Les technologies sont forcément liées à un certain type de société, elle ne sont pas neutres, elles impliquent un certain type de système social.
Si on veut de toutes autres sociétés, bien meilleures sur tous les plans, ils faut inventer et utiliser d’autres technologies que celles des systèmes industriels, étatiques et capitalistes.
Le techno-capitalisme veut changer le sens des mots et tout récupérer à sa sauce, même l’idée de « basses technologies » (ou techniques conviviales, démocratiques, maîtrisables...).
- Les technologies modernes sont un problème même si on veut en faire un bon usage
- Les technologies modernes nécessitent une grosse infrastructure qui pose plusieurs problèmes insolubles
High-tech, low-tech, anti-tech : le problème de la technologie
La technologie n’est pas la solution, mais un des principaux problèmes, un des principaux moteurs de la catastrophe en cours. Mais tâchons de dissiper quelques malentendus. En disant cela, nous n’affirmons pas qu’il nous faudrait cesser de fabriquer et d’utiliser n’importe quel genre d’outil (« objet fabriqué »). Parmi les définitions que le Larousse donne pour « technologie », on trouve :
« Ensemble des outils et des matériels utilisés dans l’artisanat et dans l’industrie. »
Cette définition reflète sans doute le sens le plus courant de l’emploi du terme « technologie » : la plupart des gens considèrent que n’importe quel outil, appareil ou ustensile est une technologie, le panier en osier comme la centrale nucléaire.
Cependant, n’avoir qu’un seul terme pour désigner des choses aussi différentes que le panier en osier et la centrale nucléaire peut se révéler problématique, tant les choses ainsi désignées diffèrent dans leur nature. En vue de faire ressortir ce qui les distingue, certains ont entrepris de classer, d’organiser, conceptuellement, les différents types d’outils existant, et proposé de distinguer « technique » et « technologie » — ou de distinguer des « technologies douces » et des « technologies dures », des « basses technologies » et des « hautes technologies » (low-tech et high-tech). Ces différenciations s’avèrent cruciales. Celles ou ceux qu’on dit parfois « technophobes » (vieille méthode du pouvoir qui consiste, pour se débarrasser d’une critique, à l’assimiler à une irrationalité, une démence) ne s’opposent en réalité jamais à la technique, jamais à l’« ensemble des outils et des matériels utilisés dans l’artisanat et dans l’industrie ».
Différents types de technologies
Le sociologue et historien Lewis Mumford distinguait des « techniques démocratiques » et des « techniques autoritaires ». Par « techniques démocratiques » il désignait les outils ou les technologies (dans son sens très large, le plus courant) qui reposent sur « une méthode de production à petite échelle », qui favorisent « l’autogouvernement collectif, la libre communication entre égaux, la facilité d’accès aux savoirs communs, la protection contre les contrôles extérieurs arbitraires » et « l’autonomie personnelle », qui confèrent « l’autorité au tout plutôt qu’à la partie ». Aussi, la « technique démocratique », reposant « principalement sur la compétence humaine et l’énergie animale mais toujours activement dirigée par l’artisan ou l’agriculteur », exige « relativement peu », est « ingénieuse et durable » et « très facilement adaptable et récupérable ». Historiquement, ces techniques démocratiques remontent « aussi loin que l’usage primitif des outils » et ont ainsi « sous-tendu et soutenu fermement toutes les cultures historiques jusqu’à notre époque ».
En contraste, les « techniques autoritaires », plus récentes (qui apparaissent « à peu près au quatrième millénaire avant notre ère »), ne confèrent « l’autorité qu’à ceux qui se trouvent au sommet de la hiérarchie sociale », reposent sur le « contrôle politique centralisé qui a donné naissance au mode de vie que nous pouvons à présent identifier à la civilisation, sans en faire l’éloge », « sur une contrainte physique impitoyable, sur le travail forcé et l’esclavage », sur « la création de machines humaines complexes composées de pièces interdépendantes, remplaçables, standardisées et spécialisées — l’armée des travailleurs, les troupes, la bureaucratie ».
La réalisation d’un panier en osier relève donc de la première catégorie (technique démocratique). Elle ne nécessite pas de « contrôle politique centralisé », ni de conférer l’autorité à des individus se trouvant au sommet d’une hiérarchie sociale, etc. Le panier en osier peut être produit à petite échelle, il favorise l’autonomie personnelle, le savoir-faire nécessaire à sa fabrication est très simple, très facilement transmissible, nul besoin d’un vaste système scolaire et d’importantes spécialisations du savoir, nul besoin d’une division hiérarchique du travail, etc. Et sur le plan matériel, l’obtention des matériaux nécessaires à sa fabrication s’avère également très simple : il suffit de trouver un endroit où pousse un peu d’osier.
La fabrication d’une cuillère en plastique, en revanche, de même que la construction d’une centrale nucléaire (d’un smartphone, d’un téléviseur, d’un panneau solaire photovoltaïque, d’un immeuble, d’une route, d’une voiture, d’un réfrigérateur, etc.), relèvent de la seconde catégorie. Elles reposent sur le contrôle politique centralisé qui caractérise la civilisation techno-industrielle, confèrent l’autorité à ceux qui la gouvernent, requièrent ces « machines humaines complexes composées de pièces interdépendantes, remplaçables, standardisées et spécialisées » que sont « l’armée des travailleurs, les troupes, la bureaucratie », etc.
