Vallée de la Drôme : retenue d’eau géante en projet, un non-sens écologique et agricole ?

Les irrigants mettent face à deux impasses : assécher davantage la Drôme en été ou multiplier les bassines

dimanche 24 janvier 2021, par Les Indiens du Futur.

Dans le Crestois du 18 septembre 2020, on apprend deux projets importants à Choméane (Divajeu) de retenues d’eau puisée dans la rivière Drôme en saison humide, pour l’irrigation agricole :

  • agrandissement de la réserve d’eau existance de 40.000 m3 à 100.000 m3 sur 4 ha
  • Projet d’une retenue géante entre 600.000 et 1 million de m3
  • La préfecture soutient ce genre de projet : http://www.drome.gouv.fr/IMG/pdf/20201208_cp_signature-protocole-retenuescollinaires.pdf
  • Retenues de substitution : la fuite en avant - Communiqué du 16 septembre 2020 de Frapna Drôme Nature Environnement (...) Sur le département de la Drôme, le prélèvement de l’eau doit être réduit de 20 % à 40 % pour que les nappes et les rivières puissent conserver un bon état écologique. A l’inverse, les « bassines » projetées engagent à continuer d’irriguer sans changer des pratiques culturales qui ne sont plus soutenables. Ces retenues envisagées auront sûrement un impact sur les aquifères et leur remplissage ne pourra plus être assuré à terme par manque d’eau, détruisant notre agriculture qui n’aura pas été accompagnée pour s’adapter. C’est un risque pour les milieux, pour les agriculteurs et notre production alimentaire, ainsi qu’une perte de temps et d’argent public. La priorité doit être donnée à une réorientation de l’agriculture et de toute notre organisation pour construire un territoire économisant l’eau.
Exemple de bassine, de retenue d’eau agricole
Ici en Ardèche

Depuis, d’autres articles, pour ou contre ces bassines à Choméane, sont parus dans le Crestois (entre temps le projet a peut être un peu évolué, mais il n’a pas été abandonné, un terrain a même été semble-t-il trouvé).
Voici un article qui explique bien combien ces projets sont anti-écologiques et anti-agricoles, et donc anti-sociaux. Il s’agit d’une fuite en avant court termiste qui aggrave les choses.
Ensuite, quelques remarques sur la situation locale et générale.

- « Les retenues d’eau aggravent la sécheresse, et la vulnérabilité de l’agriculture » - Cette année encore, la plupart des départements français ont manqué d’eau. La solution, plébiscitée par le ministre de l’Agriculture et bien des agriculteurs souhaitant irriguer leur champ ? La création de retenues d’eau. Un « non-sens écologique », explique Christian Amblard dans cet entretien. « Elles bloquent le passage vers une agriculture responsable, résiliente, économe en eau. »

Extraits :
La construction de barrages est une proposition très court-termiste, qui ne va satisfaire qu’une partie infime de la profession agricole – 6 % seulement des surfaces agricoles sont irriguées ! Mettre en avant des mesures artificielles comme celle-ci empêche la prise de conscience et la transition agricole : ces « solutions » vont en fait aggraver la vulnérabilité de l’agriculture, parce qu’elles bloquent le passage vers une agriculture responsable, résiliente, économe en eau. Surtout, cette idée de retenues d’eau est un non-sens écologique, elle est très néfaste pour l’ensemble des écosystèmes « naturels » et des agroécosystèmes.

Là où l’eau est la plus utile, c’est quand elle est dans les sols. En Espagne, où de nombreuses retenues ont été construites, toutes les études montrent qu’en définitive, les barrages aggravent la sécheresse, en favorisant l’évaporation, et parce qu’ils entretiennent l’idée qu’on est dans un système où l’eau est abondante. Résultat, cela ne pousse pas les agriculteurs à une utilisation rationnelle, économe de la ressource.

Or, un réseau hydrographique qui s’assèche, c’est tout un écosystème, puis tout un climat local qui s’en retrouvent modifiés. C’est un début de désertification en quelque sorte.

On ne modifie pas le cycle de l’eau, avec des barrages, à la légère, sans réfléchir aux conséquences à moyen et long terme. Aidons les paysans qui sont victimes du système. Le modèle agricole actuel est un échec économique – sans subvention, les paysans ne s’en sortent pas –, un échec social – entre autres signes, il s’agit d’une des professions avec le plus haut taux de suicides – et une catastrophe environnementale. Les neuf à dix milliards d’euros de la [PAC|politique agricole commune] doivent être réorientés vers la transition agroécologique indispensable si l’on veut que l’ensemble de la profession agricole ait un avenir décent.

Remarques complémentaires

Les contradictions insolubles éclatent :

  • Des agriculteurs irrigants veulent de l’eau et conserver leurs activités rentables
  • Les pêcheurs et les écologistes veulent conserver de l’eau dans les rivières afin que la vie y perdure
  • Les écologistes veulent préserver l’ensemble des écosystèmes
  • Il faut nourrir la population croissante qui consomme toujours plus

L’Etat veut perpétuer la fuite en avant, le préfet de la Drôme relaie cette politique délétère, et certains agriculteurs irrigants font pression pour conserver leurs productions à forte valeur ajoutée, que ce soit via des bassines ou via des dérogations récurentes de pompage dans la rivière Drôme (souvent au delà des seuils légaux des débits réservés indispensables pour maintenir un minimum de vie aquatique).

