Contre le développement personnel, machine à individualiser les problèmes et à exclure les questions systémiques

Un livre polémique pour contrer quelques illusions et méthodes de conformation à la culture de la civilisation industrielle

samedi 16 octobre 2021, par Auteurs divers.

En Drôme et ailleurs le « développement personnel » est toujours à la mode.
On y trouve de tout et son contraire, mais surtout une idéologie libérale d’adaptation au monde de l’Economie, pour être plus performant dans la concurrence générale et le grand marché du travail
. Se culpabiliser de ne pas « réussir », de ne pas atteindre le « bonheur » et de ne pas rester zen dans un système social mortifère et destructeur au lieu de se révolter collectivement pour créer des sociétés vivables ?
Appliquer des rustines boiteuses et vides aux blessures inévitablement générées par la civilisation indutrielle ou détruire et changer radicalement ce qui fait du mal à nous et aux autres vivants ?
Courber l’échine et s’adapter en transformant les brutalités du système en autant d’opportunités pour devenir une pièce efficace dans la grande Machine à détruire, ou s’affirmer et lutter ensemble ?
Confondre conformation au système dominant et à ses « valeurs » en suivant des méthodes clés en main avec le difficile et libre épanouissement dans une vie libérée de l’emprise du monde de l’Economie ?
Le développement personnel c’est la dépolitisation des questions sociales.
Pour des personnes détachées des religions et de toute culture commune, le développement personnel comble le vide de sens ?
Le développement personnel préoccupe surtout les classes moyennes et « supérieures », celles qui ont du temps et de l’argent à y consacrer, les plus pauvres sont surtout préoccupés par les fins de mois, le loyer et les factures à payer.

Livre CONTRE LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL

Ce petit livre, qui me tord le cerveau depuis quelques jours méritait mieux qu’une note laconique rapidement tapée au café du matin.
Car en partant de la masse de publications traitant du développement personnel (DP), c’est tout un pan de notre société contemporaine que Thierry Jobard examine en moins de cent pages, selon un angle qui, je dois le dire, m’avait en grande partie échappé.

CONTRE LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL n’est pas qu’une critique à boulets rouges contre l’abondance des méthodes, livres, et gourous plus ou moins mediatiques qui pullulent et jurent la main sur le cœur etre en mesure de nous libérer - ou nous aider à le faire tout seul - de ce qui nous aliène ; c’est une main habile qui lève avec méthode certaines tendances à l’oeuvre dans notre quotidien, et notamment dans notre rapport au travail.

Contre le développement personnel, machine individualiser les problèmes et à exclure les questions systémiques
Un livre polémique pour contrer quelques illusions et méthodes de conformation à la culture néfaste de la civilisation industrielle

Dans la 2e partie du livre, l’auteur dresse un examen implacable des liens entre management et développement personnel, la transformation de la perception du travail par l’adoption d’un langage qui brise les émotions, par une torsion subtile des représentations et des modes de domination. Le DP dans le management, c’est également une manière de briser la pression hiérarchique. Non pas pour libérer le travailleur, mais pour le responsabiliser : chacun est au manettes de sa liberté, de l’assouvissement de son désir, et ce désir doit être de bien travailler. Pouf, finie la pression du Supérieur, le travailleur est responsabilisé, il se la met toute seule. En se fixant ses propres objectifs, on se « challenge soi-même », on développe un rapport intime avec ses resultats... et en cas d’échec, finalement, on ne peut s’en prendre qu’à soi-meme.

Cette individualisation de notre bonheur, de notre rapport au travail, engendre plusieurs phénomènes dramatiques :

-  l’impossibilité d’envisager que, parfois, si les choses tournent mal, ce n’est pas de notre faute. Esprit magique ? Sans doute, à nous de nous persuader qu’on est capables de tout, tout le temps, sans accorder de crédit aux circonstances. Le tour est de savoir libérer son potentiel.

- corollaire, pour parvenir à libérer son potentiel, on s’observe en permanence. On s’autocritique, on s’amender, on se contraint à changer, quand bien même la responsabilité ne nous incombe pas.

- l’autosurveillance l’autoresponsabilité trahit également la difficulté à faire societe. Si nous sommes les seuls maîtres de notre bonheur, comment envisager les liens avec l’autre, les autres ? Comment envisager les phénomènes systémiques ? Comment agir à ce niveau ? S’auto-observer avec ces méthodes bloque tout autre moyen d’action.

-  Pire, inventer autre chose devient impossible, car ces mantras bien-pensants induisent en nous jusqu’ bouleverser nos imaginaires. Gloubi-boulga pioché dans toutes les spiritualités du monde, plus ou moins bien scotché, les théorie DP ne débouchent sur rien, n’apportent au final aucun résultat, sinon d’aller chercher dans une autre méthode ce que l’on n’a pas réussi à faire advenir avec la précédente. Un monstre de la pensée qui s’auto-engendre ad nauseam.

Le constat de ce que je résume ici comme un sagouin est proprement terrifiant. Et l’auteur ne se contente pas de balancer des assertions à la volée ; toute sa démonstration s’appuie sur une solide culture mobilisant les grands penseurs classiques et une sélection de travaux récents (Jobard est libraire en Sciences-humaines, en voilà un qui travaille à fond son rayon).

Bref, voilà un petit livre qui devrait vous mettre bien mal, mais qui a marché sur moi comme une thérapie... c’est sans doute le pire dans cette histoire, et je ne sais pas si ça fera plaisir à l’auteur, mais CONTRE LE DEVELOPPEMENT PERSONNEL est sans doute... le meilleur livre de développement personnel que j’ai pu lire. Il ne propose aucune solution, mais suggère un certain nombre de questions qui promettent de riches heures de réflexion. Et si c’était ça le bonheur ? S’interroger sur soi et sur le monde plutôt que de vouloir à tout prix des réponses ?
Sur ces bonnes paroles, je retourne poursuivre ma cure.

Post de Julien Delorme


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