Mouvement écologiste : le grand retour du sabotage

Le sabotage fait partie intégrante des luttes écologistes depuis longtemps

dimanche 9 octobre 2022, par Echo des luttes écolo-sociales.

Le sabotage déplait beaucoup aux puissants et à leurs amis, ils ne cessent de le pourchasser, y compris au niveau du débat d’idée (et la loi « séparatisme » permet de s’attaquer même à la désobéissance civile non-violente). Néanmoins, l’histoire nous apprend que le sabotage pour des causes écologistes a toujours existé et a très souvent fait partie de la diversité des moyens de lutte employés :

Sur Reporterre, enquête en deux volets :

  1. Le grand retour du sabotage - À la croisée des chemins, le mouvement écologiste s’interroge sur ses pratiques et renoue avec des gestes plus offensifs, comme le sabotage. Une façon de s’opposer frontalement au désastre qui vient. [Enquête 1/2]
  2. Le sabotage, arme historique des luttes écologistes - Nucléaire, OGM, défense des animaux... Nombreux sont les activistes écologistes à avoir utilisé le sabotage pour s’opposer physiquement aux industriels et à leurs machines. Retour sur les écosabotages les plus marquants.
Mouvement écologiste : le grand retour du sabotage
Dégradation, incendie, destruction, piratage..., de nombreux moyens sont employés

Extraits du volet 1.

Le temps de la protestation polie est peut-être définitivement révolu. À mesure que la catastrophe climatique se précise et devient de plus en plus palpable, le sabotage revient sur le devant de la scène. Sa pratique gagne en légitimité et se généralise au sein du mouvement écologiste.

Il suffit de voir son essor ces derniers mois, au cœur d’un été suffocant : des dizaines de greens de golf ont été bouchés au béton, des jacuzzis détruits et des SUV dégonflés dans plusieurs villes du pays. Dans le sud de la Vendée, plusieurs mégabassines — des réserves d’eau immenses — ont été débâchées. Face à l’urgence climatique, des activistes ont décidé de cibler directement les responsables du désastre et les comportements polluants des plus riches.

« On tend de plus en plus vers une écologie de la conflictualité », atteste le sociologue Manuel Cervera-Marzal. « On sort enfin de l’idée que l’écologie serait ce qui nous rassemble et que l’on serait tous sur le même bateau. L’écologie est, en réalité, ce qui nous divise. Des gens ont intérêt à lutter contre le réchauffement climatique, d’autres se font de l’argent sur la crise », souligne le chercheur, qui voit dans le développement actuel du sabotage « une forme renouvelée de désobéissance civile ». Une nouvelle manière de dire non et d’assumer la fracture dans une époque gangrenée par le greenwashing où tout le monde se prétend écolo.
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Cette dynamique s’inscrit dans un contexte général, qui touche tout le monde occidental. En Allemagne, un groupe écolo a lancé les Fridays for Sabotage. Aux États-Unis, des oléoducs sont régulièrement visés. En Angleterre, des « Tyre Extinguishers » — littéralement dégonfleur de pneus — sévissent dans les villes. Des livres et des brochures circulent, et des tutos sur internet rendent ces gestes facilement reproductibles. Les militants n’hésitent plus à se filmer, à se mettre en scène, à communiquer massivement. On se montre en train d’agir, en train de bloquer physiquement la machine.
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De manière plus générale, un tiers des Français disent comprendre le recours à des actes violents pour s’opposer à des décisions politiques. Ce sentiment est partagé par 15 % des plus de 65 ans et par 47 % des 18-24 ans, selon une étude de Harris Interactive. Ces chiffres sont complètement inédits sous la Ve République.
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Après la révolte des Gilets jaunes et sa répression, un constat s’impose : « Il n’est plus possible de militer comme nous le faisions il y a vingt ans, ni même il y a cinq ans. Les règles du jeu ont volé en éclats, observe ainsi le chercheur Manuel Cervera-Marzal. La manifestation a perdu son côté subversif et l’interpellation des pouvoirs publics peut paraître inefficace, inutile, voire dépassée. »
Le sociologue parle de « théorème du TGV » pour illustrer « les parcours de radicalisation express des militants écologistes ». Cette transformation s’explique, selon lui, de plusieurs manières : l’aggravation objective de la situation, le sentiment d’urgence et d’impuissance qui ronge les activistes et le tournant autoritaire du pouvoir.
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Déjà dans les années 1970, des penseurs de l’écologie parlaient du sabotage comme d’une forme « d’autodéfense » face au ravage du monde. « La morale l’emporte sur la légalité, écrivait Günther Anders [2]. Il est nécessaire d’intimider ceux qui exercent le pouvoir et nous menacent, de les menacer en retour et de neutraliser ces politiques qui sans conscience morale s’accommodent de la catastrophe quand ils ne la préparent pas directement. »
La penseuse écoféministe Françoise d’Eaubonne a même forgé le concept de « contre violence » pour qualifier les sabotages écologiques. « Une action très indiquée dans le retournement de l’arme de l’ennemi contre lui-même », déclarait-elle.

