★ MISÈRE DE LA POLITIQUE :
JÉRÔME BASCHET - ORESTE SCALZONE - LÉON DE MATTIS - CLÉMENT HOMS
MISÈRE DE LA POLITIQUE - Ed Divergences
On peut l’affirmer sans aucun doute : rarement une campagne présidentielle n’aura été menée avec autant de cynisme et de démagogie, de mépris et de mensonges, par une classe politique qui s’englue chaque jour un peu plus dans des « affaires » dont il semble désormais impossible de dresser une liste exhaustive. Le rejet de la sphère politicienne, déjà largement partagé, s’en voit renforcé. En effet combien votent encore seulement pour tenter d’éviter qu’un pire encore pire n’arrive ? Devons-nous continuer inlassablement de renouveler cette classe politique en espérant que cette fois-ci, elle respectera ses engagements ? Ou bien devons-nous, au contraire, rompre avec elle et son système ? La crise actuelle tant invoquée n’est pas qu’une crise de l’économie, une crise écologique et une crise du politique : la crise est aussi celle de notre dépossession générale des moyens d’y remédier. Et cela ne nous sera pas rendu. Il nous faudra donc le prendre.
- Renouveler encore la classe politique ou en finir avec notre dépossession générale ?
- Livre « Misère de la politique »
★ « La politique n’est pas la solution »
« La politique n’est pas la solution » - par Anselm Jappe
Même si beaucoup refusent encore de comprendre la logique inexorable qui a conduit à un état du monde si sombre, la conviction se répand que l’économie capitaliste a mis l’humanité devant de grands problèmes. Presque toujours, la première réponse est la suivante : « Il faut retourner à la politique pour donner des règles au marché. Il faut rétablir la démocratie menacée par le pouvoir des multinationales et des Bourses ». Mais la politique et la démocratie sont-elles, vraiment le contraire de l’économie autonomisée, sont-elles capables de la ramener dans ses « justes bornes » ?
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La valeur, avec sa pulsion impersonnelle à l’augmentation tautologique, n’est pas une catégorie purement « économique », à laquelle on pourrait opposer la « politique » comme étant la sphère du libre arbitre, de la discussion et de la décision en commun. Cette idée, qui est depuis longtemps un des piliers de toute la gauche, vise à « démocratiser » la vie politique pour imposer des règles à l’économie. Mais dans la société fétichiste de la marchandise, la politique est un subsystème secondaire. Il est né du fait que l’échange de marchandises ne prévoit pas de relations sociales directes, et que par conséquent il faut une sphère pour les rapports directs et pour la réalisation des intérêts universels. Sans instance politique, les sujets du marché passeraient immédiatement à une guerre générale de tous contre tous, et naturellement personne ne voudrait se charger de garantir les infrastructures.
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La logique de la valeur se base sur des producteurs privés qui n’ont pas de lien social entre eux, et c’est pourquoi elle doit produire une instance séparée qui s’occupe de l’aspect général. L’Etat moderne est donc créé par la logique de la marchandise. Il est l’autre face de la marchandise ; les deux sont liés entre eux comme deux pôles inséparables. Leur rapport a changé plusieurs fois pendant l’histoire du capitalisme, mais c’est une grande erreur que de se laisser entraîner par l’actuelle polémique des néolibéraux contre l’Etat (qui d’ailleurs est démentie par leur pratique, là où ils sont à la barre) à croire que le capital ait une aversion fondamentale contre l’Etat. Cependant, le marxisme du mouvement ouvrier et presque toute la gauche ont toujours misé sur l’Etat, parfois jusqu’au délire, en le prenant pour le contraire du capitalisme. La critique contemporaine du capitalisme néolibéral évoque souvent un « retour de l’Etat », unilatéralement identifié avec l’Etat-providence de l’époque keynésienne. En vérité, c’est le capitalisme lui-même qui a très massivement recouru à l’Etat et à la politique pendant la phase de son installation (entre le Xve et la fin du XVIIIe siècle) et qui a continué à le faire là où les catégories capitalistes devaient encore être introduites – les pays arriérés à l’est et au sud du monde au cours du Xxe siècle. Enfin, il y recourt toujours et partout dans les situations de détresse. C’est seulement dans les périodes où le marché semble tenir sur ses propres jambes, que le capital voudrait réduire les faux frais qu’implique un Etat fort.
