Imaginons que par extraordinaire les gouvernements et le système capitaliste sont mis un jour en déroute par des mouvements contestataires forts (lesquels ?), et ensuite ?
Un autre gouvernement ?
Une autre constitution ?
Une multitude de Communes ?
Un autre Etat ou des zones autonomes ?
Une autre économie ou la fin de l’économie ?
Même si de telles perspectives semblent très éloignées, voire totalement improbables, il reste important de réfléchir à là où on veut aller, et comment.
Et puis on ne sait jamais, une cocotte minute sous pression, surtout si on lui jette constamment de l’huile bouillante, ça peut exploser plus vite qu’on ne croit.
En sachant aussi que l’action accélére la réflexion, et que la réflexion peut aussi influencer l’action.
Mettons en débat deux tendances politiques : l’organisation et des formes d’institutions sur de grands territoires VERSUS la destitution, les petits groupes, l’insurrection et l’instabilité permanente.
Concurrentes ou complémentaires ? Transitoires ou permanentes ?
- Débat : quelle organisation politique et sociale à la place du capitalisme et des tyrannies technocratiques ?
- D’autres institutions, des institutions sans cesse revues, l’absence d’institutions, des Communes autonomes, sortir de l’Economie ou une alter-économie...?
On commence avec : Frédéric Lordon : Pour un néo-léninisme - Nous avons retranscrit ici l’intervention de Frédéric Lordon lors du débat public avec Andreas Malm sur le thème « écologie et communisme », organisé dimanche 6 juin devant la librairie Le Monte-en-l’air par ACTA, Extinction Rebellion et les éditions La Fabrique. Contre les tentations jumelles du mouvementisme et du retrait marginaliste, Lordon plaide pour un « néo-léninisme » seul à même de dessiner une alternative stratégique et macroscopique à la domination capitaliste. (...)
Je pense qu’il n’y a pas de lutte possible contre le capitalisme sans proposition politique puissante, c’est-à-dire générale et articulée, capable de faire pièce à la proposition capitaliste.
(...)
La démocratie, c’est la capacité d’un corps politique à constituer ses propres institutions et à les garder sous la main pour pouvoir les retravailler en permanence.
(...) On aura du mal à ne pas admettre que le léninisme « vintage » se moquait comme d’une guigne des autonomies locales – quand, en fait, il ne cherchait pas tout bonnement à les écraser. Parmi les douloureux enseignements du léninisme historique, l’annihilation de toute vie locale autonome a été l’un des corrélats désastreux de la centralisation étatique totalitaire – une sorte de modèle de ce qu’il ne faut pas refaire. Un néo-léninisme aura donc le devoir de s’intéresser aux expériences locales, non pas par respect poli des curiosités mais comme source de sa vitalité même. Alors il se reconnaîtra le devoir rationnel de les faire prospérer autant qu’il le peut. (...) C’est pourquoi, s’il est un mode de production, le néo-léninisme ne perd aucunement de vue les nouvelles contraintes et les nouvelles finalités autour desquelles il s’organise : les contraintes de la situation terrestre, et les finalités du développement des puissances non-matérielles de la vie humaine.
Voir aussi 3 podcasts récents avec Lordon : C’est quoi le plan ? (voir notamment le podcast N°2, où Lordon évoque la nécessité de lutter et de faire contre-société à différents niveaux simultanément, local comme à plus grandes échelles)
Lordon essaye de concilier l’autonomie locale et la démocratie avec des organisations de masse, un néo-léninisme sans productivisme ni réduction à des structures d’autonomie locale.
Je trouve que Lordon insiste un peu trop sur "le mode de production", malgré ses remarques intéressantes, il ne semble pas vouloir sortir pour de bon du monde de l’Economie, et considère l’Etat récupérable.
Je trouve plus convaincantes les analyses et perspectives de Jérôme Baschet dans son livre "Basculements - Mondes émergents, possibles désirables.
Un livre (pas lu) semble proposer une intéressante critique argumentée et constructive des théories de Lordon : Benoît Bohy-Bunel, Contre Lordon - Anticapitalisme tronqué et spinozisme dans l’œuvre de Frédéric Lordon
Il y a aussi cet article de Benoît Bohy-Bunel : Critique de Vivre sans, de Frédéric Lordon
Voir aussi : Sur la foi servile des écologistes en l’État
(par Nicolas Casaux) - À propos de quelques naïvetés bien trop répandues
(...) Alors, bien entendu, si votre objectif consiste simplement à réclamer ce que l’État compte de toutes façons imposer (le développement des énergies dites vertes ou propres, la « carboneutralité », etc.), vous n’avez pas beaucoup de souci à vous faire.
