; et elles le font désormais avec la bénédiction du vote vert. Questionnés sur leurs plans pour parvenir à ladite « neutralité carbone », les partis allemands n’ont rien de concret à proposer et l’on sait ce qui est advenu en France des propositions pourtant fort peu radicales de la Convention Citoyenne pour le Climat. Et pour cause : le capitalisme est entré dans un goulot d’étranglement énergétique pressenti dès la première industrialisation – comme nous le verrons par la suite – qui ne connaît aucune solution et qui se traduit par la « combustion » de l’intégralité du monde naturel pour continuer à nourrir la compulsion de valorisation. L’électeur vert a beau jeu d’accuser ses représentants de mener le monde à sa perte, quand lui-même refuse d’examiner le coinçage général auquel il participe en exigeant l’impossible d’un système qui n’a pas d’issue.  »

L’électeur vert a beau jeu d’accuser ses représentants de mener le monde à sa perte, quand lui-même refuse d’examiner le coinçage général auquel il participe en exigeant l’impossible d’un système qui n’a pas d’issue.

Remarques

- Ces textes, et d’autres, démontrent une fois de plus que :

  • la civilisation industrielle ne peut pas être réformée pour devenir « bio-durable-décarbonée-écolo-démocratique »
  • Il n’est pas du tout souhaitable que la civilisation industrielle tente de se réformer et de durer, peut-être, un peu plus longtemps. Car plus elle dure plus elle continuera à tout ravager et à maintenir des sociétés totalitaires ou apparentées.

- De ces deux constats indiscutables, il résulte, pour qui ne verse pas dans le nihilisme ou la résignation :

  • qu’il nous faut renverser et démanteler au plus vite la civilisation industrielle
  • que les problèmes et désagréments consécutifs à ce démantèlement accéléré (forcément accéléré puisqu’il est déjà très tard) seront bien moindres que les désastres produits inéluctablement si la civilisation industrielle perdure
  • que les actions locales et les îlots d’autonomie ne suffisent pas
  • que des actes individuels de retrait/désertion/autonomie/lutte ne suffiront pas
  • qu’on ne peut pas du tout compter sur les institutions capitalistes-étatistes (ni sur les ONG) pour aller dans ce sens puisqu’elles veulent toutes faire durer quoi qu’il en coûte la civilisation industrielle par divers procédés de perlinpinpin désastreux
  • que le conflit virulent, voir violent, avec ces institutions est donc inévitable, et donc que les actions « légales » ne suffiront pas
  • que la plupart des mouvements de gauche et dits écologistes/climat sont à côté de la plaque, puisqu’ils visent à décarboner l’Economie productiviste et les énergies qu’elle avale, et à planifier via l’Etat une gestion technocratique centralisée
  • que les actions défensives ne suffisent pas
  • que des actions offensives sont indispensables
  • que des organisations/coordinations collectives puissantes de lutte et d’autonomie sont indispensables
  • que les personnes qui ne veulent/peuvent pas être en « 1re » ligne des luttes radicales peuvent et doivent soutenir et participer à leur manière. Tous les rôles sont importants et indispensables

Que ça plaise ou pas, que ça fasse peur ou pas, on est donc obligé de constater que seuls des mouvements radicaux (idéalement soutenus par des tas d’autres personnes) pourraient limiter la casse en renversant/démantelant la civilisation industrielle via une sorte de « basculement révolutionnaire ».
Donc si on veut agir de manière écologico-sociale pertinente, la voie radicale (viser les racines des problèmes et diversité des tactiques) s’impose, tout le reste c’est du rêve éveillé qui aide à faire durer et s’amplifier le cauchemar létal de la civilisation industrielle.

Les mouvements, individus et collectifs radicaux, anarchistes, anti-civ, anti-capitalistes, anti-fascistes, féministes radicaux... ont donc plus que jamais une responsabilité historique, tout simplement celle de préserver l’habitabilité de la Terre en priorité, et aussi de contribuer à créer des sociétés vivables et soutenables !
Sauront-ils relever avec fougue cette lourde responsabilité ou vont-ils s’enliser dans des querelles, des chapelles, des guerres d’égo, des objectifs réformistes ?
Seront-ils rejoints et soutenus par suffisamment de personnes pour que ce « basculement révolutionnaire » puisse avoir lieu pour de bon et rapidement dans de nombreux pays industrialisés ?

P.-S.

Créons un groupe d’écologie sociale et radicale

- Invitation en vue de créer un groupe/mouvement d’écologie sociale et radicale en Drôme - Il est temps de s’affirmer et de s’organiser davantage afin d’être présents et de peser


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