Un an après l’arrestation de 151 jeunes de Mantes-la-Jolie (Yvelines), agenouillés les mains derrière la tête des heures durant, un collectif de mères et leur soutien ont marché dans Paris pour réclamer justice et réparations.
« Mamans déters [déterminées – ndlr] contre Castaner ! » : le slogan est hurlé si fort à travers la sono assourdissante de la marche contre les violences policières qu’il a bien dû arriver jusqu’aux oreilles de la place Beauvau. Un an après l’humiliante arrestation de 151 jeunes de Mantes-la-Jolie (Yvelines) agenouillés les mains derrière la tête des heures durant, un collectif de mères et leur soutien ont réuni environ un millier de personnes à Paris – selon une estimation artisanale de l’autrice de cet article, dimanche 8 décembre. De Barbès à République, le cortège a marché et crié contre les violences policières et leur impunité, les discriminations et l’islamophobie, pour la justice et la dignité.
- Un an après l’arrestation de 151 jeunes de Mantes-la-Jolie, marche des mères à Barbès le 8 décembre 2019
« On attend que les gens n’oublient pas. Que cela crée un sursaut », dit Myriam, mère de l’un des lycéens interpellés par la police le 6 décembre 2018, qui avait 15 ans lors de l’événement et a passé 3 h 30 dans cette position, selon l’estimation maternelle. Pour Rachida, dont le fils de 17 ans a lui aussi subi ce traitement : « Il y a une volonté d’invisibiliser cette affaire. Nous voulons que le préjudice qu’ils ont subi soit reconnu. Que les irrégularités commises lors de leurs gardes à vue, comme l’absence de caméras alors qu’ils étaient mineurs, soient reconnues. » L’appel à la marche des mamans dénonçait « la guerre » du gouvernement « contre les banlieues ségréguées et contre les cités d’immigration ».
Filmée par un policier, la vidéo des 151 adolescents agenouillés, accompagnée du sinistre commentaire « Voilà une classe qui se tient sage », est devenue virale. À leur sortie du commissariat en décembre 2018, 142 lycéens n’ont reçu qu’un rappel à la loi. Neuf autres, ainsi que des jeunes d’autres communes, sont poursuivis pour « participation à un groupement violent ». Ils avaient été arrêtés lors d’une tentative de blocus de deux lycées. Des poubelles et une voiture avaient été incendiées.
Une douzaine de jeunes, ainsi que l’Union nationale lycéenne (UNL), ont déposé plainte pour « atteinte à la liberté individuelle, violence n’ayant pas entraîné une ITT, actes de torture, et diffusion illégale de l’image d’une personne identifiée ou identifiable ». L’enquête préliminaire a été classée sans suite par la procureure de Nanterre.
Les mères dénoncent les comportements des policiers. Des adolescents disent avoir été appelés « le Noir », « l’Arabe », « le chevelu », comme l’a rapporté Libération dans une enquête publiée le 7 décembre dernier.
Alors qu’il était à genoux au milieu de ses camarades, un jeune dit avoir entendu un membre des forces de l’ordre se moquer : « Maintenant vous avez le bonne position pour faire la prière. » Une convention de stage aurait été déchirée. Myriam s’était rendue sur le lieu de l’interpellation des 151 jeunes, afin de savoir si son fils faisait partie des personnes arrêtées. « La première chose que j’ai vue, c’est un policier encagoulé. Je lui ai demandé poliment comment faire pour savoir si mon fils était là. Il m’a répondu : “Madame, vous n’aviez qu’à vous occuper avant de votre gamin, dégagez d’ici.” »
Dimanche 8 décembre, ces deux mères étaient entourées d’autres parentes : le collectif des mères solidaires – notamment animé par Geneviève Bernanos –, le collectif Femmes en lutte 93, le Réseau international des mères antifascistes, des collectifs de mamans italiennes, allemandes et autrichiennes ont aussi signé l’appel à la manifestation. Dans les jours et semaines qui ont suivi l’arrestation collective, « on s’est senties très seules, témoigne Rachida, actuellement auxiliaire de vie scolaire, en reprise d’études pour devenir enseignante. On n’a jamais été reçues par le proviseur. Les directions des lycées, qui connaissent leurs élèves, ne nous ont pas aidées. Le maire de Mantes-la-Jolie n’a rien fait. Des grands frères nous ont dit de rentrer chez nous. Des profs nous ont dit de passer à autre chose ».