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la politique n’a pas de moyen autonome d’intervention. Elle doit toujours se servir de l’argent, et chaque décision qu’elle prend doit être « financée ». Lorsque l’Etat cherche à créer son propre argent en imprimant du papier-monnaie, cet argent se dévalorise tout de suite. Le pouvoir étatique fonctionne seulement jusqu’à ce qu’il réussisse à prélever de l’argent sur des procès de valorisation réussis. Lorsque ces procès commencent à ralentir, l’économie limite et étouffe toujours plus l’espace d’action de la politique. Il devient alors évident que dans la société de la valeur la politique se trouve dans un rapport de dépendance vis-à-vis de l’économie. Avec la disparition de ses moyens financiers, l’Etat se réduit à la gestion, toujours plus répressive, de la pauvreté.
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Dans la société marchande, la démocratie n’est pas « manipulée », « formelle », « fausse », « bourgeoise ». Elle est la forme la plus adéquate à la société capitaliste, dans laquelle les individus ont complètement intériorisé la nécessité de travailler et de gagner de l’argent. Là où il est encore indispensable d’inculquer aux hommes à coups de matraque la soumission au capital, le capitalisme se trouve encore dans une forme assez imparfaite. On passe à côté de l’essentiel si l’on se borne, comme le fait inlassablement la gauche, à mettre en relief que les groupes économiques, les médias, les Eglises, etc., manipulent les électeurs et transforment la démocratie en une chose bien différente que ce qui est écrit dans les Constitutions – bien qu’évidemment de telles manipulations existent. La démocratie est complète, lorsque tout est sujet à négociations – sauf les contraintes qui dérivent du travail et de l’argent. Les sujets pour qui la transformation du travail en argent est le fondement indiscutable de leur existence se décideront, même s’ils sont « complètement libres » de choisir, toujours en faveur de ce que les lois de la marchandise imposent sous forme d’ « impératifs technologiques » ou d’ « impératifs de marché ». « Démasquer » les « vrais intérêts » cachés derrière ces « impératifs » est un des sports préférés de la gauche. Pourtant, il faut plutôt mettre en discussion le système fétiche qui produit ces impératifs, qui en son sein sont bien réels.
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Les illusions « de gauche » sur la démocratie sont apparues particulièrement audacieuses lorsqu’elles se sont présentées comme demande d’ « autogestion ouvrière » des entreprises, donc comme extension de la « démocratie » au procès productif. Mais si ce qu’il faut autogérer, c’est une entreprise qui doit réaliser des profits monétaires, les autogestionnaires ne peuvent faire rien d’autre, collectivement, que ce que font tous les sujets de marché : ils doivent faire survivre leur unité de production dans la concurrence. La faillite de toutes les tentatives d’autogestion, même celles organisées à grande échelle comme en Yougoslavie, n’est pas seulement imputable au sabotage opéré par les bureaucrates (même si celui-ci a eu lieu naturellement). Mais dans l’absence d’un mode de production directement socialisé, les unités de production séparées sont condamnées, qu’elles le veuillent ou pas, à suivre les lois fétichistes de la rentabilité.
voir aussi : L’État de l’argent et l’argent de l’État
(avec une liste de liens complémentaires)
On ne peut pas en finir avec la guerre militaire de masse et la guerre économique en restant sous l’emprise du capitalisme et de l’Etat.
Soit on lutte pour en sortir et faire mieux, soit on doit accepter les multiples graves conséquences de ce système social.