Pour nous qui avons vécu l’Insurrection Gilet jaune de l’intérieur, les faits parlent pour eux mêmes.
D’abord, l’opportunisme grotesque d’un pouvoir qui s’imagine peuple. La vertigineuse accélération de son accaparement du peu de libertés qu’il nous restent.
Ensuite, la hausse du prix des carburants, cette pique qui lance l’abcès infecte d’injustices.
Les routes sont bloquées. Les radars sabotés. Les ronds-points occupés.
Ce sentiment indescriptible de liberté et d’ivresse qui accompagne le soulèvement.
Surtout, partout, la solidarité à toute épreuve des damné.es de la terre qui avec des bâches et des palettes, construisent d’autres mondes, des espaces réellement, passionnément démocratiques.
En parallèle, le blocage des raffineries par les camions et engins des sociétés de BTP. L’exception faite par le pouvoir à ce petit patronnât. Leur abandon du mouvement. La vengeance des Gilets jaunes qui se traduit par un vote massif dans les Assemblées pour empêcher aux camions de rouler sur les autoroutes. La jubilation partagée devant la réussite coordonnée de cette action d’envergure nationale.
Le monde entier, inspiré, enfile un gilet jaune.
Après, le durcissement réactionnaire du pouvoir.
Maintenant, les péages vont brûler. Et à l’aube, le PSIG(1) déboulera pour arrêter tes copaines devant leurs enfants terrorisés. Combien de fois nous sommes nous trouvé.es devant les images horrifiantes des violences policières ? Comme celle sur un rond-point d’un homme en chaise roulante renversé par la gendarmerie. Ou choqués devant les innombrables intimidations, GAVs, PVs, comparutions immédiates, “compositions” de peine et gazages, devant les mutilations haineuses menées à mal par les forces d’ordre avec comme paroxysme en fin de mouvement, le meurtre d’un livreur étranglé comme George Floyd par une petite équipe d’assassins protégés par leur uniforme d’état.
A tout ça, rajoutons la manip des syndicats des routiers qui menacent de rejoindre le mouvement.
Et notre déception lorsqu’à leur tour, ils s’éloignent du mouvement en ramassant les quelques cacahuètes que le pouvoir effaré leur jette comme récompense.
En riposte, la colère froide des Gilets jaunes est grandiose, logique, implacable. Les rond-points immobilisent les camions sur les nationales. C’est le moment clef, le moment critique, le moment très précis où ordre est donné pour que les bulldozers rasent les cabanes de la résistance populaire.
Une nuit, on s’est retrouvé dans le noir dans un champ de maïs traqués par la gendarmerie simplement parce que l’on veut occuper un nouveau rond point sur la N7. C’est la même nuit que l’on comprend qu’à petit feu le mouvement perd son âme. Les ronds points se divisent en camps bruns ou noirs, c’est à dire, ceux d’un côté qui appelaient à voter FN et qui n’ont peut-être pas encore compris que nos frères et sœurs des cités subissent le même traitement depuis beaucoup plus longtemps et de l’autre, les anarchistes, les antifascistes, les anarcho-syndicalistes révolutionnaires et les libertaires -car n’oublions pas que très tôt, les partis politiques de gauche et les syndicats réformistes sont bannis des rond-points.
Quand rien ne va
Alors, que faire lorsque l’on voit que le Grand débat, c’est du pipeau ? Ou lorsque remplir un Cahier de doléances, c’est comme si on pissait dans un violon ? Que faire quand on arrive à chopper un politicard local et il vous tend la sourde oreille ? Et si ni pétitions ni referendums populaires ne marchent pas ? Que faire quand les Actes I, II, III, IV, V jusqu’à l’Acte XXXIII, ne donnent rien, rien à part des mains arrachées et des yeux crevés ? Que faire lorsqu’en portant un Gilet jaune, on devient cible ? Que faire lorsque massivement, l’on se rend compte que glisser un bulletin dans une urne ne fait que cautionner le cirque électoraliste de l’oligarchie ? Que faire lorsque la misère savamment orchestrée par le pouvoir et ses patrons découragent les travailleurs et travailleuses à se mettre en grève générale réappropriatrice ? Que faire quand les lanceurs et lanceuses d’alerte sont jeté.es en prison ? Que faire lorsque les médias libres comme Ricochets sont accusés d’apologie de terrorisme et à leur tour, juridiquement matraqués ? Que faire lorsque les agences soi-disant indépendantes comme le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) coopèrent avec Big Business(2) ? Que faire lorsque les militant.es écologiques sont considéré.es comme des “malfaiteurs en bande organisée” ? Que faire lorsque les moyens et les effectifs de la police politique explosent ? Que faire quand la multiplication fulgurante d’antennes-relais 5G accouche d’un Big Brother, ce monstre qui nous espionne h24 et qui s’en fiche des dangers pour la santé publique ?
Rien n’y fait car la réponse irresponsable des responsables de cette dérive générale realpolitik se résume ainsi :
Madame la Consommatrice ou Monsieur le Consommateur, saches que l’on n’a rien à ficher si tes enfants traînent i-phones à la main en quasi-permanence tellement la réalité qui les entoure est laide. Non, sincèrement, on n’a rien à foutre s’ils se transforment en zombies.
