Dernier épisode
Le plus dur c’est pas de partir, c’est de RE partir, surtout quand ton sac est foutu.
Demain il y a une sorte de fête de rupture de jeûne liée au ramadan.
Je n’ai pas tout compris, mais je suis recruté pour aider à ce banquet qui invitera tous les voisins : musulmans, juifs et chrétiens, et des notables de toutes ces confessions. Je ferais le service et la vaisselle (bénévolement bien sûr, avec d’autres). Ça vous fait rire ? Bande de garnements ! Sachez qu’ici, rassembler musulmans, chrétiens et juifs est un vrai tour de force. J’ai hâte d’être à demain pour leur servir du saucisson.
Ha ! Ben non, me dit le directeur, il n’y aura pas de « halouf »... (porc en arabe) !
Bon OK, c’était une blague nulle.
Maintenant en deuxième semaine, j’ai pris le rythme : tôt le matin, ballade, après boulot, écrire et dessiner.
Jérusalem et ses dédales de ruelles sont propices aux égarements. Mais sans me vanter, je crois avoir un certain talent pour me paumer. À chaque fois, rien à faire, je passe et repasse devant tel ou tel endroit en me disant « je suis passé là y’a pas dix minutes ! »
Où est cette foutue porte aux Lions ?
Me voilà encore porte de Damas !.
À chaque fois je me dis : un quart d’heure aller, un quart d’heure retour, dans une heure maxi je suis de retour. Ben non ! Ça ne marche pas comme ça, faut compter trois heures si tout va bien...
J’ai traversé à plusieurs reprises le quartier juif, sans faire exprès. Froid et sinistre, glacialement propre et net. De beaux immeubles de 3 étages, tout neuf, nickel. Pas un bruit, et certains bâtits au-dessus de l’esplanade des mosquées avec vue imprenable sur le mur des Lamentations.
Tu croises des gens qui ont l’air ailleurs, plongé dans une autre dimension, pas un mot, pas un regard, déguisés comme pour un reportage sur l’intégrisme, le nez plongé dans un petit bouquin qui est forcément la Tora. Même les enfants ont les yeux baissés, comme s’ils n’avaient pas le droit de voir le soleil. Glaçant, je n’aime pas ce quartier même si (faut-il le préciser, à leur attitude sûrement que si), je ne suis ni antisémite, loin de là, et ni antisioniste. Mais franchement ils foutent les jetons.
Vendredi, jour de prière en fin de ramadan : des dizaines de milliers de personnes déferlent sur la ville.
Dans la vieille ville j’ai vu des pavés d’au moins un mettre carré, polies par les millions de sandales qui sont passées dessus, ils doivent dater de... oui, au moins ça !
Dans une église (Maronites Church , je crois), je tombe sur des tableaux représentant le chemin de croix, mais dont le style plutôt contemporain fait penser à une sorte de BD.
Mais anonyme. Je demande à une sœur qui traîne par là l’air de rien (mais en fait elle surveille), des renseignements. Elle ne sait pas, mais me montre un autre tableau dont elle est très fière, et serait le don d’une célébrité. Facture classique et maladroite, assez moche. Chacun ses goûts ! « No Pictures » indique une pancarte, je me paye quand même le culot de lui demander l’autorisation. On est seul tous les deux dans l’église, elle accepte, mais fonce vers la porte pour faire le guet. Faut pas qu’on nous voie, elle se ferait sûrement disputer ! Trop drôle !
En cherchant Lion’s Gate pour rentrer, je tombe sur une des entrées de l’esplanade des mosquées, les trois soldats qui la gardent laissent passer des touristes. Je tente le coup : fouille, passage de mon sac au scanneur. Zut, je viens d’acheter une bière pour mon pique- nique ! Strictement interdit. « You have alcool in your bag ! You can’t enter ! » Une soldate qui parle français m’explique qu’il faut que j’aille à telle autre entrée, là il y a une consigne où laisser mon sac et je pourrais entrer. Super, sauf qu’à l’arrivée, les soldats qui gardes :
you are mueslim ? », avec ce ton de maître du monde horripilant.
No, sorry...
You can’t enter, only mueslim .
Va comprendre...
En passant près du cimetière, j’aperçois des fouilles sous une bâche là au loin, et d’autres plus hauts. Ça promet encore une belle bagarre. Ici à chaque coup de pioche ils tombent sur des vestiges. S’ensuivent alors des chamailleries à n’en plus finir :
Ce sont des vestiges de la période cananéenne, preuve, encore une fois, que des peuples vivaient ici avant l’invasion des Hébreux, ce sont les ancêtres des Palestiniens !
Haha ! Mon cher confrère, je crois que vous n’avez pas bien observé, regardez ce petit détail, c’est un signe typique de la période préhébraïque ! Preuve que des tribus juives vivaient ici, et qu’ils étaient cananéens !
Je crois que je vais vous départager, on distingue parfaitement ce signe : symbole des croisées. C’est une tombe datant de premières croisades, chrétienne à n’en pas douter !
Au final, en général, on fait venir des experts étrangers pour départager tous le monde et qui pondent un chouette rapport incompréhensible, laissant ouvert le débat pour au moins l’éternité !