Sabotage de la production de deux géants des semi-conducteurs à Villard-Bonnot, en Isère

Extraits du volet 2.

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De 1970 à 2010, plus de 27 000 actions clandestines ont été revendiquées dans le monde par les mouvances animalistes et écologistes, selon l’inventaire minutieux du chercheur Michael Loadenthal. Si elles ont créé des dégâts matériels majeurs, 99,7 % n’ont fait aucun blessé. Reporterre revient sur les écosabotages (ou « écotages ») les plus marquants de ces cinquante dernières années.
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La pince-monseigneur, la clé à molette et la bouteille incendiaire sont devenues des outils incontournables dans la lutte. Des dizaines de centres techniques et d’agences EDF ont été attaqués au cocktail Molotov, des lignes à haute tension ont été détruites, des entreprises de BTP et des engins de chantier ont brûlé. Dans les années 1970, des vagues d’attentats contre des infrastructures nucléaires, baptisées « les nuits bleues », ont été organisées dans tout le pays.
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Autre action emblématique : l’attaque au lance-roquette du surgénérateur Superphénix en 1982 par un écologiste suisse devenu ensuite député. « Le développement forcené actuel de l’énergie nucléaire est un choix irréversible que le capitalisme nous impose. De par son fonctionnement et sa nature, l’énergie nucléaire est la caricature d’un univers hiérarchisé, technocratisé et militarisé », justifiaient les militants de l’époque, avant d’appeler à « intensifier les sabotages ». Une réalité qui se poursuit aujourd’hui, même si la majorité des centrales ont été construites. Encore récemment, le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs à Bure (Meuse) a subi une série de sabotages et les trains Castors (« cask for storage and transport of radioactive material ») de transport de combustibles radioactifs sont régulièrement bloqués.
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En juin 2005, les faucheurs annonçaient avoir détruit 70 % des essais commerciaux en France qui existaient en 2004. En juillet 2006, le ministère de l’Agriculture estimait que 40 % des champs expérimentaux avaient été détruits. En 2008, la société Monsanto reconnaissait, elle-même, la destruction de la totalité de ses essais d’OGM
Plusieurs actions resteront gravées dans l’histoire : la destruction des serres du Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) en 1999 qui conduira les leaders paysans José Bové et René Riesel en prison, ou encore l’arrachage de Valdivienne en 2004 où 500 faucheurs affrontèrent des centaines de gendarmes mobiles. Au même moment, des sabotages contre des symboles de la malbouffe et de la mondialisation eurent aussi un grand retentissement, comme le démontage du McDonald’s de Millau (Aveyron) en 1999 par 300 paysans, dont José Bové.
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Une des actions les plus spectaculaires en donne le ton, la radicalité et la subversion. Elle s’est déroulée le 13 juillet 1996 à Londres. Près de 10 000 personnes prirent complètement de court les forces de police et envahirent l’autoroute M41 pendant neuf heures. Des voitures conduites par des militants servirent de barrage et furent détruites à coups de masse, tandis qu’une grande fête fut organisée en lieu et place du trafic. Un bac à sable fut installé pour les enfants. Des cracheurs de feu circulaient, de grandes banderoles étaient accrochées. Des camions vibraient au son de leur sono. L’ambiance était carnavalesque, mais il ne fallait pas se méprendre. Pendant que les gens dansaient, d’autres, couverts par les bruits, attaquèrent la route au marteau piqueur pour y replanter des arbres.
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Plus de 300 actions furent menées pour s’attaquer aussi bien aux exploitations forestières, qu’aux barrages ou aux forages pétroliers.
Earth Liberation Front plastiqua ainsi une station de ski, des scieries et des résidences de luxe. Un manuel d’action directe de 300 pages fut publié (et est toujours disponible) pour présenter de manière décomplexée des dizaines de méthodes afin de démolir toute sorte de machines.
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Dans un passage célèbre des Damnés de la terre, Frantz Fanon parle de la violence qui « désintoxique ». Elle libère, dit-il, « l’indigène de ses attitudes contemplatives ou désespérées. Elle le rend intrépide, le réhabilite à ses propres yeux ». À l’ombre du mouvement écologiste occidental, il est intéressant de voir que plusieurs mouvements décoloniaux ont aussi fait du sabotage des infrastructures polluantes et écocidaires, une stratégie pour s’émanciper du joug des colons, stopper la dégradation de leur terre et le pillage des ressources. À la croisée, donc, des questions décoloniales et écologiques.
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Les mouvements indigènes ont souvent pris pour cible prioritaire les projets extractivistes et agro-industriels qui symbolisaient autant la destruction des écosystèmes que des sociétés humaines. En Papouasie-Nouvelle Guinée, l’armée révolutionnaire de Bougainville réussira ainsi en 1989, après une série de sabotages, à fermer la plus grande mine de cuivre au monde, exploitée par la multinationale Rio Tinto, qui polluait massivement les villages alentour. En Argentine, face à Monsanto, des paysans indigènes utilisèrent des bombes à graines avec de l’amarante pour contaminer les champs de soja transgénique et protéger leur terre. Une belle alliance multispécifique !
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Bretagne, sabotage d’un camion grue contre une ferme usine ?

