Les catastrophes sociales, écologiques et climatiques fabriquées par la civilisation techno-industrielle se déroulent et s’aggravent, pourtant on ne constate pas vraiment une hausse des engagements pour lutter sérieusement contre leurs causes et pour construire autre chose.
Ici, il n’y aura pas de positivisme à base de « les choses avancent » (ni de pessimisme d’ailleurs), je vais juste essayer d’être lucide.
- Et si les militantEs et activistes de gauche faisaient une grève générale du militantisme ??
- On arrête tout et on réfléchit ensemble
On voit sans doute une augmentation de l’émoi, de la colère, de l’écoanxiété, mais pas une augmentation de l’activisme, de l’engagement militant.
Peut-être que ça s’accumule silencieusement et qu’un jour prochain ça va apparaître en pleine lumière dans un tsunami de révoltes, un peu comme le soulèvement des gilets jaunes ? L’imprévisible improbable arrive parfois à démentir les prévisions rationnelles.
En attendant, c’est plutôt la décrue en France, l’anesthésie semble l’emporter depuis la pandémie, ses confinenents, et les élections en cours. La résignation, le découragement, l’épuisement aussi , gagnent.
A part des grèves très sectorielles pour le « pouvoir d’achat », un certain intérêt pour les élections avec la NUPES, et quelques actions pour l’écologie, pas grand chose ne bouge.
Faut-il connaître une énième désillusion électorale ou une catastrophe plus intolérable que les autres pour voir un soulèvement ? Mais est-ce que ce serait une simple éruption momentanée ou un train de tsunamis ?
On voit les objectifs de réformisme et d’aménagement du système continuer à dominer. La plupart des personnes veulent croire malgré l’évidence que de petites réformes accumulées, avec les « bons » élus au pouvoir, pourraient répondre suffisamment à l’urgence et aux changements radicaux à mettre en oeuvre. Ils préfèrent la certitude documentée et confortable des désastres produits par le système en place à l’incertitude inconfortable de basculements révolutionnaires qui pourraient éviter les catastrophes en démantelant le système qui les cause ?
Une expression célèbre résume cette situation, en substance : « Il est plus facile d’envisager la fin du monde que la fin du capitalisme ».
D’autres se satisfont des « écogestes » standards, de la « consomm’action », ou considèrent que leur activité professionnelle dans un secteur considéré comme écologique les dispense de participer aux luttes ou même de les soutenir significativement.
Pire, d’autres participent activement au maintien de la mégamachine en plaidant pour ses secteurs les plus en pointes (numérique, techno-innovations énergétiques...), en exigeant une décarbonation de l’économie de marché, l’addition d’énergies alternatives aux énergies fossiles...
D’autres encore (j’en étais), pensent que la désertion, la participation minimale aux structures capitalistes, la décroissance active personnelle ou en petits groupes est un moyen suffisant permettant de saper les assises du système.
Sauf que ces moyens resteront minoritaires, notamment parce que le système a trop d’emprise et ne permettraient pas que ça s’étende au point de le mettre en danger. Les moyens de subsistances et les communs sont détruits ou accaparés par la civilisation industrielle, tout est privatisé, alors les possibilités de fuir se réduisent, tandis que la mégamachine et ses ravages s’étendent.
Il faudrait donc lutter pour que les désertions grandissent vraiment jusqu’à devenir significatives.
Dans tous les cas, l’énergie et le temps pris par le travail, les enfants, la survie, les trajets ne facilitent pas les choses, surtout à une époque où la vie sociale est individualisée à l’extrême. C’est la vie le « nez dans le guidon », avec l’écrasement de la propagande officielle comme ligne de pensée.
Sinon, beaucoup de personnes préfèrent en priorité les fêtes et les loisirs que l’engagement politique/écologique.
Cercle vicieux : moins il y a de personnes engagées, plus l’engagement devient lourd et chronophage, moins il porte de fruit - ce qui freine en retour l’envie de s’engager - etc.
Même si dans la Drôme, dans la vallée de la Drôme, c’est loin d’être la pire région dans ce domaine, partout la culture politique et la culture des luttes se perdent.