Pourquoi les mères se mobilisent-elles plus que les pères ? Elle répond du tac au tac : « Les mecs ont peut-être peur d’avoir honte. Nous, on a des coucounettes ! » Et aussi : « Nous sommes incorruptibles. Dans les cités, les pouvoirs publics achètent le silence en échange d’un appartement ou de travail. Les grands frères sont tenus par leurs emplois de médiateurs. Mais notre instinct maternel n’a pas de prix. »
Pour Nadira, 61 ans, et membre du collectif Femmes en lutte 93, habitante de Saint-Denis : « Il n’y a pas eu assez de réactions contre ce qu’ont subi ces gamins. C’est très violent. Ils ont été traités comme si on était en guerre. » À ses yeux, « il n’y a que des mamans qui peuvent défendre leurs enfants contre l’État. Des militants ne peuvent pas réussir ça. Une maman, c’est intime. Tout le monde comprend ça. Si les mamans se mobilisent, les quartiers vont se soulever derrière. Ils sont solidaires des mamans. Elles représentent la paix. Elles sont comme des drapeaux blancs. Elles se révoltent dans beaucoup de pays. Elles n’ont pas de moyens. Elles n’ont que leur voix ».
Sarah et sa mère Najat, habitantes de Mantes-la-Jolie, n’ont pas de fils ou de frère parmi les 151 interpellés. Elles sont venues marcher à Paris car elles sont « révoltées » par l’humiliation subie par les élèves arrêtés. Toutes deux voilées, elles se tiennent par le bras en répondant : « En tant que femmes, on est tout en bas de l’échelle, dit Sarah. Au travail, on est discriminées. J’ai travaillé dans la restauration chez Hippopotamus. Mon directeur a appris que j’étais enceinte à la fin de la période d’essai de mon CDI. Il a dit : “Si j’avais su, je l’aurais jamais gardée, celle-là.” Pourtant j’ai tout bien géré. Je faisais une formation quand j’attendais mon deuxième enfant, ma directrice de master m’a dit : “On refuse une fille parce qu’elle était enceinte.” Mais on ne va pas continuer à subir. »
Toutes deux ont marché contre l’islamophobie à Paris le 10 novembre. C’était leur première manif. Najat prendra sa retraite en 2020 après avoir gardé des enfants pendant vingt-cinq ans. Elle doit toucher 250 euros de pension mensuelle. Elle ira peut-être défiler le 10 décembre contre la réforme des retraites. Sa fille Sarah « écoute les “gilets jaunes”. Je travaille beaucoup mais je suis ce qu’ils font. Ça me concerne ».
Autour d’elles, quelques personnes portent la chasuble jaune. Les chants des gilets retentissent (« On est là », « Macron nous fait la guerre »). Des manifestant·e·s enquillent leur troisième jour de mobilisation, après les retraites le 5 et l’acte 56 de la veille. Les historiennes Françoise Vergès et Ludivine Bantigny, signataires de l’appel de soutien à la marche, défilent et répondent à des interviews.
La chercheuse et militante antiraciste Nacira Guénif Souilamas s’est rendue à plusieurs reprises à Mantes-la-Jolie depuis un an pour soutenir les mères des lycéens : « Elles ont fait un long travail de transformation de leur émotion en discours politique, dans un certain isolement. C’est très difficile car la viralité des images de l’arrestation a produit l’illusion qu’il n’y avait pas besoin d’écouter les mères. Or, c’est évidemment faux. Leur parole est importante car leur cause est politique dans un paysage complètement dévasté. C’est d’autant plus important que leurs enfants sont jeunes et ont beaucoup de mal à se sortir du traumatisme qu’ils ont vécu. Il est particulièrement difficile pour des jeunes de cet âge de se reconstruire après cela. »
En tête de cortège, Mariam et Oumou, 17 ans et 16 ans et demi, deux lycéennes du XIXe arrondissement, marchent gaiement derrière la banderole des mamans de Mantes. Elles ont eu vent de la manifestation via le compte Instagram Blocus Paris Banlieue. C’est d’ailleurs là qu’elles ont découvert, la veille, l’existence de la vidéo des jeunes à genoux : « Ça nous a choquées. Ce sont des enfants. Ç’aurait pu être nous. C’est surtout pour les parents. »
Elles ont participé au bloc de leur lycée et comptent bien continuer : « Pendant tout décembre y aura que des blocus. On est très actives. C’est à nous de changer les choses. Il y a beaucoup de choses impactées dès maintenant dans nos vies futures. Nos parents ont trop laissé de choses se faire. »
Source : Un article Mediapart
Et aussi, sur ACTA :
"Jusqu’à quelle atteinte des corps il faudra que les parents attendent pour se mobiliser ?"
Geneviève Bernanos, du Collectif des mères solidaires, était présente à la #MarcheDesMamans, un an après l’humiliation policière subie par 151 lycéens à Mantes-la-Jolie.