Histoire du sabotage, en deux volumes

Pour approfondir ces sujets socio-historiques, voir aussi ces livres :

- Histoire du sabotage Tome 1 & 2 (Victor Cachard)
Une histoire du sabotage en deux volumes, c’est l’occasion de parcourir les nombreux mouvements qui s’opposent à toutes les formes d’exploitation et d’oppression. Des attaques contre la fortification, durant le Moyen Âge, aux incendies contre les antennes 5G aujourd’hui, en passant par les traine-savates dans les usines et le sabotage de la colonisation, ces deux tomes permettent de comprendre ce qu’est le sabotage et pourquoi il est toujours d’actualité.

Dans le premier tome, il est question de remonter aux origines anarchistes de la pratique. C’est au moment où les militants renoncent à l’assassinat politique que la décision est prise de porter atteinte à la production. Outre le bris de machine, le sabotage se manifeste aussi dans la paresse du travailleur, dans celui qui chôme volontairement, croise les bras et ainsi, ralentit la production, tel Bartleby, le personnage de la nouvelle d’Hermann Melville qui répond systématiquement à son patron : « I would prefer not to ». Dans ce premier tome, la réflexion philosophique sur les différentes techniques de lutte croise les grandes dates du sabotage. Des révoltes méconnues sont décrites et des révolutionnaires oubliés sortent des archives. On apprend que la construction du métro parisien est en lien avec le massacre des grévistes de Draveil et Villeneuve-Saint-Georges. Il est aussi question de l’insurrection contre les bureaux de placement et bien sûr des deux grandes vagues de sabotage que représentent la grève des PTT en 1909, puis des cheminots en 1910. Enfin, en annexe, on y retrouve des textes inédits du révolutionnaire Émile Pouget.

Dans le deuxième tome, il s’agit d’évoquer l’actualité du sabotage. Après les deux grandes Guerres mondiales, le sabotage change de visage. Il sort des industries, quitte le monde du travail pour s’attaquer plus largement aux technologies meurtrières. C’est ainsi que l’on peut interpréter la résistance à la colonisation comme un sabotage des techniques d’invasion. Avec le passage à l’ère post-industrielle favorisé par l’automatisation, le sabotage enrichit son répertoire d’actions. Dans ses formes les plus contemporaines, on retrouve les faucheurs d’OGM, les mouvements pour la libération animale sur terre et en mer, les hacktivistes qui infiltrent les réseaux de communication, les luttes des peuples colonisés, le mouvement antinucléaire, le sabotage des moyens de transport polluants et des grands projets inutiles, etc.

- Ce projet a déjà reçu le soutien de 300 personnes ayant commandé les deux tomes du livre via le site de financement participatif Ulule (www.ulule.fr/histoire-du-sabotage).


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