Depuis les années 80, les médias contre la gauche à la suite des oligarques et éditocrates

Un livre essentiel d’Acrimed, essentiel à l’heure de la propagande orwellienne généralisée

dimanche 20 avril 2025

Cette situation on la sent, on la pressent, mais le livre d’Acrimed produit des analyses utiles pour préciser tout ça à partir de faits, et montre sur la durée l’évolution des médias militants contre la gauche.
Ce livre illustre la surpuissance de l’Argent et la domination des éditocrates et médias en phase avec le Pouvoir étatico-capitaliste.

Comme le disait en substance le célèbre historien Howard Zinn, ce sont généralement les riches et les dominant qui donnent le LA, qui écrivent l’histoire (ici le LA médiatique) en leur faveur, de leur point de vue. Les "loups" déterminent leurs "vérités" historiques et médiatiques, et la plupart du temps les "lapins" aveuglés restent hypnotisés et se font écraser.

Dans ce système non-démocratique, dominé par l’Etat et le capitalisme, complémentaires et totalitaires, il est bien logique que les médias dominants soient au service des intérêts des puissants et reflètent intégralement leur point de vue et choix politiques. C’est le contraire qui serait étonnant.

Malgré la somme gigantesque de cette propagande militante permanente en faveur des puissants et du système étatico-industriel devenue orwellienne et en défaveur de la gauche, ça résiste, beaucoup de personnes ne sont pas dupes et rêvent de "tout cramer".
Les révoltes sont toujours possibles et parfois éclatent bruyamment, le plus souvent sans prévenir. Et il arrive que les oligarques flippent pour leur matricule et préparent leurs hélicos pour fuir chez leurs potes dictateurs.
Alors ils comptent sur la guerre contre-insurrectionnelle la plus brutale pour écraser dans le sang celleux qui auraient résisté à la propagande et à la répression "ordinaire". Mais même là ça ne marche pas toujours, surtout si on regarde sur la durée.

Les médias dominants nous font la guerre à l’aide de milliardaires et de l’Etat, désarmons-les ainsi que le reste des outils de la domination.
Et pour commencer, désertons-les en guise de cure de désintoxication et d’ouverture à d’autres horizons.

- Par étapes, en renonçant à tout projet révolutionnaire, la gauche s’est sabordée toute seule. En s’enlisant dans un réformisme de plus en plus fade, en acceptant les lois d’airain du capitalisme et de l’étatisme, elle s’est tirée des balles dans le pied. Les médias dominants n’ont eu qu’à l’achever, tout en en faisant un adversaire commode et inoffensif (car pas si différent au fond des idées du bloc bourgois). Si la gauche doit se relever un jour, ce sera d’en bas et avec des visées radicales, en marchant sur les cadavres déjà décomposés des partis de gouvernement et des syndicats réfomistes.

Les médias contre la gauche

- Les médias contre la gauche

Publié en 2023, notre livre Les médias contre la gauche montre comment les médias dominants jouent un rôle actif dans la droitisation du débat public depuis quarante ans. Un processus qui s’est encore accéléré ces deux dernières années, en même temps que se dégradaient les conditions d’expression et d’existence médiatique de la gauche. Après plusieurs milliers d’exemplaires vendus, notre éditeur (Agone) a décidé de le rééditer en poche. Il sera disponible en librairie à partir du 18 avril. Il est aussi possible de le commander sur notre boutique en ligne. Nous en publions ici l’introduction.

Il y a quarante ans, en mars 1983, François Mitterrand, premier président de gauche de la Ve République, élu en 1981 sur un programme de rupture avec le capitalisme, amorce un « tournant de la rigueur » et renonce de ce fait à poursuivre la politique pour laquelle il a été élu [1]. Il n’y aura pas de retour en arrière. Au cours des années et des décennies suivantes, les médias qui s’opposaient au pouvoir gaulliste puis giscardien et avaient soutenu le candidat socialiste s’abstiennent d’interroger trop ouvertement – et a fortiori de critiquer – ce fait politique majeur. Au nom du réalisme, du sérieux et de la culture de gouvernement, ils l’accompagnent même avec zèle.