[...] la suite :
High-tech, low-tech, anti-tech : le problème de la technologie (par Nicolas Casaux)
Une société hors de contrôle
La société dans laquelle nous vivons semble de plus en plus hors de contrôle. Mais il ne s’agit pas d’une simple impression, nous explique Theodore Kaczynski, histoire et sciences dures à l’appui. En effet, plus un système se complexifie, plus son instabilité augmente. Toute gestion rationnelle de son développement devient alors impossible ; de même qu’en matière de prédictions économiques ou météorologiques, dès que l’on dépasse le très court terme, « l’échec est la norme ». D’où l’importance de mettre fin au développement technologique qui ravage actuellement les systèmes sociaux et biologiques mondiaux et menace de détruire l’essentiel de la vie sur Terre.
Au travers d’un examen des organisations révolutionnaires du passé permettant d’identifier les erreurs à éviter, Kaczynski formule les règles objectives et les principes organisationnels que devrait suivre tout mouvement souhaitant sérieusement endiguer la catastrophe sociale et écologique en cours.
« Beaucoup de gens se rendent aujourd’hui compte que la société moderne court, d’une façon ou d’une autre, à la catastrophe, et considèrent la technologie comme la racine commune des principaux dangers qui nous guettent. […] Ce livre a pour but de montrer à ses lecteurs comment penser de manière pratique, et en termes de haute stratégie, ce qui doit être fait pour sortir notre société de la voie qui la mène droit à la destruction. »
voir : Stratégie pour faire s’effondrer le système techno-industriel, et donc préserver le vivant
- Les technologies modernes sont un problème même si on veut en faire un bon usage
- Couper le tronc commun de l’hydre au lieu de trancher des têtes qui repoussent sans cesse
LES FOSSOYEURS DE LA LOW-TECH : LE LOW-TECH LAB, LE LOW-TECH MAGAZINE, EXPLORE, BIHOUIX, L’ADEME, EDF, ETC.
Dans les années 1970, en France comme aux États-Unis, des groupes de militants, écologistes et autres, comprenaient que la technologie était au cœur de presque toutes les principales problématiques sociétales.
(Quelques décennies auparavant, fin XIXe, début XXe, les anarchistes naturiens remarquaient déjà que l’industrie, le machinisme, le développement technologique, étaient incompatibles avec la liberté humaine, arguant qu’une « humanité libre » refuserait de se prêter aux « travaux de mines, de fonderie de métaux, de creusement de carrières […] de terrassement, de pavage, de balayage et d’éclairage par tous les temps ; de curage d’égout ou de vidange ». Émile Gravelle proclamait : « À ceux qui parleront de révolution tout en déclarant vouloir conserver l’Artificiel superflu [l’industrie, le système des machines, la technologie], nous dirons ceci : Vous êtes conservateurs d’éléments de servitude, vous serez donc toujours esclaves ; vous pensez vous emparer de la production matérielle pour vous l’approprier, eh bien cette production matérielle qui fait la force de vos oppresseurs est bien garantie contre vos convoitises ; tant qu’elle existera, vos révoltes seront réprimées et vos ruées seront autant de sacrifices inutiles. »)
Mais revenons-en aux années 1970. Theodore Roszak notait que la contre-culture de ces années-là était divisée sur la question de la technologie, avec, très schématiquement, d’un côté des « réversionnaires » et de l’autre des « technophiles » (et souvent un mélange des deux). Pour les réversionnaires, l’industrialisation constituait « l’état extrême d’une maladie culturelle devant être soignée avant qu’elle ne nous tue tous ». Ainsi attendaient-ils « avec impatience le jour où les usines et les machines lourdes seront laissées à l’abandon, et où nous pourrons revenir au monde du village, de la ferme, du camp de chasse, de la tribu. Cela nous ramènerait à une vie proche de la terre et des éléments, faite de plaisirs simples et communautaires, en mesure d’offrir un véritable épanouissement. » Les technophiles, eux, estimaient que la solution à tous nos problèmes se trouvait dans la continuation de l’industrialisation, qu’il fallait s’efforcer de contrôler au mieux (quoi que cela puisse vouloir dire), dans la continuation du développement technologique.
Et donc, dans tout ça, différentes critiques de la technologie émergèrent, qui donnèrent naissance à différents courants en faveur de « technologies appropriées », de « technologies intermédiaires » de « technologies douces », de technologies « conviviales » (Illich), de technologies « libératrices » (Bookchin), etc. C’est aussi à ce moment-là que l’expression low-tech commença à être utilisée.
Les plus lucides de ces critiques, aussi les plus radicaux — c’est la même chose — comprenaient le problème que posaient les hautes technologies, l’industrie, le machinisme (les « techniques autoritaires » dans le vocabulaire de Lewis Mumford). Ils comprenaient également — ça va avec — en quoi le capitalisme et l’État sont deux nuisances fondamentales, impliquant une exploitation généralisée de l’humain par l’humain et une dépossession politique totale. Tout cela les amenait à souhaiter une désindustrialisation ou détechnologisation intégrale des sociétés humaines, à la manière des réversionnaires susmentionnés, à vouloir renouer avec des techniques, des technologies ou des outils pré-industriels, respectueux du vivant et compatibles avec la démocratie (un régime politique de petites sociétés, de sociétés à taille humaine).
