L’époque m’a soumis. Elle m’a forcé, oui, à me passionner pour l’écologie, à cailler dans des ZAD, à épouser Télégram, à angoisser les supermarchés, à migrainer le climat, à cramer mon éducation, à acaber les flics, à manifester mes vendredi et samedi, à perdre des amitiés.
Le paradoxe ? Elle ne m’inspire plus.
Quand j’entends les chapelets de « tu exagères ! », du « mais les choses changent ! », du « tu es utopiste ! », j’aurais tendance à renoncer. En fait, je voudrais, moi aussi, me payer le luxe de la sérénité, de la passivité, de l’espoir et m’échapper dans d’autres ailleurs.
À vrai dire, je bous de l’intérieur, parce que ces horizons sont purement réactionnaires. Mes parents, mes ami.es, nos gouvernements (évidemment), nos médias, nos lieux de vie, sont réactionnaires - et souvent par inadvertance. La réaction est progressiste (cela fonctionne également dans l’autre sens, mais ce n’est pas de lui dont il s’agit de discuter présentement) car elle se fonde sur un ordre politique et moral antérieur. Ici, celui du capitalisme et de la représentativité.
Cette pensée se résume en trois mots : baisser les bras. Les ont-iels seulement une fois levés ? Il n’y a là aucun mépris, mais un constat. L’écologie ne peut se permettre, d’une part, du colibrisme rabhien et, d’autre part (chose que l’on a délibérément oubliée), de s’enraciner et d’évoluer au sein des structures actuelles de nos sociétés. Or, c’est précisément ce qui est en train de se passer.
Malgré le tumulte politicard et les déliquescences du quotidien, qui ne cessent d’écraser la télé et les journaux, il suffit d’une micro-bifurcation, d’un micro-évènement (si on le rapporte à nos conditions matérielles) pour anéantir tous les soucis.
Pendant les six mois à venir, c’est l’élection présidentielle qui aura le monopole du temps de cerveau disponible. À tel point que même une hypothétique bombe scientifique (avec la publication du deuxième et dernier volet du sixième rapport du GIEC, en 2022) ne fera qu’effleurer les écrans, les imprimantes et les esprits citoyens.
Les élu.es, à défaut de le lire, s’en serviront déjà comme brouillon pour leurs non-lois et leurs sous-lois écocidaires et austères. Cette actualité se permettra de dissoudre tout ce qui ne la concerne pas ou, pour être honnête, tout ce qui foncièrement la dérange. Je les entrevois, ces discussions à rallonge, ces sondages qui ne font que sonder, ces inquiétudes diffuses. Je les prédis, ces lancinantes injonctions à voter, ces interrogations autour de l’abstention, ces justifications à la sauce « crise démocratique ».
À l’inverse, on voit mal des appels à la suppression du vote, par exemple. Car, collectivement et universellement, il représente un acquis de longue lutte, un droit constitutionnel. Or, cette autorisation à entourer un prénom et un nom sur un bout de papier tous les cinq ans, a été pensée comme un outil de légitimation d’un certain mode de gouvernement. Rien de plus, rien de moins, vous êtes libres sans être souverain.nes.
Face à ça, tant de marxo-nostalgiques, de soixante-huitard.es déçu.es, de 1789-addict.es, rêvent et fantasment encore la révolution. La fougue révolutionnaire existe, peut-être encore, mais n’amasse plus. Il ne subsiste plus que des révolutionnaires sans révolution. L’épisode des Gilets Jaunes l’illustre tristement. Tout le monde sature, car tout est arrivé à bout, à plus soif. On y est tellement arrivé.es, qu’on est devenu.es des impuissant.es ambulant.es.
Les jeunes, cette catégorie oppressante, qui découpe l’existence et ne fait que séparer ce qui devrait spontanément s’assembler, donc, les jeunes ont à souffrir cette immuable impression de défaite. Les jeunes seront toujours les travailleureuses de demain (quand iels ne le sont pas déjà), les soubassements productifs de la défonce du vivant.
On aura, encore et toujours, les jeunes d’en-bas et leur antagonisme, les jeunes d’en-haut. Ces dernier.ères, qui portent de plus en plus la quête du transformisme de l’intérieur, oublient trop facilement qu’iels héritent du savoir de leurs aîné.es et qu’iels assoient leurs culs sur des bancs poussiéreux. On nous rabâche pour nous rassurer (en réalité, pour faire diversion) que la gauche (j’exclus à dessein tout ce qui ne s’y rattache pas) servira notre cause. Que la gauche résoudra nos maux. Que la gauche, c’est la solution.
La gauche, au fond, je m’en fous. Et beaucoup lui crache aussi dessus. Ce que je veux dire par-là, c’est l’écœurement procuré par leurs mensonges, leur irrespect envers nos parents, leur désintérêt pour l’avenir. Si iels daignaient nous juger d’égaux.ales à égaux.ales, alors iels devraient acter leur disparition au nom du naufrage du vivant.
Le naufrage qui se dessine, justement, devrait submerger les universités, engloutir les parlements, noyer nos relations factices, électrocuter l’ensemble de nos schémas intégrés, griller notre langage, irradier notre philosophie, notre histoire, notre science politique, notre économie.
Étonnamment, il n’en est rien.
Il en est pour une micro-minorité, mal-aimée, ou cachée, ou réprimée. Cela trouve son explication dans l’instillation dans l’imaginaire collectif d’une politique de la vacuité. On nous a enseigné, on nous enseigne, on nous enseignera le vide de la pensée et de l’action car les remplir occasionnerait, de fait, une lutte à mort.
Cette lutte des dernières femmes, des dernier.ères adelphes, des derniers hommes consistera à démissionner et à détruire, à destituer et à partir. « À mort la politique », « pour la suite du monde », « demain est annulé » (1) formeront ses slogans. L’alternative, son mantra ; l’oubli, son pardon.
Aujourd’hui, on espère sans lutter. J’ai décidé de lutter sans espoir, pour mieux dire adieu.
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