Mais dès lors qu’on souhaite s’opposer de quelque manière à ses plans, à des projets industriels (prétendument verts ou non), ou qu’on souhaite réellement mettre un terme au désastre social et écologique, il faut bien réaliser que cela implique, selon toute probabilité, un combat révolutionnaire contre l’État (visant non pas à s’emparer de l’État, comme le souhaite la gauche « néoléniniste » à la Andreas Malm et Frédéric Lordon, mais à le détruire).
Voici d’autres analyses, qui sont plutôt opposées à celles de Lordon :
- La masse manipulable et captive OU de petites démocraties peuplées de personnes libres ? - La délégation, la hiérarchie et la domination, ou la démocratie directe ?
- PUNK anarchism - Éléments de PUNK philosophie - Annexe, Exercice de critique et Épilogue
Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré. - L’Autonomie hypostasiée - Notes sur L’hypothèse autonome de Julien Allavena
- Philosophie du Zapatisme - Courte généalogie de la politique négative - La généralisation philosophique (nommée « Philosophie du Zapatisme ») d’études plus empiriques (de la réalisation zapatiste) dérive des écrits de John Holloway. Sa théorie du « crack », une formulation de la politique négative (ou du « punk anarchism »), est le noyau de ce présent article.
Comme point de départ de cette généralisation, il est recommandé de méditer la controverse entre Michael Hardt & John Holloway,
Creating common wealth and cracking capitalism, A cross-reading,
Herramienta, 2012, March (online : herramienta.com.ar).
C’est cette controverse que nous allons déployer.
Il faudrait ajouter d’autres analyses, sur la critique de l’Etat et sur les sociétés sans Etat :
- Sylvaine Bulle : « Une politique d’émancipation doit mettre l’Etat à distance » - Entretien avec la sociologue Sylvaine Bulle, autrice d’une enquête sur des expériences d’autonomie politique. Elle explique comment la pandémie peut renforcer le désir de ne pas être gouverné, et inciter à la recherche d’autres formes de vie.
- Homo Domesticus - James C. Scott - Une Histoire profonde des premiers États
- L’Etat, une structure militaire de crime organisé avec un visage civil - Technopolice, complot permanent, secret, surveillance... au service de la civilisation techno-industrielle
- Rq : des discussions ont lieu d’ailleurs sur Ricochets sur la question d’un possible contrôle démocratique de l’Etat, voir ici, et aussi là.
Institution / Destitution ?
On voit deux tendances se dessiner, une plus institutionnelle ou organisée concernant des foules importantes, supposée nécessaire pour l’emporter et viser des sociétés plus ou moins "stables" et "paisibles", une 2e qui dit que toute organisation tourne mal et s’en remet à la destitution permanente, aux petits groupes sociaux, au NON, à la "révolution" permanente, à l’instabilité comme vertue.
Hors les variations culturelles possibles, où serait la voie étroite la plus vivable et soutenable ?
Difficile à dire, il est plus facile de décrire ce dont on ne veut pas. Et puis ça pourrait varier suivant les époques et les régions.
D’autres auteurs, comme dans le livre « L’Hydre et le dragon », évoquent l’idée d’une tension permanente entre organisation et destitution, entre stabilité et chaos produit par les révoltés minoritaires. Une multitude de micro-régions et de groupes en conflit (plus ou moins) larvé perpétuel empêchant toute constitution d’un centre ou d’un empire.
Toute société humaine a besoin d’une forme ou d’une autre d’organisation sociale/politique/culturelle, surtout quand on est nombreux sur un territoire.
Personnellement, je me dis que d’un côté la vie humaine a besoin d’une certaine stabilité et sécurité pour s’épanouir pleinement, et donc de formes sociales/politiques organisées voire instituées, de l’autre je reconnais les dangers de l’institutionnalisation (fossilisation, autoritarisme, centralisation...).
Donc l’option de formes institutionnelles légères "associées" à des bouillonnements et vigilances collectives permanentes à même de perturber, remettre en cause et démolir si besoin les insitutions semble séduisante à ce stade, que ce soit avant, pendant ou après une bien hypothétique "révolution".
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