Les moins lucides, qui ne voyaient rien de fondamentalement problématique dans l’État, dans le capitalisme et l’industrie, s’imaginaient simplement qu’une bonne civilisation industrielle était possible, et que quelques réformes relativement superficielles du développement technologique règleraient les problèmes qu’il posait par ailleurs.
Le capitalisme, depuis longtemps passé maître dans l’art de récupérer à son profit les critiques qu’on lui adresse, se débrouilla évidemment pour récupérer, coopter et neutraliser la plupart de ces critiques. Plusieurs organismes de recherche sur le sujet des technologies prétendument alternatives ou intermédiaires ou autres furent créés grâce à des fonds étatiques ou des financements d’entreprises (comme le NCAT, le National Center for Appropriate Technology (« Centre national pour des technologies appropriées »), fondé en 1976 aux USA). C’est tout naturellement que l’argent (public ou privé), au travers d’organismes étatiques ou d’entreprises, se mit à encourager les critiques les plus superficielles de l’industrie et de la technologie, à favoriser les critiques les plus compatibles avec le développement du capitalisme industriel existant. Et par-là même à favoriser la disparition des autres.
Et puis, le sujet — la problématique technologique — est relativement tombé dans l’oubli. Jusqu’à récemment (il y a un peu plus d’une décennie, environ).
En effet, à la faveur de l’empirement constant du désastre écologique et social et de ses manifestations toujours plus indéniables, ces dernières années, l’idée de low-tech s’est graduellement (re)taillé une place dans le débat public. Notamment grâce à des personnalités comme Philippe Bihouix, Agnès Sinaï de l’institut Momentum ou encore Corentin de Chatelperron du Low-tech Lab, mais aussi grâce à des organismes comme l’Ademe, l’OECD, le « fonds de dotation » Explore et même grâce à des entreprises comme EDF. Mais, comme on devrait s’en douter au vu de qui la promeut, ce retour de l’idée de low-tech correspond aussi à sa ruine la plus totale. Tous ces organismes, tous ces individus, promeuvent un concept de low-tech qui n’a pas grand-chose de bassement technologique, pas grand-chose de low-tech, et qui en outre s’inscrit dans la continuation du capitalisme technologique existant (tous insistent pour ne pas opposer high-tech et low-tech, comme ces experts invités dans le podcast « Engagés » — podcast diffusé par Usbek & Rica et financé par EDF ! — qui prétendent promouvoir une sorte de « sobriété technologique » d’un côté (mais une sobriété n’ayant pas grand-chose de sobre), et de l’autre défendent la continuation du développement technologique aérospatial). Fabriquer sa « tiny house » — ou quoi que ce soit d’autre — avec des outils et des matériaux tous issus du système industriel, ça n’a rien de low-tech, bricoler un ordinateur à partir de pièces récupérées ici et là non plus. C’est pourtant ce genre de choses que le Low-tech Lab — financé par la multinationale Schneider Electric — associe à la low-tech. La low-tech que promeuvent tous ces imbéciles est totalement dépendante de la high-tech (voire relève directement de la high-tech).
Dans les années 70, Robin et Janine Clarke, qui défendaient le concept de « technologies douces » (ou « technologies écologiques ») et de « communautés biotechniques », déploraient le fait que nombre de groupes établis pour explorer d’autres modes de vie se contentaient de promouvoir des alternatives technologiques basées sur une sorte de « parasitisme de la société industrielle ». Bon nombre des zélateurs contemporains de la low-tech font la même chose. Et beaucoup d’autres font pire (leur low-tech est directement high-tech, quand elle ne désigne pas purement n’importe quoi).
Cependant, force est de reconnaître que grâce à eux, la low-tech (qui n’en est pas) a un bel avenir devant elle. Elle va pouvoir tranquillement accompagner et même participer à l’empirement du désastre, à la catastrophe que constitue le capitalisme industriel — la civilisation.
(La seule perspective low-tech digne de ce nom devrait impliquer un rejet total des hautes technologies, de la high-tech, des « techniques autoritaires » dont parlait Lewis Mumford. C’était ce que défendaient les anarchistes naturiens de la fin du XIXe siècle. Aucun compromis n’est possible. Si vous voulez continuer de vivre dans une société industrielle, produisant des hautes technologies, vous aurez l’autoritarisme, les hiérarchies et la dépossession qui vont avec, vous aurez le désastre social et écologique. C’est une telle perspective low-tech que nous, naturiens, primitivistes, écologistes ou décroissants radicaux, etc., défendons toujours aujourd’hui.)
L’imbécillité à l’état Brut.
Tandis que les émissions globales de gaz à effet de serre continuent inexorablement de grimper, que les projets d’extractions de combustibles fossiles se multiplient, que l’urbanisation et l’industrialisation poursuivent leur expansion biocidaire et ethnocidaire, paradoxalement (mais pas vraiment, en réalité), les mirages et mensonges « verts » prolifèrent. On observe des inversions de réalité toujours plus grotesques.