Je croise régulièrement des colonnes de pèlerins dans la Via Dolorosa (tout un programme ce nom). Avec leurs croix sur le dos. Je me dis, ce truc dans l’avion ça passe pas. Y’a donc forcément dans cette ville un type qui se fait du blé en louant des croix géantes. J’imagine l’état des lieux au retour :
« Dites donc, le bas est tout usé, vous n’avez pas soulevé assez haut. Faut pas la traîner, ça l’abîme ! Ce sera 100 shekels de plus ».
La veille de mon départ, j’offre le vin du repas pour fêter dignement mon départ avec la dizaine de personnes qui a partagé ces deux semaines avec moi. Belle soirée, on a fini tard !
Bagages bouclés, je passe par-ci par-là pour dire au revoir à quelques-uns. Jacques, au dernier moment, fonce dans sa chambre pour aller chercher une icône sous verre qu’il m’offre. On se quitte émus !
De toute façon il y a un fil rouge entre nous, on se reverra ! me dit-il
En route je croise ceux qui étaient partis se balader, ou à la messe. Sœur Gladys, Jean et quelques autres me font de grands signes d’au revoir depuis l’autre côté de la rue. elle me dit « Ho Bernard ça y est, vous partez ! Alors surtout, ne changez pas ! Votre bonne humeur et votre joie de vivre ont donné à la Maison un tel bonheur ! » Que répondre, à part verser une larme ?
Je décide de partir à pied pour le rendez-vous avec mon sherout qui doit m’emmener à Tel-Aviv. RdV devant Notre-Dame, à 13h. Une heure de marche en plein cagnard dans les ruelles avec 30 kg dans le dos et 6 à la main.
En passant j’ai revu le gars qui balade ses palettes surchargées sur les boulevards, imaginez un transpalette chargé à bloc sur un boulevard périphérique...
Je m’arrête faire une pose et regarde mon sac à dos. Je m’aperçois qu’il est déchiré, ouvert sur vingt cm comme une banane trop mûre. Sur un côté mes affaires sont prêtent à m’abandonner. Sale coup ! Je fais une réparation de fortune, bouche le trou avec un tee-shirt, tire une sangle récupérée sur d’autres parties du sac et serre à fond. Je croise les doigts pour qu’il n’explose pas dans la soute de l’avion. Y’a quatre bouteilles de vin et une d’arak dedans en souvenir, ce serait dommage qu’elles cassent.
Après quatre contrôles aux aéroports, deux à Tel-Aviv où la fouille est tellement rigoureuse que tu finis en slip, et deux à Lyon, un des Israéliens (c’est le seul pays qui exige d’avoir un poste de contrôle dans les aéroports étrangers), et un des douaniers français. Le visa indique que tu viens d’Israël, que tu n’es pas juif, donc dans les deux contrôles, tu es un terroriste potentiel. Donc à l’aller comme au retour, c’est interrogatoire serré. Le sésame c’est de dire que tu viens ou rentres de pèlerinage, que tu n’es pas allé en territoire occupé, même si c’est faux.
Finalement, mon sac arrivera à Lyon, pas très sain, mais sauf. Moi aussi d’ailleurs, à 3 heures du matin.
Et des gros confettis par terre pour marquer le chemin jusqu’à mon lit, où m’attendait mon cadeau de fête des Pères ! Elles sont adorables ! J’ai bien fait de rentrer.
P.S. : Mince, j’ai oublié de vous parler des lumières du matin et du soir ; de la tombe de Zacharie, petit-neveu de Noé et que j’ai fait pipi derrière parce que j’en pouvais plus ; de tous ces trous dans le rocher qui sont des tombes ; de ces vieilles maisons hors de la vieille ville ; des remparts ; de la végétation ; des corbeaux bicolores, des p’tits dej copieux, mais au Nescafé parce que le café est trop cher ; des soirées arrosées d’Arak avec les copains et copines dans le jardin ; du tombeau du Christ avec la pierre où il a été descendu de la croix et que même faut frotter ton mouchoir dessus pour en faire une relique et qu’il a fallu prendre des mesures parce que les pèlerins se barraient avec un morceau du caillou ; du « syndrome de Jérusalem » qui fait bosser une dizaine de psy ; des sarcophages des premiers chrétiens qu’elles sont tellement petites qu’on se demande comment ils ont fait pour les mettre dedans ; de toutes ces jolies femmes au corps splendide qu’on ne voit pas ; de ces belles Arabes blondes comme les blés, résultat du passage des croisés il y a presque mille ans ; de leur conduite de fou même que quand le sherout était en retard il a fait les 40 km Jérusalem/Tel-Aviv pieds au plancher : j’ai eu les jetons ; des tracteurs sur l’autoroute ; des gens qui pique-niquent sur la bande d’arrêt d’urgence ; des grandes tablées le soir où on mange comme des goinfres, du parfum des épices ; des artistes de tout poil, des militaires armés jusqu’aux dents omniprésents, et de, et de, et de tellement de choses, que je vais devoir y retourner...
Merci : à Delphine, Camille, les voisines, Jess et sa maman, Rabia, pour s’être occupées de mes amours pendant ce temps ; la Maison d’Abraham, les Palestiniens toujours serviables et chaleureux, les copains et copines, mon iPhone 5c pour les photos et la note de communication salée. Je ne remercie pas : l’opérateur de mobile local ; les militaires irascibles, les policiers soupçonneux ; les intégristes de tout poil, les aéroports en général, froids et inhumains ; les fabricants de sacs à dos.