Du 28 au 30 mars, le collectif Stop Micro organisait à Grenoble la mobilisation De l’eau, pas des puces ! contre l’accaparement des ressources par les industries du numérique et la « vie connectée ».
Stop Micro, c’est la lutte locale la plus anti-tech de France. Là-bas, le mot « technocritique » est normalisé, la « transition verte » est moquée et les « technocrates » sont hués (car accaparement de l’eau et pollution des terres sont le prix pour créer leurs armes de guerre). Un contexte idéal pour parler stratégie révolutionnaire.
Cette année, les Soulèvements de la Terre co-organisait l’événèment contre le « système technologique ». Anti Tech Résistance était donc présente.
Du vendredi au dimanche, nous avons assisté à des conférences contre l’extractivisme et le fantasme de la relocalisation. Les conférenciers dépeignent pendant 48 heures l’horreur structurelle du système industriel.
Ses logiques coloniales nuisent aux quatre coins du monde : exploitation du cobalt au Congo, exploitation de lithium aux Amériques et dans les Andes, exploitation de terres rares au Québec (des militants du monde entier viennent conter leurs luttes contre l’industrie minière).
Son mythe de la transition écologique justifie un « greenwashing enrobant le désastre en cours dans un bel emballage vert. »
Nous reconstituons collectivement la chaîne d’approvisionnement des puces - des composants des pièces électroniques -, leur mines, les lieux de stockage, lieux de transformation et d’assemblage etc. Comme avec nos fresques de l’IA, il est aisé de réaliser que la relocalisation n’est qu’illusion.
Pourtant, un malaise se ressent. Des intellectuels et des organisateurs viennent nous parler, en privé. Les Soulèvements les auraient forcés. Forcés à inviter des étrangers (pour mieux les recruter), forcés à s’auto-censurer, forcés à trier les éditeurs sur le volet, forcés à exclure des auteurs particuliers, forcés à renoncer à leur radicalité, forcés à voter pour nous exfiltrer.
Devons-nous les croire sur paroles ? Nous connaissons les effets de la rumeur.
Nous ne croyons qu’aux actes. Et en effet, le mot « révolution » n’est jamais prononcé. Nous parlons pourtant d’enfants exploités, de femmes violées, d’autochtones déracinés, d’usines à démanteler.
Une conférence entière porte sur une entreprise, Fairphone. Elle produirait des smartphones avec des mines « responsables ». Elle tenterait d’étudier la traçabilité des matières premières, pousserait les criminels climatiques à créer « une industrie propre ». Contradiction avec les autres interventions. Nous reconnaissons la marque des Soulèvements. Honnêtes avec le public, les invités avouent leur échec : changer le système de l’intérieur n’a jamais réussi. Mieux payer les enfants-esclaves ne changera pas leur destin.
Les grandes multinationales n’ont plus besoin de faire de greenwashing, le Mouton Numérique s’en charge ! On croit à une blague. Mais ces gens sont sérieux.
À la conférence des Soulèvements de la Terre (SDLT), le morceau sera lâché : nous sommes ici « contre l’extension d’usine au Grésivaudan ». L’extension. Pas l’usine. Pas la technologie. Pas la pièce d’un puzzle écocidaire ; les « ouvriers » en perdraient « leur salaire ».
Nous ne croyons qu’aux actes. Et le lendemain, c’est manifestation. Surprise, les Soulèvements de la Terre ont encore organisé un vote, serré. Après leur campagne idéaliste contre Bolloré, les SDLT semblent décidés à prendre le contrôle d’une nouvelle lutte. La tactique est claire : pour invisibiliser les anti-tech, ils s’emparent de notre terrain, se réapproprient notre discours, occupent chaque espace pour trier à l’entrée et mettre de côté tout discours insurgé. Depuis notre critique stratégique, c’est leur priorité. Est-ce vraiment celle de la Terre ? « On a démocratiquement voté, vous êtes interdits de tracter ». Aucun problème, on sort pas nos tracts, mais une banderole !
La manif commence et nous la déployons : « CONTRE TOUTES LES INDUSTRIES ; ANTI-TECH RESISTANCE ».
Nous ne sommes pas là pour diviser la lutte mais contre l’industrie. Jamais d’hostilité horizontale face à un ennemi commun.
Au même moment, à quelques mètres, des anarchistes écœurées par leur brutalité, des camarades historiques de Stop Micro, déploient « STOP À LA VAMPIRISATION DES LUTTES PAR LES SOULÈVEMENTS DE LA TERRE ».
Le ton est donné. Le schisme est créé.
Nous ne croyons qu’aux actes. Et la seule différence pratique avec l’année dernière sont 1000 manifestants en plus et un sabotage d’attrition. Est-ce là tout ce que vaut la « composition » avec EELV ?
Moins de 10 secondes après notre première déclaration, on entend hurler. Ils arrivent. Notre cortège est vite encerclé. Nos bras sont attrapés. Ils étaient préparés. Des hordes marxistes nous suivent à la trace, recouvrent nos prises de paroles de diffamations. Des camions d’organisateurs et des chars identifiés roulent plus vite pour éviter au public de se rapprocher. Ils manquent de nous écraser. Une sono nous escorte tout du long, musique à fond, espérant masquer nos revendications. Des organisateurs viennent nous menacer indirectement : « si vous rangez pas votre banderole, on pourra pas assurer votre sécurité… » Okay, on va la garder.
Ils sont plusieurs dizaines à nous huer.
Nous sommes 6.
Alors, que devons-nous faire ? S’avouer vaincu et abandonner cette lutte aux Soulèvements pour qu’ils la transforment en zone de défaite inclusive ? Pour que la lutte contre l’industrie devienne lutte pour la réappropriation de l’industrie ? Une lutte pour des mines de lithium autogérées ?
Hors de question. ATR est notre dernière chance. Si nous nous laissons exclure de cette lutte, nous serons exclus des autres. Si nous ne sommes pas là, qui portera la voix d’une planète malade ? Alors, par dessus leurs cris, nous chantons. Par dessus les injures, nous chantons. Notre détermination est plus forte que leur collaboration. Nous sommes six, mais nous sommes plus nombreux. Nos chœurs finissent par recouvrir leur haine et nous repartons de plus belle.
Nous discutons avec des manifestants curieux, certains choqués. Nous recevons des messages de soutien de plusieurs collectifs, qui soulignent notre courage. Eux se cachent. Nous osons.
Aucun camarade n’a baissé les bras. Nous avons tous tenu bon, ensemble, riant même de l’absurdité de la situation, déterminés à poursuivre nos actions. Contre toutes les industries.
Nous étions là l’année dernière. Nous sommes là cette année. Nous serons là l’année prochaine.
Pour désarmer le système technologique. Chose impossible sans une organisation disciplinée. Parce que nous ne croyons pas aux discours. Nous ne croyons qu’aux actes.
SIAMO TUTTI ANTI SMART CITY