La Suède, dont l’électricité provient majoritairement de centrales nucléaires et de barrages hydroélectriques (deux industries parmi les plus nuisibles de toutes), qui recourt également de manière assez conséquente à l’incinération de déchets pour produire de l’énergie (un autre désastre écologique, voir les publications de Zero Waste à ce sujet, et le documentaire intitulé « Toxique ! Que faire des déchets ultimes ? », les centrales d’incinération de déchets émettent parfois plus de CO2 que les centrales à charbon, sans compter que cela encourage une production croissante de déchets ; ainsi que le souligne Mariel Vilella, directrice adjointe et chargée de la campagne climatique pour Zero Waste Europe : « Le dernier rapport sur le climat de Zero Waste Europe démontre que l’incinération contribue à aggraver le changement climatique plutôt qu’à le stopper »), la Suède dont les habitants ont une consommation d’énergie parmi les plus élevées du monde (« 4,96 tep/habitant en 2016, soit 2,7 fois la moyenne mondiale »), la Suède, dont « l’empreinte carbone moyenne par habitant est de 10 tonnes, ce qui est largement supérieur à la moyenne mondiale », sachant que « pour éviter un réchauffement supérieur à 2 degrés, ces émissions de gaz à effet de serre doivent être ramenées à 2 tonnes par personnes d’ici 2050 » (d’après une publication de début 2019 de l’Agence de protection de l’environnement suédoise elle-même), la Suède qui fait partie des « dix pays présentant l’empreinte écologique par habitant la plus forte » au monde, la Suède qui incarne tout particulièrement l’insoutenabilité de la société industrielle en tant que pays hautement consommateur de nouvelles technologies et ainsi producteur de déchets électroniques (qu’elle exporte parfois en Afrique, à l’instar de beaucoup de pays d’Europe), et aussi en tant que pays sous perfusion alimentaire, hautement dépendant du commerce mondialisé (la Suède importe 70% de ses fruits et légumes), la Suède se voit régulièrement présentée comme le parangon d’une soi-disant « transition écologique » (à grands renforts d’absurdités comptables, en plus de tout le reste), par exemple dans une vidéo réalisée par « Brut » (un média de masse exclusivement en ligne, créé par un ancien de Canal +, financé par Luc Besson, Xavier Niel, etc.), visionnée plus d’un million de fois en quelques jours.
Bien sûr, s’ils étaient contraints de dire la vérité, les médias devraient reconnaître que « les pays qui ont la plus faible empreinte écologique par personne sont parmi les États les moins développés de la planète : Érythrée, Timor-Leste, Burundi, Haïti et République démocratique du Congo ». On parlerait peut-être alors d’un « modèle érythréen », congolais ou haïtien. On se rendrait alors compte que le « développement » est très précisément le problème puisqu’il est synonyme de désastre écologique (et social, car les deux sont liés). Mais non, certainement pas. Prendre pour modèle un pays « sous-développé » rempli de sauvages Africains ?! Plutôt ériger en modèle un pays ultra-développé, à la pointe du développement techno-industriel de la civilisation.
Dans le même temps, une bonne partie de ceux qui se croient écologistes espère opiniâtrement que l’on (des chercheurs, scientifiques ou ingénieurs) trouvera une manière de produire de l’énergie véritablement « verte » et illimitée pour alimenter la civilisation industrielle. Comme si ses usages de l’énergie qu’elle obtient ne posaient pas problème, comme si le seul problème que nous connaissions actuellement, c’était le caractère pas très très écolo de la production énergétique de la société industrielle, comme si le principal objectif de l’écologisme, c’était de parvenir à alimenter l’Étoile de la Mort avec une énergie « verte », « renouvelable », « propre », « carboneutre » ou « éco-responsable ».
Il n’y a pas une seule industrie qui ne soit polluante, pas une seule qui ne nuise à l’environnement de quelque manière. La société techno-industrielle est intégralement nuisible, nocive. Et si l’on trouvait une source d’énergie véritablement « verte » et « renouvelable » (ce qui relève, selon toute logique, du mirage), ce serait bien plutôt une catastrophe qu’une bénédiction : cela permettrait à la machine de destruction planétaire (l’Étoile de la Mort) qu’est la civilisation techno-industrielle de continuer son travail, de continuer à faire ce qu’elle est conçue pour faire : détruire, polluer, dévorer, toujours plus.
Tous ces mensonges verts et toutes ces imbécillités faussement écologistes participent à la continuation du désastre socioécologique en cours. Nous devrions démanteler l’Étoile de la Mort, pas espérer qu’un jour elle carbure à l’énergie solaire (ou à l’hydrogène « vert »).
- Les technologies modernes sont un problème même si on veut en faire un bon usage
- Altérer et modifier le sens des mots, une des ruses de base du système en place
QUAND LA DÉCROISSANCE DEVIENT UN PLAIDOYER POUR UN AUTRE CAPITALISME INDUSTRIEL HAUTEMENT TECHNOLOGIQUE
Nouvel ouvrage sur la décroissance, nouvelle salve de simplismes et d’idioties alter-capitalistes et alter-industrielles. Je me contenterai d’en discuter un seul aspect (il fait trop chaud). Dans leur livre "The Future is Degrowth – A Guide to a World Beyond Capitalism" (« Le futur c’est la décroissance - Un guide pour un monde au-delà du capitalisme »), paru en juin 2022, et qui est d’ores et déjà encensé par nombre de magazines et de personnalités affiliées à la décroissance, Matthias Schmelzer, Aaron Vansintjan, et Andrea Vetter mentionnent tout un ensemble de critiques de « la croissance », dont une « critique de l’industrialisme », qu’ils font remonter aux luddites et/ou à « des écrits débutant dans les années 1970 » (on ne sait pas trop).
