Convertir un mal-être privatisé et individualisé en une colère politisée - Comment lutter dans un contexte difficile ?

Dépression, éco-anxiété, infériorisation... - Se révolter collectivement au lieu de subir individuellement

vendredi 16 septembre 2022, par Camille Pierrette.

Voici quelques textes sur l’idée de transformer les mal-être individualisés en colères collectives politisées. Pour ne pas subir seul.e dans son coin une psychologisation des problèmes sociaux et écologiques qui affectent fortement nos vies.
Et aussi des réflexions sur l’importance de la solidarité et du soutien mutuel, en évitant les excès de « pureté militante ».
La situation est bien suffisamment difficile : au lieu de s’accabler ou d’en rajouter, trouvons des voies d’émancipations et de transformations structurelles.

Convertir un mal-être privatisé et individualisé en une colère politisée - Comment lutter dans un contexte difficile ?

- « Good for nothing » traduction d’un texte de Mark Fisher sur la dépression
Traduction d’un texte de Mark fisher (aka k-punk) sur la dépression, cherchant à convertir « un malêtre privatisé » en « une colère politisée »

Mais la lutte ne prémunit pas contre tous les traumas :

- Anxiété, panique… En Allemagne, le trauma de jeunes défenseurs des forêts - Plus d’un an après l’expulsion violente de leur zad, de jeunes protecteurs d’une forêt allemande souffrent : ils sont en « deuil face à la perte de la nature », résument les « psychologues pour le futur ».
(...)
Nio se souvient d’un matin de novembre, en 2020. Il faisait très froid, quand elle s’est réveillée à 25 mètres de hauteur, dans une cabane de bois nichée entre les branches d’un vieux chêne, au cœur de la forêt de Dannenröder. Dans les cimes des hêtres alentour, tous les rameaux et les faines étaient givrés. « Quand le soleil s’est levé, toute la forêt était étincelante, comme des paillettes dans les cimes des arbres, se souvient-elle. C’était un moment spectaculaire — et c’est aussi là où je me suis rendue compte que tout cela serait bientôt fini. » À des dizaines de mètres de hauteur, se dressaient encore barricades et cabanes, maillées par des cordes et autres ponts suspendus dans des arbres menacés. Pendant plusieurs mois, 2 000 policiers se sont mobilisés pour expulser les occupants. Fin 2020, la dernière cabane a été démolie.
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La fin du rêve fut brutale. Alors que commençaient les travaux de déboisement, plusieurs protestataires furent blessés et une jeune femme fit même une chute de plus de quatre mètres après qu’un policier a coupé une corde de sécurité. Les autorités, elles, ont dénoncé des jets de projectiles et de pétards. « L’expulsion était bruyante, dangereuse. Il y avait des lumières vives, des hélicoptères, beaucoup de flics, la peur constante pour mes amis », se remémore Pfütze, militante d’une trentaine d’années. « La nuit, le bruit des générateurs et les énormes éclairages emplissaient la forêt. La journée, les faucheuses et la police étaient là, et certaines unités menaient une sorte de chasse à l’homme dans les bois. J’ai eu des interactions vraiment terrifiantes avec la police. Mon cerveau est passé en mode automatique, anesthésié. »
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Le 31 décembre est venue la première crise de panique. Quatre mois plus tard, un psychologue lui a diagnostiqué un syndrome de stress post-traumatique. « J’ai eu des attaques de panique, des pensées suicidaires, de longues phases d’anxiété, des flashbacks. Je ne pouvais pas dormir, j’ai perdu connaissance plusieurs fois, tout bruit violent était un déclencheur », énumère-t-elle. Toujours trop fragile pour rejoindre un autre mouvement, elle a beaucoup réfléchi à d’autres manières de s’engager. « Ces derniers mois, je me suis beaucoup formée aux premiers secours psychologiques. J’aimerais créer une brochure rassemblant les exercices que j’ai appris, pour les transmettre à d’autres militants. »
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À travers l’Allemagne, une centaine d’entre eux propose un soutien psychologique gratuit, notamment pour les militants du climat. Les cas les plus courants sont les militants en burn-out et, en deuxième position, le sentiment d’un « deuil face à la perte de la nature, une perte de toute perspective », explique Christoph Hausmann. Ensuite, l’écoanxiété. En 2021, le groupe a enregistré 209 consultations pro bono, dont une vingtaine liée à l’évacuation de Dannenröder — même un an après. L’un d’entre eux envisageait même de s’immoler par le feu, en signe de protestation, rapporte le psychothérapeute.
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Dans la lutte climatique, « nous avons aussi besoin de lieux présents sur le long terme, qui ne peuvent pas être détruits par la police », dit-elle, ne perdant pas de vue son engagement politique : « Une fois qu’on a vu certaines choses, on ne peut plus retourner à la vie normale. »
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Les options d’engagement ne manquent pas. Aujourd’hui, non loin de l’ancienne zad, une dizaine de militants loue encore une auberge où s’organisent conférences et formations. Dans la ville de Marburg, proche de la forêt, des autocollants « Danni Lebt » (« Dannenröder est vivante ») couvrent les murs. Des milliers de jeunes venus de toute l’Europe y ont fait leurs premiers pas de militantisme. « On a perdu la forêt, mais maintenant on sait que nous sommes forts, et nombreux », affirme Nio. Un optimisme reflété par Fluss, qui réfléchit déjà à son prochain engagement : « Dannenröder a planté une graine dans mon cœur », dit-elle.

