Pendant qu’on se bat pour empêcher le gouvernement de défoncer un peu plus nos droits sociaux à l’intérieur du cadre de la civilisation industrielle, les mondes vivants, la nature, les animaux, les plantes, les humains, les écosystèmes, le climat... continuent d’être défoncés partout par la civilisation industrielle.
Et de nombreux écolos se font encore avoir par le mythe de « verdir » cette civilisation industrielle par des énergies industrielles dites renouvelables ou décarbonées, une croyance illusoire propagée volontairement par les ultra-capitalistes et les gouvernants.
LE MOUVEMENT CLIMAT, C’EST LE CAPITALISME VERT
Ce très bon livre sort dans environ une semaine. Je le conseille vivement. Son auteur, Edouard Morena, a enquêté sur les différents acteurs de la gouvernance climatique, du capitalisme climatique contemporain. Entreprises, fondations, ONG, gouvernements, organisations internationales, para ou supra-étatiques, banques, investisseurs, propriétaires terriens, magnats de la tech, etc.
Il souligne des choses très importantes. Il rapporte des faits très importants et bien trop méconnus. Mais il me semble qu’il passe aussi à côté de l’essentiel, ou presque.
Son enquête montre et explique bien comment et pourquoi nous nous retrouvons aujourd’hui avec un « mouvement climat » (ou « pour le climat ») et pas — par exemple — avec un « mouvement pour la nature ». Autrement dit, son enquête montre bien la raison pour laquelle « le climat » — le carbone, le dioxyde de carbone (CO2) pour être plus précis, la concentration atmosphérique en gaz à effet de serre — en est venu à constituer la principale (voire, la seule) préoccupation écologiste.
Cette raison n’a rien de très compliqué, rien de très mystérieux : en focalisant la question écologique sur le réchauffement climatique, la teneur atmosphérique en CO2, les institutions de l’État et du capitalisme évitaient d’avoir à se remettre elles-mêmes en question. Arrêter de détruire la nature, pour l’État-capitalisme, c’est compliqué (impossible). Tenter de gérer le taux de CO2 atmosphérique, en revanche, semblait plus faisable. Et ça permet même (et surtout) de faire plein de pognon. D’où le développement, dès les années 1990, des divers marchés du carbone et des industries de production d’énergie dite verte, propre, renouvelable.
Un mouvement écologiste réellement axé sur la défense de la nature, ç’aurait été gênant pour le business-as-usual. Les dirigeants étatiques et les ultra-riches partagent en quelque sorte « une même conscience climatique de classe », comme le formule Morena. « Celle-ci combine une conscience de l’impact du capitalisme fossile sur le climat, et donc du besoin de le réformer pour en atténuer les effets négatifs (tout en tirant profit de ces efforts d’atténuation), et une conscience aiguë des menaces que fait peser le dérèglement climatique sur leurs intérêts de classe et leur pouvoir. »
Les gouvernants et les ultra-riches capitalistes, leurs entreprises, leurs fondations privées, ont donc commencé, vers le début des années 2000, à subventionner en priorité les ONG qui adoptaient la vision très réduite de la problématique écologique qu’ils avaient eux-mêmes adoptée, c’est-à-dire les ONG qui se focalisaient sur la lutte contre le réchauffement climatique, sur le climat, le taux de CO2 atmosphérique — et donc sur la promotion d’un capitalisme vert, durable, neutre en carbone. D’où en 2007 la création de l’ONG 350 .org (350 comme 350 ppm de CO2 dans l’atmosphère), grâce à l’argent des Rockefeller. D’où les réorientations des politiques des ONG comme Greenpeace ou le WWF. D’où une multitude d’acteurs, d’ONG, d’entreprises diverses et variées, qui ont vu le jour entre la fin des années 1990 et aujourd’hui, tous focalisés sur le taux de carbone atmosphérique.
Edouard Morena ne saisit pas bien ça, alors qu’il le démontre d’une manière flagrante. Il écrit : « Pour réussir à normaliser le capitalisme vert, il fallait impérativement contrôler le discours et emporter une adhésion plus large : celle des médias, des scientifiques, des ONG et des mouvements. » Et remarque que, pour ce faire, les riches capitalistes (industriels et autres) « ont lancé et conseillé des mouvements “astroturf”, des mouvements pilotés de manière artificielle pour donner un semblant de spontanéité et d’ancrage populaire à leurs revendications ». Il souligne par ailleurs que « les origines et l’évolution du mouvement climat sont indissociables des institutions et processus internationaux créés à la fin des années 1980 et au début des années 1990 pour traduire le consensus scientifique naissant autour du climat en politiques et actions concrètes ». Mais il oppose absurdement de gentils États et de gentilles institutions supra-étatiques comme l’ONU à de méchants ultra-riches capitalistes et au méchant marché corrupteur, comme si les deux n’avançaient pas main dans la main depuis à peu près le début de l’existence de l’État et du capitalisme.
Son aveuglement ridicule ressort tout particulièrement dans le fait que s’il met bien en lumière la manière dont des ultra-riches capitalistes ont choisi de financer des ONG pour contrôler le discours écologiste (et en faire un discours uniquement climatique), ce qu’il omet de rappeler, c’est que ces mêmes ONG reçoivent aussi souvent des financements étatiques (en France, le Réseau action climat, ou RAC, l’illustre bien). L’opposition gentil État/méchant marché est un simplisme erroné, un vieux mythe que charrie avec lui un anticapitalisme terriblement naïf, tronqué, superficiel.
Et en bon écosocialiste, Morena promeut comme horizon un bon État (une bonne « puissance publique », qui n’a en vérité jamais rien eu de publique), façon État-providence, qui aurait repris le contrôle sur le méchant marché, dompté les ultra-riches, et qui garantirait un bon système de transport public, un bon système de production énergétique verte. Bref, une bonne civilisation industrielle vraiment verte, avec de bons emplois verts, des salaires verts, etc., grâce à de bons États industriels providence. Il ne voit malheureusement pas ce qui pose problème avec l’État, l’industrie et la technologie.
Malgré ces écueils, assez conséquents, le livre de Morena est à lire, parce qu’il expose bien l’incroyable constellation d’organisations, d’entreprises, de fondations privées, etc., qui en est venue à totalement dominer la question écologique, et à presque la réduire entièrement à la seule problématique du taux de carbone atmosphérique.
Morena a aussi raison de souligner que les riches ne sont donc pas aussi hors-sol que beaucoup aiment à le prétendre. Ils ont très bien réussi à phagocyter le mouvement écologiste. À le détruire et à le remplacer par un grotesque « mouvement climat ». Mouvement climat qui se compose en bonne partie d’imbéciles qui prétendent s’opposer aux ultra-riches et au capitalisme, alors qu’ils sont en réalité leurs meilleurs serviteurs.
(post de N.Casaux)
Alors ?
Servir les riches et le Capital via les fantasmes de délivrance et de civilisation industrielle décarbonée, ou défendre la nature et l’ensemble des vivants ? Il faut choisir.
- Mouvement climat : s’abîmer dans le capitalisme vert des puissants au lieu de défendre la nature