Cela étant, Schmelzer, Vansintjan et Vetter (S, V & V) semblent approuver les principaux constats de l’anti-industrialisme. Ils admettent, par exemple, que « la technologie n’est pas neutre » — à moins que seules « les technologies complexes » ne le soient pas ?! Sous un intertitre stipulant « La technologie n’est pas neutre », on lit en effet :
« Les technologies complexes ne sont pas neutres. Nous pouvons définir une technologie complexe comme une technologie dont le fonctionnement nécessite des chaînes d’approvisionnement mondiales, de vastes infrastructures, des hiérarchies sociales et une expertise hautement spécialisée. Celles-ci favorisent ou exigent des actions et des structures de pouvoir spécifiques au niveau de leur production ou de leur utilisation — une forme spécifique de société. Peu importe que ces technologies soient mises au service d’un système capitaliste ou socialiste — elles déploient une logique rationaliste-utilitaire qui leur est propre et qui ne peut être facilement démocratisée. Ce problème remonte à l’émergence de la science moderne comme base de la technologie d’aujourd’hui. »
Notez le « qui ne peut être facilement démocratisée ». Comme quoi, ces technologies complexes, qui nécessitent des hiérarchies sociales, qui ne sont pas neutres, pourraient, moyennant quelques difficultés, devenir démocratiques. Autrement dit, ces technologiques complexes qui ne sont pas « neutres », finalement, pourraient bien l’être. Dans un passage ultérieur, leur vision de la non-neutralité de la technologie se réduit encore :
« Enfin, on peut également craindre que certaines technologies complexes ne favorisent des relations hiérarchiques et non démocratiques au sein de la société dans son ensemble. »
En quelques pages, nous passons donc de « la technologie n’est pas neutre » à « les technologies complexes ne sont pas neutres » (vu qu’« une technologie complexe » est « une technologie dont le fonctionnement nécessite […] des hiérarchies sociales »), puis à « on peut également craindre que certaines technologies complexes ne favorisent des relations hiérarchiques ». Bon, très bien, « certaines » seulement. Lesquelles ?
« Par exemple, les centrales nucléaires, telles qu’elles existent aujourd’hui, dépendent d’un régime d’experts techniques pour leur gestion et, à terme, leur démantèlement. En l’absence d’une expertise suffisante en matière de démantèlement, de stockage des déchets nucléaires socialement acceptable et de nouvelles sources d’énergie, les centrales nucléaires devront continuer à fonctionner au-delà de leur durée de vie prévue, comme c’est le cas aujourd’hui dans de nombreux pays occidentaux. De plus, la protection des actifs nucléaires et la gestion des déchets nécessitent une forte intervention militaire, ainsi que de grandes infrastructures pour les contenir — qui doivent ensuite demeurer inaccessibles au public pendant des millénaires. […] Ainsi, pour savoir si une certaine technologie énergétique est souhaitable, il ne s’agit pas seulement d’évaluer sa capacité technique à fournir une énergie fiable, mais de se demander si une telle division hiérarchique du travail, de l’expertise, de la gestion et de la sécurité est compatible avec une société démocratique, et dans quelle mesure un tel système énergétique restructure nécessairement la société vers des systèmes sociaux plus aliénés, autoritaires, militarisés et hautement centralisés. »
Pour nos experts décroissants, on a donc l’impression que la seule technologie complexe « favorisant » des relations hiérarchiques, c’est le nucléaire.
Plus loin, ils ajoutent que « la décroissance doit viser à démocratiser et à surmonter ces monopoles radicaux ancrés dans les forces productives de la société capitaliste », et à « limiter l’utilisation des technologies qui font obstacle à une bonne vie pour tous ». Ainsi, « l’objectif d’une société de décroissance doit être de dépasser l’industrialisme pour aller vers une société post-industrielle qui aspire à un type de technologie fondamentalement différent, ce qui implique une transformation profonde et une démocratisation des moyens de production et des infrastructures matérielles telles que les réseaux électriques, les voies de transport et les technologies de communication ».
D’un côté, il s’agit de concevoir « un type de technologie fondamentalement différent », de l’autre il s’agit plutôt de « démocratiser » les « moyens de production et des infrastructures matérielles telles que les réseaux électriques, les voies de transport et les technologies de communication » existant actuellement. Allez comprendre.
En vérité, malgré des formules prétentieuses aux accents radicaux ( « transformation profonde », « fondamentalement différent », etc.), pour S, V & V, l’essentiel des technologies modernes semble « démocratisable » — et donc, in fine, neutre. Cependant que d’un côté, ils font mine de convenir, avec les anti-industriels, que la technologie n’est pas neutre, de l’autre, ils avancent l’inverse.