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Convertir un mal-être privatisé et individualisé en une colère politisée - Comment lutter dans un contexte difficile ?
Recréer des « communautés de vie » pour permettre une culture de résistance ?

UNE PENSÉE POUR NOS FANTÔMES

Nuit blanche. Le parfum du café embaume la pièce une heure avant l’aube

Je dors très peu en ce moment. Besoin d’écrire, de bosser sur des projets qui prenaient trop de retard et de répondre aux messages qui s’accumulent tous azimuts.

Une autre raison me maintient éveillé : je ressens une grosse anxiété face au nombre croissant de sollicitations et de demandes de soutien auxquelles il nous est difficile de faire face, du moins comme il conviendrait. J’ai encore en tête la vision des réserves presque vides dans plusieurs lieux qui me sont chers. Je revois également le visage de compagnons de luttes étranglés dans l’étau policier et judiciaire de l’État. Et d’autres qui n’ont tout simplement plus de quoi survivre.

Parmi ces derniers, un fantôme ne me quitte plus : celui d’une jeune militante grecque qui a mis fin à ses jours récemment, complètement désespérée, à la fois par sa situation personnelle et par la situation globale actuelle. Nous ne la connaissions pas, mais nous l’avions croisée et aidée une fois. Je me souviens très bien qu’elle était gênée, perturbée, au point de n’être jamais revenue. Quelques jours après, nous avons appris la nouvelle par des amis communs.

Combien d’autres jeunes utopistes blessés par la violence profonde de cette société malade ont-ils basculé comme elle ? Combien de fantômes errent dans nos mémoires, faute d’avoir tenu bon dans l’adversité personnelle et globale ? La multiplication manifeste de ces fantômes m’inquiète actuellement. Le pessimisme et le désespoir font des ravages dans nos rangs. Notamment parmi les plus jeunes, les plus précaires, les plus fragiles.

Alors que la société autoritaire et capitaliste est en train de rendre le monde invivable et de le détruire inexorablement, certains de nos camarades sont tentés de prendre les devants. Cette société absurde aurait-elle réussi à nous faire croire qu’il n’y a pas d’alternative à son règne ? Sommes-nous condamnés à être entrainés dans sa chute ? L’impasse actuelle n’est-elle pas, au contraire, une chance à saisir pour proposer autre chose ?

Parce que la vie d’avant n’est plus possible ; parce que nous savons tous que le système actuel ne fonctionne plus et qu’il nous mène collectivement à notre perte ; parce que chaque nouvelle dramatique augure de ce qui se rapproche inéluctablement, il est temps, plus que jamais, de changer la vie et la société tout entière.

Pour y parvenir, nous avons besoin de toutes et tous. Nous avons besoin de nous encourager, de nous entraider, de nous aimer, de veiller les uns sur les autres dans l’adversité qui frappe ici et là, comme la foudre et la grêle, comme les flammes et la sécheresse, comme la faim et le désespoir.

Puissent les prochains fantômes être ceux qui saccagent le monde et non ceux qui en souffrent.

Courage les ami-es, tenez bon ! Notre cause est juste et le vieux monde en ruines se lézarde de partout. Son heure viendra, tôt ou tard. Soyons assez nombreux pour accélérer sa chute, le moment venu, et, encore mieux, pour participer aux multiples débats de fond et transformations rapides qui verront le jour un peu partout.

D’ici là, affutons nos outils, persévérons dans nos luttes et entraidons-nous, en veillant solidairement à ce que nos compagnonnes et compagnons ne se transforment pas en fantômes. 🖤❤️✊

https://www.youtube.com/watch?v=zeL39hntE74
post de Yannis Youlountas

Compléments

- Pour ne pas en rajouter sur toutes ces difficultés, éviter les excès de la pureté militante, voir par exemple : Voyage au bout de l’enfer : La pureté militante. Une critique féministe et anti-néolibérale

- Autres textes en rapport :

Comme les luttes et personnes sont éparpillées, avec peu de temps de rencontres entre activistes, impossible de bâtir une véritable culture de résistance.
Il manque des temps réguliers pour causer de tout ça, pour penser stratégies, pour se réconforter, tout est haché.
Trop peu de personnes pour faire tout ça. Sans communauté de vie pas de communauté de lutte.
Non seulement les activistes font face comme tout le monde à la dureté de la civilisation industrielle et à ses conséquences désastreuses, mais en plus ils luttent bénévolement pour que ça change en se mettant en danger, en prenant des risques, en buttant sur des organes de répression, des institutions et de la propagande officielle.
Et des guignols les traitent de feignants ou d’assistés !

Pour l’instant, par ici, pas de signes d’évolution possible dans ces domaines.
Mais les diverses crises structurelles, toujours plus fortes et étendues, qui vont se succéder à présent sans interruption, vont peut⁻être obliger à des changements profonds de perspectives, de vie et de pratiques ? La nature de ces changements (néo-fascisme, dictature, chaos total ou perspectives d’autonomies et d’utopies de type libertaire) dépendra des luttes et cultures de résistance en place ou pas.

🌱 QUAND LORDONFONCE L’IDÉE DE L’ÉCO-ANXIÉTÉ

Il y a quelques mois, nous avions proposé une vidéo d’Aurélien Barrau sur le même sujet.
Piqûre de rappel cette fois-ci par Frédéric Lordon.
Une autre manière d’appréhender l’éco-anxiété : défoncer le concept en le prenant par la racine.
Soyez attentifs, c’est simple et basique

- Vidéo : https://fb.watch/fIcMoYXzkE/

(post de CND)


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