Ce reflux relatif du militantisme pourrait-il traduire une forme de rejet inconscient (ou conscient) des formes classiques et réformistes de lutte, un moment de désarroi et de sidération, une sorte de creux avant une recomposition et une vague géante ? Rien n’est moins sûr tant le système excelle dans l’enfumage et la fourniture de dérivatifs inoffensifs, et tant les humains savent s’auto-aveugler et pratiquer le déni et l’autruche.
Pour analyser un peu le problème et ses causes :
- La démocratie n’est pas du tout menacée par le lepénisme ou le macronisme, car elle n’existe pas - La démocratie ne peut pas mourir puisque qu’elle n’existe pas en France, cette démocrature pourrait encore empirer
- La tyrannie devient un simple plan com, tout le monde zappe très vite la vie politique, comme tout le reste - Le rejet légitime des institutions antidémocratiques ne se traduit pas par une vie politique indépendante et quotidienne (...) L’horizon politique des tyrans, c’est une population confinée, soumise et dépressive
- Et si les militantEs et activistes de gauche faisaient une grève générale du militantisme ??
- Faire la grève pour secouer le cocotier, et mieux repartir à l’offensive ?
Ce sont des minorités qui ont toujours fait bouger les lignes, certes, mais...
Il ne s’agit pas d’espérer un mouvement de masse unanime motivé par les mêmes objectifs radicaux anti-civilisation et anti-technologies, ou même anticapitalistes, car on sait bien que ce sont des minorités actives qui le plus souvent entraînent des changements importants.
Mais quand les minorités offensives sont trop petites et pas assez soutenues, elles restent impuissantes, et s’épuisent.
Sans doute qu’il manque d’alliances et de stratégies opportunes, mais ça ne résoudrait pas le faible nombre de personnes.
Chez les personnes engagées, il existe peut-être aussi une forme d’usure, de fatigue morale, de manque de perspectives politiques communes, un éparpillement...?
Une perte de motivation face aux difficultés avec un manque de vision sur les mondes à construire ?
Les agents de la civilisation industrielle sont puissants, possèdent pouvoir et argent, des montagnes d’argent, dirigent des médias de masse et ont pléthore d’employés, de juristes, de lobbyistes à leur service. Via l’Etat, le système en place dispose aussi d’importantes forces de répression, de la propagande scolaire, de la technocratie inamovible, des lois sur mesure, etc. Les rouages anonymes et les infrastructures établies pèsent aussi automatiquement dans le même sens. De plus ce système criminel est toujours présenté comme légal et légitime, contrairement aux contestations qui sont décrites par les voix de la mégamachine comme illégales, illégitimes, voire terroristes.
De leur côté, les forces de résistance n’ont que leur courage, leur agilité, leur solidarité, leur intelligence, leur rage et leur passion.
Face à une telle asymétrie de moyens, il est important de s’appuyer sur des stratégies pertinentes et de compter sur un nombre conséquent de personnes engagées, que ce soit en « première ligne », dans la communication ou dans des « bases arrières ».
Si la civilisation industrielle venait à être sérieusement affaiblie d’une manière ou d’une autre par ses propres contradictions et désastres, est-ce qu’on aurait même suffisamment de forces pour appuyer là où ça fait mal et emmener vers autre chose, pour éviter/limiter les formes de néo-fascismes ou de « retour à l’anormale » ?
Pour l’instant, il semble bien qu’on a même pas les capacités de saisir des opportunités de basculements révolutionnaires ?
On fait ce qu’on peut, mais la mégamachine est davantage gênée par les crises structurelles et les dégâts qu’elle provoque que par l’activisme
Malgré tout ces constats évidents faits depuis des lustres, ça ne bouge guère. On a souvent l’impression de s’enliser, de répéter les mêmes impasses, même si on peut voir aussi des leçons et expériences des luttes passées assimilées, même si parfois émergent de belles actions mémorables.
Et surtout, ce qui est insupportable, c’est de voir toujours aussi peu de personnes engagées pour des changements radicaux (qui visent les racines des problèmes).
On peut entendre : « c’est bien ce que vous faites », « bravo, faut continuer », et puis parfois des personnes donnent un peu d’argent aux activistes. C’est bien, c’est mieux que d’aboyer avec les média-flics, de pratiquer la délation, de se ranger avec les extrêmes droites ou les gouvernements, MAIS ça reste très insuffisant, désolé.