« Dans une perspective décroissante, le fait de remettre la technologie moderne entre les mains des gens doit s’accompagner d’efforts pour développer des technologies différentes, non autoritaires. En effet, la critique de l’industrialisme et de la technologie, avec la critique féministe, est le courant de la critique de la décroissance qui s’oppose le plus résolument aux projets post-capitalistes (potentiels) qui préconisent sans critique l’accélération de l’innovation technologique — qu’il s’agisse des propositions technocentriques du Green New Deal, du post-capitalisme numérique ou de l’accélérationnisme. Car une technique non aliénante et non exploitante exigerait que la structure des moyens de production, tels qu’ils se sont développés sous le capitalisme et les États bureaucratiques et au sein des sociétés hiérarchisées, soit aussi fondamentalement transformée. La croissance économique n’est pas progressive, pas même à cet égard. Une correction de la distribution de la production, ou même une organisation complètement différente de la propriété de la production, n’est pas suffisante. La prise de conscience du fait que la technologie, l’infrastructure et les installations de production doivent non seulement être réappropriées, mais aussi transformées et (partiellement) liquidées est au cœur de la décroissance. »
Se réapproprier « l’infrastructure et les installations de production » (mais aussi en transformer une partie et en « liquider » une autre). Un peu tout donc. Oui, non, blanc, noir, peut-être, jour, nuit, au revoir. Démocratiser des technologies intrinsèquement autoritaires (ou plus ou moins, ou peut-être, ou on ne sait pas) tout en en concevant des non-autoritaires. Vous noterez le « (partiellement) » soigneusement placé entre parenthèses. S, V & V font partie de ces décroissants (partiellement) hostiles à la civilisation industrielle, (partiellement) hostiles au capitalisme, (partiellement) en faveur de la liberté et de la nature, (partiellement) rigoureux, (partiellement) cohérents.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas exagérer : « la critique de l’industrialisme et de la technologie devient problématique lorsque le progrès technologique et la division du travail sont entièrement rejetés et leurs avantages niés ». Nos camarades décroissants nous mettent ainsi en gardent contre le « pessimisme technophobique », par quoi ils semblent désigner une assimilation confuse de deux positions : la technophobie peut désigner le rejet de toute technologie, c’est-à-dire jusqu’au morceau de silex ; mais elle peut aussi désigner la critique d’un certain ensemble de technologies, à savoir des technologies modernes, complexes.
En somme, S, V & V font mine de s’accorder avec l’anti-industrialisme tout en se prononçant contre un anti-industrialisme conséquent, contre l’anti-industrialisme. Oui, la technologie n’est pas neutre, enfin les technologies complexes, enfin certaines technologies complexes, enfin le nucléaire, parce que toutes les autres technologies sont à démocratiser — il s’agit simplement de les « remettre entre les mains des gens », et pouf ! Le tour est joué.
En réalité, personne ne s’est jamais déclaré hostile envers toute forme de technologie. L’idée n’a pas vraiment de sens. Mais des anti-industriels se sont déclarés hostiles envers un certain type de technologie. Lewis Mumford distinguait techniques autoritaires et techniques démocratiques (tout en se prononçant étrangement pour un mélange des deux, comme nos auteurs décroissants). Theodore Kaczynski discernait pareillement deux types de technologies, les technologies systémiques et les technologies cloisonnées, d’autres opposaient technologies dures et technologies douces, etc.
Le fait est, effectivement, qu’aucune technologie n’est neutre. Toute technologie possède des implications sociales et matérielles. Quels matériaux sont requis pour sa fabrication ? D’autres technologies, d’autres machines, d’autres infrastructures, sont-elles également requises pour sa fabrication ? Si oui, quels matériaux sont requis pour leur fabrication à elles ? Etc. Et quels savoir-faire ? Ces savoir-faire sont-ils productibles démocratiquement ? (Sans besoin d’un vaste État, d’un système scolaire, etc.). Et quel type d’organisation sociale ? Quel type de division/spécialisation du travail (compatible avec une véritable démocratie, ou non ?) ? Sur le plan des usages, quels sont les effets sociaux de cette technologie ? Etc.
En se posant ces questions avec un minimum d’honnêteté, on arrive à la conclusion que tout un ensemble de technologies — parmi lesquelles toutes les technologies modernes, toutes les hautes technologies, toutes les technologies qu’on pourrait dire « de civilisation » comme on parle de « maladies de civilisation » — est structurellement incompatible avec la démocratie, avec la liberté humaine. C’est donc au nom de l’émancipation humaine, de la liberté, d’une démocratie digne de ce nom, que des anti-industriels, des anti-technologistes, des anarchistes naturiens et autres néo-luddites s’opposent à cet ensemble de technologies. Assimiler une telle critique, cohérente (au contraire de la leur), de la technologie, une telle opposition à la technologie, à une forme de « phobie », relève du mensonge et de la diffamation la plus stupide.
Plus loin dans leur ouvrage, S, V & V s’appuient sur le concept flou (pour ne pas dire foireux) de « l’outil convivial » d’Ivan Illich. Pour Illich, tout était possiblement « convivial » : la télévision, le téléphone, le « système des postes » ou « les transports fluviaux en Indochine ». Il s’agissait simplement de ne pas dépasser quelque « seuil » mystérieux :
« L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir ; on peut le prendre ou non. Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité.
Certaines institutions sont, structurellement, des outils conviviaux et ce, indépendamment de leur niveau technologique. Le téléphone en est un exemple. À la seule condition de pouvoir acheter un jeton, chacun peut appeler le correspondant de son choix, pour lui dire ce qu’il veut : les dernières informations boursières, des injures ou des paroles d’amour. Aucun bureaucrate ne pourra fixer d’avance le contenu d’une communication ; tout au plus, pourra-t-il en violer le secret ou au contraire le protéger. »
On peut, dans ce dernier paragraphe, remplacer « téléphone » par « électricité nucléaire » ou par plus ou moins n’importe quoi, ça fonctionne tout autant (« à la seule condition de pouvoir se payer de l’électricité nucléaire, chacun peut l’utiliser pour faire ce que bon lui semble : faire fonctionner une voiture électrique, un téléviseur, une tronçonneuse électrique. Aucun bureaucrate ne pourra fixer d’avance l’usage de l’électricité nucléaire. »). En considérant le téléphone isolément, isolément de la manière dont le réseau a été construit, isolément de tout ce qu’impliquait (de tout ce qu’implique) sa conception, sa construction et son existence, Illich pouvait bien prétendre ce qu’il voulait.