En 1984, Libération, qui est pourtant alors emblématique de la gauche post-soixante-huitarde (quotidien fondé en 1973 autour de Jean-Paul Sartre), donne un compte rendu enthousiaste d’une émission spéciale réalisée par la chaîne de service public Antenne 2, « Vive la crise ! », qui chante les louanges de l’austérité, les vertus du marché et l’obsolescence de l’État-providence [2]. Au cours des années 1980, Le Nouvel Observateur, hebdomadaire de la gauche intellectuelle et culturelle qui s’était engagé en faveur de François Mitterrand, devient l’organe de propagande de la faction du Parti socialiste la plus anticommuniste et la plus droitière, acquise à l’économie de marché la plus débridée ; il s’accommode évidemment fort bien des reniements gouvernementaux, quand il ne les appelle pas de ses vœux. Le Monde, qui tient à son statut de quotidien « de référence » et à sa ligne de centre gauche, s’aligne sans scrupules sur la nouvelle doxa économique et politique. Les médias se ferment à l’économie hétérodoxe (marxiste et même keynésienne) comme à la critique sociale. Partout, le néolibéralisme est hégémonique [3].

Depuis les années 80, les médias contre la gauche à la suite des oligarques et éditocrates, une propagande devenue orwellienne

Bien que connaissant une embellie à partir de la fin des années 1990, les organisations de gauche fidèles à l’histoire du mouvement ouvrier, qu’elles soient partisanes, syndicales, intellectuelles ou associatives, sont marginalisées et disqualifiées. Les mobilisations parfois massives contre les réformes libérales (de la sécurité sociale, des retraites, du droit du travail, de la SNCF, etc.) provoquent systématiquement une contre-mobilisation médiatique et subissent les quolibets, le mépris et la vindicte de l’éditocratie [4]. Dans la foulée des « intellectuels contre la gauche [5] », retournement qui a marqué les années 1970, les médias ne cessent d’entonner leur crédo : la gauche sera « moderne » et « modernisatrice »… ou ne sera pas !

Ces quarante années de néolibéralisme portent aussi dans leur sillage une crise sociale et une crise politique qui ont nourri une progression constante des idées et des scores électoraux de l’extrême droite. Au cours des années 1980 et 1990, si Jean-Marie Le Pen est en partie décrié dans les médias dominants, des titres comme Le Figaro et dans une moindre mesure Le Point, mais aussi TF1 – qui domine alors outrageusement le paysage audiovisuel –, portent régulièrement les thématiques et les problématiques qui font écho aux thèses du Front national : l’immigration, l’islam et l’insécurité. En 2002, c’est d’ailleurs à l’issue d’une campagne où ce dernier thème aura occupé une place totalement disproportionnée dans les médias que Jean-Marie Le Pen accède au second tour de l’élection présidentielle. Au cours de la décennie suivante, la stratégie politique de Nicolas Sarkozy – qui braconne ouvertement sur les terres du FN tout en saturant un espace médiatique fasciné par le personnage – puis l’ascension politique de Marine Le Pen accélèrent la banalisation de son parti.

Dans cette configuration du débat public, la gauche de gauche est doublement perdante. D’une part, la question sociale, qu’il s’agisse des retraites, des salaires, du logement ou des services publics, est reléguée dans les tréfonds des débats – quand elle n’est pas préemptée par Marine Le Pen sans que les vedettes du journalisme politique y trouvent à redire. D’autre part, dès lors qu’un ou plusieurs des termes du triptyque immigration–islam-insécurité occupent l’agenda médiatique, c’est à travers le cadrage et les grilles de lecture de la droite qu’ils sont discutés, d’autant plus que le PS, en pleine « mue sécuritaire », n’en finit pas de durcir son discours. Au cours des années 2010, et plus encore à partir de 2015, à la suite de la série d’attentats qui ont endeuillé le pays, on assiste à une légitimation graduelle de mots d’ordre sécuritaires, autoritaires, nationalistes et identitaires. Ces thématiques s’imposent dans une presse magazine en perte de vitesse, et surtout dans le secteur audiovisuel où la concurrence est exacerbée, notamment depuis que coexistent quatre chaînes d’information (bas de gamme) en continu. Une partie du traitement médiatique de ces thèmes repose sur une mise en accusation de la gauche, systématiquement suspectée d’ingénuité et de laxisme, de déni et de complaisance. Prisonnière d’un débat mutilé, dont les termes ne sont pas les siens, où le pluralisme n’existe pas, la gauche ne parvient plus à imposer sa manière d’aborder ces sujets ; les désaccords qui la traversent, les analyses qu’elle propose, les réponses alternatives qu’elle apporte deviennent médiatiquement inaudibles.

