Peu soutenus, et allant à l’encontre des habitudes et mentalités capitalistes et propriétaires, les projets de coopératives d’habitants restent dépendants du bon vouloir des municipalités et de leur agenda politique.
En Europe, dans d’autres pays, ce type de logements coopératifs existent et se développent depuis longtemps. (En Suisse, 5% du parc immobilier serait construit sur le mode de l’habitat participatif, 15% en Norvège, 6% en Allemagne…)
En France vous n’avez le choix qu’entre les HLM (souvent saturés), la propriété privée, les locations dans le privé chères et les rares projets (souvent coûteux) d’autres types d’habitats participatifs.
La coopérative d’habitation était courante en France jusque dans les années 70 où elles ont été interdites (la loi du 16 juillet 1971, dite loi Chalandon, a interdit la location coopérative.)
Les lourdeurs administratives et financières peuvent rendre ce type de projet trop "institutionnalisés", avec peu de marges de libertés.
Mais si la propriété d’usage était la norme, il serait plus facile et moins cher de se loger, dans des logements de meilleure qualité globale.
Les coopératives d’habitants, un modèle révolutionnaire qui peine à essaimer - Créées officiellement il y a dix ans, les coopératives d’habitants peinent à se démocratiser en France. Les banques et les collectivités locales sont souvent réticentes à aider ces structures non spéculatives.
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Côté pile, leur redevance mensuelle — une sorte de loyer permettant de couvrir les charges et l’emprunt collectif — n’a quasiment pas augmenté en dix ans, tandis que le marché immobilier local s’envolait. Côté face : si un jour Grégory part, il récupérera ses parts sociales sans faire de plus-value. Telle est la règle — et l’objectif — de la coopérative d’habitants : créer du logement non spéculatif.
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Il n’y a pourtant pas de fatalité : en Suisse, le modèle cartonne. Le seul canton de Genève compte désormais 128 coopératives, qui regroupent 12 000 logements. Alors, pourquoi un tel blocage dans l’Hexagone ?
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« Clairement, notre plus gros ennemi, c’est la culture française de la propriété privée, soupire Christiane Châteauvieux. On a été biberonnés au rêve de la petite maison avec jardin, avec cette idée qu’on achète un premier logement, qu’on revend pour acheter plus grand. » La coopérative d’habitants s’inscrit ainsi en contre-pied de cette idéologie capitaliste.
« Il s’agit d’affirmer que le logement n’est pas un patrimoine, ni un bien lucratif, c’est un droit d’usage, dit Alia El Gaied, qui accompagne ces projets alternatifs avec l’Atelier des coopératives d’habitants. La valeur du logement n’est pas fixée par le marché, elle correspond juste à ce qu’on a mis pour le produire. »
Fournir des logements accessibles et durables en les déconnectant du marché de l’immobilier : le principe semble frappé au coin du bon sens. Mais « ça va tellement à l’encontre de la manière dont fonctionnent notre économie et notre société que ça ne peut pas se développer à grande vitesse », estime Alia El Gaied.
Prenez les banques, qui « fonctionnent autour de la spéculation, de la rentabilité économique, illustre-t-elle. On vient leur dire qu’on ne fera pas de bénéfices, qu’on vise juste de rester à l’équilibre... Beaucoup ne comprennent pas ». Même malentendu du côté des assurances, des entreprises du BTP ou des collectivités. « Tout ça crée une lourdeur et un frein énorme », résume l’experte.
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Pour réduire le prix, il faut avoir accès à des terrains abordables, construire des bâtiments bien isolés, peu énergivores et avoir accès à des prêts bancaires de longue durée. »
Un immense défi, que seul un soutien appuyé des collectivités peut permettre de relever. Christiane Châteauvieux faisait partie d’une coopérative grenobloise, qui a bataillé pendant des années pour obtenir un bail emphytéotique (de longue durée) sur un terrain de la ville. En vain. « On a compris, entre les lignes, que les élus craignaient un “tsunami” de coopératives s’ils nous soutenaient, raconte-t-elle, déçue. L’élu à l’habitat nous a aussi dit que "ce n’était pas leur projet" : en effet, c’était la municipalité précédente qui l’avait retenu. On a fini par jeter l’éponge. »
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À l’inverse, la plupart des projets qui parviennent à sortir de terre ont été aidés par des municipalités ou secondés par des bailleurs sociaux, comme ce fut le cas au Village vertical de Villeurbanne. « Sans soutien politique, on se retrouve en concurrence avec des promoteurs qui n’ont pas les mêmes leviers et arguments financiers que nous »
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Obtenir des prêts sur cinquante ans, avoir un accès privilégié à des terrains abordables (via des baux emphytéotiques ou solidaires)… Autant de leviers qui auraient pu être instaurés par la loi Alur. Mais, faute de décrets d’application, « certains outils financiers, qui auraient facilité la vie des coopératives, n’ont pas été créés », déplore Valérie Morel. En clair : l’exécutif socialiste s’est arrêté au milieu du gué, laissant nombre d’initiatives le bec dans l’eau.
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« Dans une société ultra-individualiste, parler et expérimenter la coopération, c’est un vrai enjeu, approuve Alia El Gaied. Ce n’est pas tous les jours simple. » Pour elle, la coopérative est ainsi « bien plus qu’un montage juridique » : « C’est une philosophie du début jusqu’à la fin. C’est l’idée de s’organiser ensemble pour créer les conditions de notre émancipation, dans une perspective de transformation sociale. »