Plein de monde déplore la situation sociale actuelle, la réelection de Macron, les ravages écologiques, et... ça s’arrête là, à des constats et récriminations verbales, à des émois temporaires, à un éventuel vote pour « la gauche ».
Pour arriver à démolir la civilisation industrielle (ou au moins réduire fortement son influence), il faudrait de tout : de l’argent, davantage de monde engagé pour des objectifs radicaux, des soutiens moraux, des stratégies et alliances, des tas de lieux et expériences alternatives (s’éloignant des dogmes de l’Etat et du capitalisme) interconnectés et complices, d’autres récits (fiction, prospective politique, anticipation...), des actions clandestines et des activités publiques, etc.
Pourquoi ceci n’est que rarement discuté, pourquoi est-ce qu’il n’existe pas différents cercles où les questions stratégiques sont constamment discutées, pourquoi est-ce qu’on essaie pas (ou qu’on arrive pas) à articuler tout ça pour mener une lutte quotidienne et acharnée ?
On se retrouve à faire « de la survie », à juste (re)boucher des trous, à cibler quelques trucs éparses, à réagir à l’actualité du système, à défendre son propre secteur d’activité. Parfois il y a des victoires locales ou des non-reculs d’acquis. On fait ce qu’on peut, et c’est mieux que rien. On entretient les allumettes et les feux de camp à défaut de grands incendies. On essaie de tenir avec les moyens du bord, d’exister, de ne pas devenir taré ou aigri, de rester debout, mais on ne peut pas peser vraiment ni prétendre stopper la Machine.
A celles et ceux qui se déchargent de l’engagement sur les militants, les activistes, les politiciens proclamés, SACHEZ BIEN QUE ÇA NE MARCHE PAS. Les personnes engagées sont trop peu et ne font pas le poids, elles sont écrasées par la tâche. (quand aux politiciens, ils sont pris dans les filets de l’Etat et du Capital, ainsi que dans les jeux de partis)
Elles font parfois des coups d’éclat magnifiques, mais la mégamachine continue d’avancer sans beaucoup de problèmes. En france et pays du même type, la mégamachine est davantage gênée par les crises structurelles et les dégâts qu’elle provoque (cataclysme, guerre, pénuries...) que par les actions des militants.
Le pire c’est que le système est élastique, il absorbe tout et se sert même des problèmes qu’il provoque pour rebondir, comme on l’a vu durant la pandémie où des milliardaires se sont gavés tandis que progressaient les technologies numériques, le monde sans contact et la cyber-surveillance.
Et si les militantEs faisaient grève ?
La situation est donc grave, bloquée, perdue pour l’instant, il faudrait vraiment en parler sérieusement, lever le voile au lieu de faire comme si les choses allaient s’arranger toutes seules.
Alors, par provocation et aussi par pragmatisme, je me dis qu’il pourrait être bien que tous les militants et activistes de gauche, tous les bénévoles qui luttent d’une manière ou d’une autre se mettent en grande grève générale.
Evidemment, les membres des droites et tous les servants de la Machine se réjouiront. D’autres seront soulagés qu’on arrête de les titiller et de leur donner un peu mauvaise conscience.
Mais d’une part ça pourrait provoquer un électrochoc pour les autres, les amener à se pencher sur toutes les questions évoquées plus haut.
Et d’autre part, ça permettrait aux personnes engagées de souffler, de prendre du recul, d’avoir le temps de rencontrer des gens, de discuter de tout ça, d’élaborer de nouvelles stratégies et alliances ?
Imaginons : pendant un mois ou plus toutes les personnes engagées de gauche ne militent plus du tout, dans aucun domaine, font des piquets de grèves devant les lieux autogérés et les structures associatives.
Ca ne prendra sûrement pas, mais au moins parlons-en, pour au moins se poser ces questions, et voir s’il y a moyen de les résoudre.
Peut-être que cette éventuelle grève ou ce texte à rallonge ne susciteront rien, et qu’on continuera à subir les événements, à surnager plus ou moins dans la grande noyage générale.
Ou peut-être que ça contribuera de manière imperceptible à des déplacements de conscience et d’engagement.
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