Le système médiatique paraît donc, à peu près partout et tout le temps, ouvertement hostile à la gauche – et dans le même temps très affable avec les politiques et intellectuels qui ont capitulé devant le monde tel qu’il va. Sondages et doctes analyses politologiques à l’appui, les éditocrates diront qu’ils ne font que refléter l’état du débat public, rendre compte des attentes de l’opinion, des évolutions des rapports de force et des positionnements des formations politiques. Qu’en aucun cas ils n’exercent quelque influence que ce soit. Les éditocrates aiment se dépeindre comme de simples et humbles serviteurs de la démocratie et du débat public – qu’ils contribuent, de fait, à organiser. L’information qu’ils produisent, la présentation qu’ils font des enjeux et des rapports de force politiques ne seraient que les reflets d’une réalité qui s’imposerait à eux. Ils ne seraient que des miroirs du réel dont ils tenteraient de rendre compte en toute indépendance et en toute objectivité.

Pourtant, les médias ne sont pas indépendants ni autonomes. Au contraire, ils sont les faire-valoir et les relais d’influence de leurs propriétaires. Et s’ils ne sont pas directement dépendants de ce pouvoir capitalistique, qui ne se manifeste frontalement que rarement, la plupart des grands médias et des producteurs d’information (pris collectivement) se trouvent dans des situations d’interdépendance étroite à l’égard des pouvoirs politique et économique, vis-à-vis desquels ils ne sont donc pas en position de jouer leur rôle de contre-pouvoir. Par ailleurs, ils ne peuvent prétendre à une quelconque objectivité, dirigés et contrôlés qu’ils sont par des chefferies éditoriales sociologiquement solidaires des intérêts et des points de vue des classes dirigeantes.

Certes, les médias ne décident pas de l’actualité. En revanche, ils choisissent de porter leur regard ici plutôt que là, hiérarchisent les informations qui leur parviennent, distinguent celles qu’ils estiment devoir être traitées comme telles de celles qui doivent être considérées comme des « non-événements », sélectionnent celles dignes d’être « montées en une » et relèguent celles qui ne méritent que des « brèves ». Les médias ne fixent pas l’agenda politique. Ils se contentent de suivre servilement celui des institutions, des partis dominants, des multinationales, etc. Les médias ne fixent pas les termes du débat public. Mais ils savent ignorer ou, quand ils ne le peuvent pas, disqualifier ceux qui leur déplaisent, et au contraire porter voire imposer ceux qui leur conviennent ; ils savent également choisir à dessein les questions soumises aux sondés, sélectionner les « petites phrases » et entretenir les polémiques. Les médias ne sélectionnent pas les représentants politiques. Mais ils décident de faciliter ou non leur expression, de leur présenter ou non des signes de déférence, de prêter ou non du crédit à leurs propos, tout comme ils savent favoriser les « bons clients » et ignorer les plus rétifs ou les moins à l’aise. Les médias ne font évidemment pas les élections. Mais ils pèsent sur l’ensemble du processus électoral [6].

Pour toutes ces raisons, les médias jouent un rôle actif dans l’histoire sans fin de la droitisation du débat public depuis quarante ans. Et comme nous le montrerons tout au long de cet ouvrage, ce processus s’est encore accéléré au cours des dix dernières années, en même temps que se dégradaient les conditions d’expression et d’existence médiatique de la gauche, dans toutes ses composantes.