& donc, en s’appuyant sur cette formidable notion de la convivialité, S, V & V affirment :
« Parmi les exemples d’espaces qui encouragent aujourd’hui le développement de la technologie conviviale, on peut citer les bibliothèques de prêt d’outils, les cafés de réparation, les espaces de bricolage et certains hackers spaces, maker spaces ou fab labs à vocation écologique et non commerciale.
Le concept de technologie conviviale comprend cinq valeurs centrales pour le développement technologique dans le sens d’une perspective de décroissance : la connectivité, l’accessibilité, l’adaptabilité, la bio-interaction et l’adéquation. La connectivité demande de quelle manière une technologie façonne les relations entre les personnes, tant au niveau de sa production que de son utilisation ou de son infrastructure. La majorité des équipements techniques utilisés aujourd’hui, par exemple, contiennent des éléments métalliques qui sont principalement extraits dans des conditions d’exploitation dans le Sud économique. Dans une perspective de décroissance, il s’agit de développer et de promouvoir des technologies produites dans des conditions équitables, dont les infrastructures qui sont nécessaires à leur fonctionnement ne détruisent pas les communautés locales, et qui sont organisées sur une base décentralisée et égalitaire.
L’accessibilité demande où, par qui et dans quelles circonstances une technologie peut être (en général) développée et utilisée. Dans la perspective de la décroissance, cela signifie, entre autres, promouvoir l’alphabétisation technologique des femmes en particulier, placer les technologies financées par les pouvoirs publics sous des licences libres et ne pas empêcher le développement technologique par des brevets motivés par le profit. L’adaptabilité concerne la mesure dans laquelle une technique peut être utilisée indépendamment, la facilité avec laquelle elle peut être étendue et couplée à d’autres techniques, et la manière dont cela peut être facilité par la normalisation des composants de base. Dans une perspective de décroissance, cela encourage l’allongement des périodes de garantie et la garantie de réparation, ainsi que le contrôle de ses propres données dans l’espace numérique, puisque les internautes pourraient alors sauvegarder les informations qu’ils partagent sur différentes plateformes. La bio-interaction désigne l’interaction avec le monde vivant : Quels sont les effets d’une technologie sur les organismes vivants, qu’il s’agisse d’humains, d’animaux ou de plantes, ainsi que sur des écosystèmes entiers ? Les penseurs de la décroissance demandent que les technologies soient prises en compte sur l’ensemble de leur cycle de vie, de l’acquisition des ressources à leur élimination, et que le principe de précaution soit appliqué lors de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des nouvelles technologies. Ces technologies visent à réaliser une économie en circuit fermé aussi complète que possible, dans laquelle toutes les matières premières industrielles sont entièrement recyclées et toutes les matières premières dégradables sont réintroduites dans le cycle écologique. La cinquième dimension de la technologie conviviale, l’adéquation, consiste à évaluer si une certaine technologie est appropriée pour l’accomplissement d’une tâche donnée. Dans une société de décroissance, les technologies doivent maintenir une relation significative entre l’apport en temps et en ressources matérielles et ce qui doit être réalisé. Cela signifie, par exemple, qu’il faut se déplacer dans une ville largement dépourvue de voitures grâce aux transports publics, aux bicyclettes (cargo) et à pied — ce qui permet d’être plus rapide, de produire moins d’émissions et de préserver davantage de ressources. »
S’ils étaient honnêtes, S, V & V devraient parvenir à la conclusion selon laquelle toutes les technologies modernes ne sont pas « conviviales ». Mais non. Pourtant, si toutes les implications sociales et matérielles du développement (qu’ils appellent de leurs vœux) d’une « infrastructure massive (de panneaux solaires, d’éoliennes, d’usines de bioénergie, de turbines marémotrices et, surtout, de technologies permettant de stocker cette énergie, comme les batteries) » étaient prises en compte, il apparaîtrait clairement que ses impacts écologiques sont désastreux, et que socialement, il implique la perpétuation de hiérarchies sociales. S, V & V semblent par ailleurs oublier ou ignorer que toutes les industries existantes sont lourdement destructrices sur le plan écologique.
C’est ainsi qu’ils promeuvent une utopie urbaine, technologique et industrielle, avec « des villes dotées d’une abondance de ressources publiques performantes, fiables et luxueuses auxquelles chacun aurait accès gratuitement et que chacun pourrait utiliser collectivement — des transports publics (dans les rues libérées des voitures privées) aux connexions internet rapides et aux cinémas communautaires ». C’est ainsi qu’ils vantent « les possibilités objectives découlant d’une prospective sur les communs numériques » et qu’ils se demandent « comment les nouveaux outils numériques peuvent aider à soutenir la planification démocratique et la prise de décision décentralisée — et donc comment ils peuvent contribuer à démocratiser les activités économiques ».
*
(En effet, n’étant pas à une absurdité près, à une contradiction près, S, V & V promeuvent aussi l’oxymore d’une « planification démocratique ».)