Ah, d’accord, ton smart-phone est fabriqué par nos esclaves en Chine ?
Et bien, on n’en a strictement rien à foutre !
Pire encore, tu dis, les minéraux rares sont minés en Afrique par des enfants dont les communautés ont été détruites par des milices des dictateurs soutenus par l’Union européenne ?
Rien... à... foutre !
Ah bon, au Congo, le viol est utilisé comme arme de guerre ? Combien tu as dit ? 9 millions de morts ?
Par pitié, écoutes bien une fois pour toute : de l’humain, on n’en a rien à foutre.
Point barre.
Compris ?
Alors, travailles, consommes et fermes ta gueule !
“Les Prévenu.es, quel est votre métier ?”
“Gilet jaunes précaires, tendance libertaire.”
Le 11 mai lors du procès, on comprend que sans exception, tous et toutes sont précaires. Des petits boulots à répétition. Un seul a un CDI. Deux jeunes parlent de leur politisation en entrant sur le marché abject du travail subordonné. Deux autres n’ont même pas les moyens de se payer un avocat.
Certain.es sont Fiche S, tout à leur honneur.
Le président et ses deux assesseurs les interrogent sur leur militantisme actuel. Les gens de robe ne semblent pourtant pas avoir compris que depuis 4 ans, les 10 prévenu.es étaient sous contrôle judiciaire. Pointage hebdomadaire au comico ou à la gendarmerie. Pas le droit de quitter le pays. Ni le droit de se voir ou de se parler. Point le droit d’aller en manif.
Mais malgré cette réalité absurdement présente, le président leur demande si aujourd’hui, yels militent encore.
C’est comme si on demandait à un toxicomane s’il continue de se droguer, lâche un avocat à la sorti du Tribunal !
Clairement, le pouvoir a du mal à comprendre comment des gens ordinaires, des parents pour certain.es qui élèvent leurs enfants dans le respect, passent à l’acte.
Le mot “frustration” est dans toutes les bouches.
Le président, condescendant, ne braque pas les prévenu.es, ne les enfonce pas. Il est juste à mille lieux de leur réalité. Sa mansuétude ressemble au paternalisme d’un père qui cherche à faire l’éducation de ses enfants égarés.
Il leur demande combien yels gagnent, lui qui touche en un mois ce qu’elles et eux gagnent en 6.
Mais, au dessus de l’entrée du Tribunal, il y a inscrit dans la pierre le mot “Justice”. Si la justice existait réellement, M. le Président, tout le monde toucherait le même salaire, non ?
Si la justice existait vraiment, Madame la substitut du Procureur, on n’aurait pas de dizaines de milliers d’exilé.es noyé.es sans trace dans le cimetière de la mer, ne croyez-vous pas ?
Si la justice existait, Madame l’avocate de la partie civile, c’est votre employeur, la TDF -Télédiffusion de France SA, qui serait à la barre pour répondre devant un tribunal populaire pour nous avoir transformé en souris de laboratoire. Car dans l’espace d’un an avec ses quatre opérateurs qui commercialisent des offres 5G -Bouygues Telecom, Free, Orange et SFR, la TDF a activé plus de 15.000 antennes dans plusieurs milliers de communes.
En fait, les micro-ondes de la 5G passent une grande quantité de données, donc, ont une portée limitée. Il leur faut des micro-antennes par dizaines de milliers pour transmettre le signal.
La TDF, pleurnicharde et en mode “grosso-modo”, avait demandé 450 000€ de dommages et intérêts. Le juge encore par mansuétude, peut-être, a baissé la somme à 169 000€.
Lors du procès, la question de la pollution électromagnétique de la 5G et sa nocivité pour la santé humaine et animale n’a pas été évoqué une seul fois. Il s’agissait pour tout le monde présent d’une question accessoire.
Après tout, ce que les “Dix de Bourg St. Andéol” avaient au cœur en regardant de loin l’antenne relais en feu, c’était le sentiment d’avoir donné au pouvoir une leçon inoubliable, d’avoir montré que si on est organisé, nous, les sans noms, les sans dents, on peut frapper où et quand on le veut.
Leur jubilation n’était pas du tout diminuée, par contre, par le fait que leur cible comportait un relais de communication appartenant au Ministère de l’intérieur.
Aujourd’hui, 4 ans après leur action réussite, il y en a qui retourne à l’usine, ce taulier à l’air libre, ou qui se syndique où qui coupe l’herbe sous les pieds du capitalisme en devenant autosuffisant.
Pour elles et eux, on ne lâche rien. La lutte continue où et quand on peut se le permettre.
Le seul regret, c’est que pendant l’enquête et les interrogatoires, on n’avait pas jouit du droit fondamental de garder le silence. Notre tribune, après tout, ce n’est pas au commissariat, c’est au Tribunal.
Le premier policier à licencier, le plus dur, le plus ancré, c’est celui qui par conditionnement habite l’esprit.
(1) Peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie
(2) Source : “Pedatort Part II : How predatory lawyers, activist scientists
hijacked IARC—International Agency for Research on Cancer—for personal profit
and ideological vanity. Genetic Literacy Project. 1 March 2019.”