En 2017, la candidature à l’élection présidentielle d’Emmanuel Macron, qui promettait d’achever la normalisation libérale de la France, fait l’objet d’une hypermédiatisation et déclenche des vagues d’enthousiasme incontrôlé dans nombre de rédactions, du Monde à la presse quotidienne régionale, en passant par France Télévisions, L’Obs, L’Express et BFM-TV. Une fois Emmanuel Macron élu, le journalisme politique donne toute sa mesure : personnalisation outrancière du président, focalisation sur sa communication, service après-vente décomplexé des réformes engagées comme de toutes ses initiatives, fascination pour les jeux politiciens agitant le pouvoir en place, etc. Un véritable journalisme de cour, qui montrera à nouveau tout son savoir-faire lors de la campagne présidentielle 2022.

Au cours de ce premier quinquennat, dont l’un des objectifs déclarés était pourtant de lutter contre le Front national, l’assise électorale du parti de Marine Le Pen a encore progressé, tout comme l’enracinement médiatique de l’extrême droite, avec, notamment, la circulation d’un commentariat ultra réactionnaire aux quatre coins du paysage de l’information et le développement par Vincent Bolloré de son empire médiatique. Le journalisme politique installe dès 2017 le « duel Macron-Le Pen » à la une pour en faire le centre de gravité de la vie politique, au détriment notamment de Jean-Luc Mélenchon, qui avait obtenu près de 20 % des voix au premier tour de l’élection présidentielle. Pendant cinq ans se succèdent les chasses politico-médiatiques aux ennemis de la République – dont la gauche fait les frais –, et l’agenda médiatique est régulièrement polarisé par les obsessions de l’extrême droite. Une longue banalisation qui culmine en 2022 avec le traitement médiatique triomphal réservé aux candidatures d’Éric Zemmour et de Marine Le Pen à l’élection présidentielle.

Lorsque le débat public porte sur des questions socio-économiques, on pourrait penser que la gauche est a priori sur un terrain qui lui est plus favorable. C’est loin d’être le cas tant prévaut dans les médias dominants ce qu’il faut bien appeler un « journalisme de classe ». Le journalisme économique stricto sensu ne tolère pas le moindre écart au prêt-à-penser libéral. Il est la chasse gardée d’une poignée de spécialistes dont les erreurs d’analyse, les partis pris et les conflits d’intérêts sont proverbiaux mais qui continuent de clamer leur détestation de l’intervention publique et de l’État social, comme leur croyance en l’efficience de marchés omnipotents. Au-delà des seules rubriques économiques, le pluralisme est aussi en berne : les médias multiplient les partenariats avec le patronat au prétexte d’œuvrer pour l’emploi, les dirigeants de multinationales sont traités avec une considération inversement proportionnelle au mépris qui accueille les revendications des salariés comme leurs mobilisations pour protéger les acquis sociaux. Quant aux préoccupations et aux modes de vie des classes populaires, ils sont littéralement absents des grands médias, qui n’ont d’yeux que pour les classes supérieures, seules à même d’attirer les annonceurs.

Si cette éclipse de l’enquête sociale n’est pas nouvelle, à l’inverse il est une forme de journalisme qui a proliféré pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron : le journalisme de préfecture. La couverture de la mobilisation contre la loi Travail en 2016 avait marqué une étape décisive dans l’accompagnement médiatique du durcissement répressif et autoritaire de l’État. Avec le mouvement des Gilets jaunes, cette tendance s’est encore accentuée. Les violences policières massives subies par les manifestants ont mis des mois à percer le mur d’indifférence médiatique, alors que les rédactions relayaient en boucle les images des affrontements tout en saluant et en documentant avec délectation la militarisation du maintien de l’ordre. Depuis, qu’il s’agisse de couvrir la moindre manifestation d’ampleur nationale, une nuit de révolte dans un quartier populaire, un fait divers crapoteux ou l’installation d’une zone à défendre (ZAD), la plupart des médias dominants ont recours au prisme sécuritaire du maintien de l’ordre. Les points de vue qui contredisent la communication des institutions répressives sont le plus souvent ignorés et, quand les nombreuses organisations de gauche mobilisées sur ces questions trouvent à s’exprimer, leurs explications ou leurs propositions sont dénigrées. Les moyens d’action politique (happenings, blocages, grèves, etc.) ne sont plus considérés que comme des perturbations de l’ordre… qu’il faut rétablir urgemment.