Comme toujours, dans le cadre de la civilisation industrielle, de ses principes concurrentiels, de ses lobbies, de sa centralisation étatiste et forcément non-démocratique, on se retrouve face à des impasses et des options désastreuses imposées.

Le système économique capitaliste en vigueur veut conserver des emplois, continuer la croissance, ne peut/veut pas réduire la production volontairement, et le plus souvent il préfère tenter de guérir les maux produits par la civilisation industrielle par davantage d’artificialisations, il préfère ne pas changer les modes de production et continuer le modèle en transformant encore plus les milieux, en ajoutant de lourdes infrastructures, en dépensant des fortunes pour continuer la fuite en avant !
Ce sont les habitudes, les bricolages conjoncturels, les lobbies, le culte de la Croissance, qui font la loi, pas les raisonnables et bénéfiques changements structurels.

Alors que ça fait des années que les problèmes sont connus, le système en place préfère continuer le modèle qui va aux crashs et catastrophes, et ensuite, dans l’urgence (comme pour l’actuelle pandémie coronavirus) rafistoler des moyens de sauvetage.
Si on laisse faire ce sera pour l’agriculture et l’alimentation comme pour la présente pandémie : dans l’urgence, quand il y a aura des cataclysmes climatiques, des canicules énormes, des pénuries alimentaires, l’Etat, de manière autoritaire et chaotique, ordonnera des rationnements d’eau et de nourriture, imposera certaines plantations adaptées, militarisera les zones agricoles pour les protéger des pillages, distribura la nourriture depuis des entrepots blindés...

Attention, on ne plaide pas pour un Etat fort qui imposerait maintenant des choix de survie, mais plutôt pour son effacement pour que la vie et la démocratie permette une réorganisation complète et salvatrice le plus tôt possible.

Pourtant, des initiatives existent

Pourtant, des paysans et des écologistes nous disent que dès maintenant on peut diminuer l’irrigation, changer les méthodes de culture, sans mettre en danger l’alimentation et sans forcément attendre une hypothétique "révolution" générale.
- Voir Confédération Paysanne : EAU : NOS POSITIONS -Pour une vraie politique de l’eau + ce dossier complet en PDF : Pour une répartition équitable de l’eau et une irrigation compatible avec les écosystèmes - Reconnaître un « droit de l’eau » qui prime sur le droit d’accès à l’eau pour l’irrigation. Il faut garantir le respect du cycle de l’eau et sa préservation sans quoi la question de sa disponibilité est de fait remise en cause.
Concevoir les systèmes d’irrigation en fonction de son système global de production et de préoccupations agronomiques. L’agriculture doit s’adapter aux ressources mobilisables et non pas l’inverse
(...) Utiliser les sols comme simples supports de culture agrémentés de doses de pesticides et d’engrais accroît au fil du temps les besoins en eau des cultures et augmente ainsi le besoin d’irriga-tion. En effet, la réserve utile de ces sols est de plus en plus faible à cause de l’érosion. Seule une agriculture sur sols vivants, en rotation longue, préservant et amplifiant la biodiversité, avec des sols toujours couverts et nourris, sans utilisation d’herbicide et entourée de haies ou sur lesquels se développe l’agroforesterie, conduit réellement à une moindre dépendance en intrants et donc en eau (...) Le problème de déficit en eau ressenti ne vient donc pas seulement du manque de pluies à certaines périodes, mais aussi de la destruction du système hydraulique naturel. Cette destruction a par ailleurs été aggravée par l’utilisation généralisée, dans les années 70, des herbicides systémiques. Ils ont détruit le « garde-manger-habitat » de la faune du sol qui contient 80% de la bio-masse terrestre, faisant disparaître de facto les survivants du labour. L’introduction des herbicides systémiques marque le début de l’érosion massive des terres agricoles.

- Voir aussi : La mort des sols : une menace planétaire

L’agriculture conventionelle et industrielle a détruit les sols
..et veut tenter de remédier par davantage de technologies, de bassines, de pompages, d’engrais, de pesticides...

Moyennant aides et formations, les agriculteurs concernés pourraient se convertir à d’autres productions, adaptées aux dérèglements climatiques produits par la civilisation industrielle.
Il faut absolument arrêter le productivisme, qui nourrit la croissance économique et démographique « infinie » dans un monde fini.
Dès que le seuil de ressources soutenables (en eau, en sols, en énergies) qui respectent l’ensemble du vivant risque d’être dépassé, alors il faut arrêter de croître, arrêter de vouloir passer en force via des moyens technologiques complexes et l’utilisation d’énergies. Sur le coup, « jusqu’ici tout va bien », puis les désastres et la chute arrivent.

Les habitants de la Drôme vont-ils se lever pour empêcher ces projets de bassines et accentuer le nombre et le poids des petits paysans ?


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