Présentation du hors-série, et quelques remarques ensuite.
L’abîme se peuple - L’écologie ou la mort ? Ciel !
On voit déjà déferler les critiques. « Avec un titre pareil, vous allez faire peur aux gens ! »
Et donc ? La peur n’est-elle pas le reflet du désir de vivre, le moyen d’échapper à la mort lorsque le danger surgit ? Si l’on ne ressent ni angoisse ni effroi, comment prendre la mesure de la catastrophe ? « Si elle est réfléchie, avançait Horkheimer, la peur peut briser le conformisme et fonder la solidarité. » Alors oui nous assumons de faire peur, d’autant que nous avons peur. Il y a de quoi : l’abîme se peuple sous nos veux.
Chaque jour, des espèces entières basculent dans le précipice lorsque leur milieu se dérobe sous elles. Trop proches du bord, poussées par quelque méga-feu ou par la bétonisation méthodique de leur foyer, remplacées par une zone industrielle ou par ce qui ne ressemble plus que vaguement à du bétail, elles glissent inexorablement. Et si l’on a du mal à mesurer la protondeur de la chute, la destination finale, elle est bien connue : l’extinction. Une mort parfois lente, parfois rapide, dans laquelle les rejoignent déjà les plus vulnérables des humains, les humiliés et les inutiles de la globalisation, les déchets de la société industrielle, les enfants qui suffoquent dans les gaz d’échappement de la banlieue planétaire comme des canaris dans une mine de charbon, les réfugiés climatiques qui n’ont pas trouvé refuge, les vieux exposés à la pandémie, et demain les noyés, les brûlés, les assoiffés et les affamés. Ainsi la lutte contre le capitalisme se transforme de plus en plus en un combat décisif entre la vie et la mort.
Mais la peur n’est pas la seule émotion qui nous vient. Il y a aussi la colère, le dégout, même. Ou la fureur, lorsqu’on découvre que Total a sciemment œuvré à désinformer le public depuis un demi-siècle ; fureur, lorsque grenouillent sur les plateaux télé l’ignorance crasse et les mensonges éhontés ; fureur encore, lorsqu’une énième et illusoire COP se termine dans les larmes de son président incrédule. Quant aux contorsions gênées de notre personnel politique : si rien avait une forme. ce serait cela. Colère, dégout, haine, fureur, ces mêmes émotions que les experts de l’adaptation à l’inacceptable nous demandent d’abandonner pour mieux entrer en résilience, tous ensemble.
Pourquoi devrions-nous renoncer à cette insurrection intime qui monte, nous serre la gorge et nous pousse à la révolte ? Nous satisfaire de trier nos déchets et de savoir qu’un arbre sera planté dans une monoculture sud-américaine lorsque nous prenons un aller-retour Paris-Bangkok ?
Accepter de vivre dans un monde factice ? Ne nous leurrons pas : ceux qui nous gouvernent ont déjà cédé au projet d’une falsification intégrale du réel. Eux ont déjà capitulé et, demain, ils nous diront qu’il n’y a plus d’autre alternative que de modifier massivement le climat et les écosystèmes dans le laboratoire qu’est devenu le monde.
Mais nous, nous ne voulons pas danser dans les ruines. Nous ne voulons pas davantage d’un futur sans Histoire. ni du projet technocratique d’une gestion raisonnée des ressources à l’échelle planétaire, avec tout son appareillage de contrôle et de diminution de la liberté humaine. Ce que nous voulons, c’est sentir la vie grouiller sous nos pieds lorsque l’on part en forêt. Mais pour cela, encore faut-il qu’il reste de la vie et des forêts.
Il nous faut défendre la vie contre les puissances de mort qui l’assiégent, contre le refus de penser et l’horreur d’agir. Le philosophe allemand Friedrich Engels a un jour déclaré : « La société bourgeoise est placée devant un dilemme : ou bien passage au socialisme ou rechute dans la barbarie. »
Notre dilemme n’est pas si éloigné, et le sens du combat reste le même : l’écologie ou la mort. Réjouissions-nous car cela fait au moins une raison d’être et de s’unir. Cela fait vivre.
Philippe Vion-Dury, éditorial du hors-série Socialter, « L’écologie ou la mort », rédactrice en chef Camille Étienne.
Voir aussi : L’écologie ou la mort par Camille Étienne - Ce n’est plus la peine de se réfugier derrière d’abstraites « générations futures » : nous sommes la première génération à vivre les conséquences du dérèglement climatique. Et nous sommes certainement la dernière à avoir encore le luxe de choisir entre léguer un monde qui ressemblera à celui dans lequel nous sommes nés, ou bien un monde en transformation rapide, transfiguré par des bouleversements imprévisibles et catastrophiques. (...)
- Accueillir la peur, et aussi colère, dégout, haine, fureur, ...et la révolte
- Socialter : l’écologie ou la mort
On en est là : une lutte à mort contre le système impersonnel et implacable qui tend à détruire toute vie sur Terre pour la remplacer par des déserts et des machines de silicium.
Pourtant la plupart des humains continuent de vaquer à leurs diverses occupations quotidiennes, de regarder ailleurs, de faire comme si tout allait continuer, comme si ils n’étaient pas vraiment concernés.
Même celles et ceux qui ne sont pas dans la difficulté aigüe de la survie et de la misère restent les bras croisés ou s’en remettent mollement aux stratégies et tactiques qui ont déjà prouvé leurs insuffisances.
La plupart des humains continuent de déléguer la responsabilité d’agir aux petites minorités de militants habituels ou aux politicards, de laisser faire les pouvoirs économiques et étatiques, de leur demander de faire durer le système qui produit les ravages.
Ils continuent à espérer une issue via des réformes, des adaptations, des technologies miracles qui n’existeront pas et qui, si elles existaient un jour, créeraient d’autres problèmes insurmontables.
Ils continuent à fuir le conflit en croyant éviter les cataclysmes qui seront bien plus violents et qui les emporteront sans pitié s’ils refusent de combattre.
Faut-il des famines et des canicules meutrières pour briser la résignation et la passivité ?
Pourtant malgré le chaos et les fumées mystificatrices, malgré l’ignorance consentie et la soumission volontaire, malgré le refus de voir et de le refus de tirer les conséquences de ce que l’on voit, l’évidence est là, tous les jours elle crie dans nos oreilles et des geysers de sang nous éclaboussent le visage entre deux séances de positivisme sponsorisées.
Pourquoi résister à l’appel de la rage libératrice, pourquoi retarder l’inéluctable, pourquoi attendre le dernier moment pour se révolter vraiment, quand il sera toujours plus difficile de limiter l’ampleur des désastres et sans doute trop tard pour empêcher peut-être les boucles de rétroaction incontrôlables menant à une planète inhabitable ?
Pourquoi ? Par peur, par habitude, par mimétisme majoritaire, pour se fondre dans la non-vie confortable de la cybernétique, par effroi devant la vie et la liberté, pour « profiter » encore un petit peu des derniers petits conforts de la méga-machine avant que ces rouages froids et ses conséquences mortelles ne nous broient complètement ?
Pourquoi attendre que la situation soit pire encore ?
Pourquoi avoir si longtemps renoncé ?
Pourquoi ?
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