Tout au long de ce quinquennat, toutes les composantes de la gauche ont été à un moment ou à un autre la cible de cabales médiatiques. Comme à l’accoutumée, à l’occasion de chaque mouvement social, les syndicats furent vilipendés, leurs responsables morigénés en direct sur toutes les antennes. Régulièrement, les organisations écologistes qui réclament des mesures vigoureuses pour lutter contre le réchauffement climatique et le désastre environnemental sont tournées en ridicule et caricaturées en « khmers verts » par les plus grandes vedettes du journalisme. À plusieurs reprises, les mêmes ont entrepris de traquer d’introuvables « islamo-gauchistes » ou leurs succédanés « wokistes » et « décoloniaux » qui gangrèneraient La France insoumise ou, pire, l’Université. Jusqu’au feu d’artifice final contre la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) lors des élections législatives de juin 2022. Dans la plupart des médias se déchaîna une campagne d’une violence inouïe contre l’accord et chacun de ses protagonistes. Il ne s’agissait alors plus d’information mais bien d’une mobilisation de toute l’éditocratie, unanime contre une alliance et un programme remettant en cause la soumission de la gauche à un certain nombre de dogmes libéraux et n’entendant pas céder au cours autoritaire de la vie politique. Une union clairement campée à gauche, dont l’existence même et le relatif succès dans les urnes constituent un camouflet pour les médias dominants.

***

Deux ans plus tard, la guerre médiatique contre la coalition du Nouveau Front populaire, constituée en vue des élections législatives après la dissolution de l’Assemblée nationale par Emmanuel Macron en juin 2024, a pris des allures de bis repetita [7]. Feuilletonnant les « batailles pour Matignon » jusqu’à plus soif, les médias dominants ont réussi à faire oublier la victoire de la gauche aux élections, normalisant le coup de force antidémocratique du camp présidentiel [8]. La France insoumise est demeurée, à cette période, leur cible privilégiée [9].

Dans la roue du pouvoir politique et de très nombreux partis d’opposition, gauche comprise, les grands médias sont même parvenus à accoler au mouvement dirigé par Jean-Luc Mélenchon le stigmate de « parti antisémite » depuis le 7 octobre 2023. Dès le lendemain des massacres commis par le Hamas, le journalisme dominant a épousé le récit du gouvernement d’extrême droite israélien et a étouffé l’ensemble des voix et des mouvements de solidarité avec le peuple palestinien. S’est ainsi enclenchée la plus vaste et la plus violente campagne de diabolisation que la sphère politico-médiatique ait entreprise à l’endroit de mouvements sociaux et politiques contestataires au cours des dernières décennies [10].

À la manière d’un redoutable accélérateur, la question palestinienne a cristallisé un processus à l’œuvre depuis plus de dix ans dans les champs politique et journalistique, consistant à vilipender la gauche dite « extrême », tout en promouvant l’extrême droite… et ses visions du monde. Gardiennes autoproclamées du « cercle de la raison », les chefferies éditoriales se radicalisent et s’alignent toujours plus ouvertement sur le pôle réactionnaire de la vie publique, avec lequel elles communient dans une fuite en avant autoritaire et islamophobe.

Opérant précisément à la manière d’un trait d’union, la mouvance d’extrême centre gravitant autour du Printemps républicain occupe de nouveau un rôle majeur dans la conjoncture. L’influence dont jouit ce petit nombre d’éditorialistes, essayistes et polémistes au sein du champ journalistique – et des sphères de pouvoir, plus généralement – est d’autant plus importante qu’ils disposent d’un organe de presse à leur image et fait par eux, Franc-Tireur, largement légitimé, repris et cité par les grands médias en dépit, ou plus précisément en raison de sa nature indigente : un condensé d’éditorialisation et une synthèse du prêt-à-penser dominant. Sous la coupe du groupe Czech Media Invest – propriété du milliardaire Daniel Kretinsky et dont la présidence est assurée par l’illustre Denis Olivennes –, l’hebdomadaire devrait même bénéficier d’une « déclinaison » sur la TNT en 2025. Tandis que l’empire Bolloré continue de doper la droitisation et le confusionnisme ambiants, le pluralisme n’en finit plus de s’étioler… Dans un tel contexte, c’est la possibilité même de l’existence de la gauche dans le débat public – c’est-à-dire une apparition qui ne soit pas préalablement entachée de discrédit voire de diffamation systématique – qui est tout simplement en jeu.