BREF. Une nouvelle illustration de la malhonnêteté, de la confusion et de la naïveté d’un certain pan de la décroissance (il y aurait bien plus à dire, par exemple sur leur réduction du capitalisme à « une société mue par l’accumulation », qui les amène à produire une critique tronquée du capitalisme, à promouvoir une sorte de capitalisme équitable, avec plein emploi pour tous et toutes). La civilisation techno-industrielle « conviviale » qu’ils appellent de leurs vœux n’existe pas. Elle n’adviendra jamais. (C’est-à-dire que même dans l’hypothèse farfelue où elle adviendrait, elle ne serait ni écologique ni démocratique (ni « conviviale »).)
Celles et ceux qui se préoccupent de la nature, de la liberté et de l’égalité devraient plaider en faveur du démantèlement intégral de la civilisation industrielle, du retour à des petites sociétés à taille humaine, rudimentaires sur le plan technologique (pour faire schématique). Mais malheureusement, pour un certain nombre de raisons, dont plusieurs devraient être évidentes, une telle perspective n’a presque aucune chance, dans la situation présente (telle qu’elle est et telle qu’elle évolue), d’être portée par un nombre significatif d’individus. (L’absence de discussion sérieuse des forces en présence, de la volonté de puissance qui anime le capitalisme industriel, la civilisation, constitue d’ailleurs une des nombreuses lacunes du livre ici discuté, qui se contente de proposer un programme idéal absurde (incohérent sur le plan social comme sur le plan écologique), et donc indésirable, et n’ayant, en outre, strictement aucune chance d’être un minimum implémenté (même à la faveur de quelque « prochain cycle contre-hégémonique » à venir, dans lequel S, V & V semblent placer tous leurs espoirs).)
Selon toute probabilité, la civilisation techno-industrielle continuera, inexorablement, de tout détruire, y compris les rapports humains. Et nul doute que tout au long de l’empirement du désastre, nous aurons droit à bien d’autres plaidoyers en ce genre, proclamant qu’une autre manière de gérer les technologies modernes est possible, qu’internet, la high-tech en général et la démocratie peuvent très bien faire bon ménage, qu’il ne faut pas rejeter en bloc la modernité technologique, qu’il est possible de la démocratiser, etc. On n’attendait simplement pas telles niaiseries de la part de soi-disant « décroissants ».
Article complet : Les fantasmes absurdes d’une certaine « décroissance » (par Nicolas Casaux)
NON, UN AUTRE INTERNET, LIBRE ET DÉMOCRATIQUE, N’EST PAS POSSIBLE.
NON, LE PROBLÈME DE LA TECHNOLOGIE, C’EST PAS JUSTE « CE QU’ON EN FAIT » OU « COMMENT ON L’UTILISE »
Religion moderne la plus répandue, la technologie s’avère difficilement critiquable. Ses adeptes sont capables de tout pour la défendre — mauvaise foi, aveuglement plus ou moins volontaire, mensonges, omissions, injures, violences.
À gauche, un courant de défense de l’informatique, dit « libriste » parce qu’il défend notamment le principe du « logiciel libre », l’illustre tout particulièrement. Les libristes semblent croire qu’un autre numérique, une autre informatique est possible, qui favorise la liberté, la démocratie, l’égalité, etc. Un peu à la manière dont ce type, l’autre jour, est venu prétendre, sous une de mes publications au sujet de la technologie, que je me trompais totalement, en s’appuyant sur l’exemple d’internet pour soutenir quelque chose de l’ordre de « la technologie est neutre, le problème, c’est juste la manière dont on l’utilise, c’est juste ce qu’on en fait ».
Malheureusement, il en va d’internet comme de tous les outils, comme de toutes les technologies. Ce que mon objecteur occulte tranquillement, ce sont les conditions d’existence de l’internet, c’est la manière dont sont produits tous les appareils (ordinateurs, écrans, souris, claviers, disques durs, etc.) et toutes les infrastructures (câbles, lignes électriques, centrales électriques, etc.) permettant l’existence du réseau internet.
C’est toujours la même chose. Le plus souvent, celui qui se retrouve (machinalement) à défendre l’idée selon laquelle la technologie serait « neutre », selon laquelle tout ce qui compte c’est « comment on l’utilise » ou « ce qu’on en fait », occulte totalement la question de savoir comment ladite technologie est produite. La question de la production ou des conditions d’existence occultée, notre défenseur de la « neutralité » de la technologie peut alors se permettre de tout faire dépendre du « bon ou mauvais usage » qu’« on » peut en faire.
En réalité, impossible d’avoir internet sans une civilisation industrielle tout entière, c’est-à-dire sans États, sans le capitalisme, sans une constellation d’industries (minières, manufacturières, énergétiques, des transports, de la construction, etc.), sans une vaste division et spécialisation hiérarchique du travail, etc.
(Et même en occultant la question majeure, fondamentale, de la production de l’outil ou de la technologie, le fait que ledit outil ou ladite technologie se prête à différents usages potentiels — dans un cadre sociopolitique en partie déterminé par ses conditions d’existence, de production — n’implique aucune « neutralité », mais tout au plus une certaine « polyvalence ».)
Pour les raisons qui précèdent, le principe du « logiciel libre » permet peut-être de dégager de micro-espaces de pseudo-liberté dans un océan de servitudes, de contraintes, de dépossessions et de destructions environnementales, mais il n’a aucune chance de favoriser l’avènement d’une société industrielle (ou juste d’un secteur numérique ou informatique) réellement « libre ».
Chers « libristes », vous craquez.
(posts de Nicolas Casaux)