Deux ans ont passé… et ce sont bien l’ensemble des dynamiques décrites dans ces pages qui ont redoublé d’intensité. Mobilisation de l’éditocratie contre les opposants à la réforme des retraites début 2023 [11] ; rappels à l’ordre et triomphe des injonctions sécuritaires au moment des révoltes des quartiers populaires en juin 2023 [12] ; accompagnement de la répression lors des manifestations écologistes, notamment à Sainte-Soline [13] ; surexposition outrancière de Jordan Bardella, la tête de liste du Rassemblement national aux élections européennes [14] ; relégation du journalisme social face à la suprématie des actionnaires du CAC40, qui accaparent les bénéfices de la politique économique d’Emmanuel Macron à mesure qu’ils licencient massivement partout en France [15]…

On ne compte plus les symptômes de la débâcle du « quatrième pouvoir », dévoyant les missions d’information et de pluralisme qui, en théorie, le consacrent historiquement comme un pilier de la démocratie. Nous ne tirons aucune satisfaction à voir les diagnostics ici posés demeurer d’une brûlante actualité. Plutôt la conviction que le combat pour une réappropriation démocratique des médias est, aujourd’hui encore davantage qu’hier, une nécessité politique de premier plan.

Pauline Perrenot, Les médias contre la gauche, Agone, 2025, p. 7-19.

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[1] Serge Halimi, Quand la gauche essayait. Les leçons du pouvoir (1924, 1936, 1944, 1981), Agone, 2018.

[2] Pierre Rimbert, « Il y a quinze ans, “Vive la crise !” », Le Monde diplomatique, février 1999.

[3] Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Agone, 2012.

[4] Serge Halimi, Les Nouveaux Chiens de garde, Raisons d’agir, 2022.

[5] Michael Christofferson, Les Intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Agone, 2014.

[6] Mathias Reymond et Grégory Rzepski, Tous les médias sont-ils de droite ?, Acrimed & Syllepse, 2008.

[7] Mathias Reymond, « Les médias en guerre contre le Nouveau front populaire », Acrimed, 5 juillet 2024.

[8] Jérémie Moualek, « La "bataille pour Matignon" : comment les médias ont fait oublier l’élection », Acrimed, 15 octobre 2024.

[9] Pauline Perrenot, « Le "chaos" de l’"alliance brun-rouge" : face à la censure, l’éditocratie en roue libre », Acrimed, 6 décembre 2024.

[10] « Israël-Palestine, le naufrage du débat public », Médiacritiques, n°49, janvier-mars 2024 ; « Maccarthysme médiatique », Médiacritiques, n°51, juillet-septembre 2024 et « Médias et Palestine », Médiacritiques n°53, hiver 2025.

[11] « Retraites : l’éditocratie avec Macron », Médiacritiques, n°46, avril-juin 2023.

[12] Mathias Reymond, « Mort de Nahel : de l’appel au calme au rappel à l’ordre », Acrimed, 12 juillet 2023 et Pauline Perrenot, « Nahel et révoltes urbaines : promenade à travers la PQR », Acrimed, 17 juillet 2023.

[13] Acrimed, « Sur BFM-TV, la police fait l’information », dans Avoir vingt ans à Sainte-Soline, sous la direction du Collectif du Loriot, La Dispute, 2024.

[14] Acrimed, « Ascension de l’extrême droite : les médias complices et coupables », Blast, 25 juin 2024.

[15] Acrimed, « Journalisme économique : 40 ans de propagande au service du capital », Blast, 3 novembre 2024.

- source, avec liens et notes : https://www.acrimed.org/Les-medias-contre-la-gauche-6909


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