A l’attention des personnes qui s’imaginent que Le Pen et le RN c’est moins pire que Macron et LREM, qui pensent que Le Pen va les protéger du capitalisme mondialisé et financiarisé via un capitalisme « national », qui croient que son « souverainisme » franco-français va pouvoir contrecarrer les logiques implacables inhérentes à l’économie de marché, que son parlé « populaire » va effacer son imbrication dans la bourgeoisie et sa connivence avec des dictateurs sans pitié tels que Poutine, qui pensent que cibler des boucs émissaires et valoriser les « franco-français » va enrayer les mécanismes du pouvoir capitaliste, de la marchandisation, de la concurrence, de la destruction du vivant et du dérèglement climatique, qui pensent que le RN n’est pas raciste.
- Le RN de Le Pen n’est pas moins pire que Macron et LREM
- Quelques rappels sur les enfumages du « souverainisme anti-mondialisme financiarisé »
2017 : LES TABLEAUX DE MARINE LE PEN
A l’heure de l’information instantanée vite oubliée, un petit souvenir de la précédente campagne présidentielle. A l’époque, la candidate du Front national recevait dans son QG une militante russe d’extrême droite : Maria Katasonova. Fanatique de Poutine, elle était aussi fondatrice du mouvement russe « Les femmes avec Marine ». Son but affiché ? Glorifier les forces autoritaires de différents pays.
C’est dans ce but qu’elle est venue offrir un triptyque dans le local du Front National : trois tableaux d’un goût douteux, représentant Poutine, Trump et Marine Le Pen. Très enthousiaste, Marine Le pen déclarait dans les médias : « les grandes lignes politiques que je défends sont les grandes lignes qui sont défendues par Trump, Poutine ». A l’époque, il n’y avait pas encore eu d’invasion militaire de l’Ukraine, mais Poutine avait déjà écrasé son propre peuple, fait taire toute opposition, assassiné des journalistes, persécuté les minorités, mené une guerre sanglante en Tchétchénie ... Les liens du FN avec le Kremlin ne s’arrêtent pas là : le FN aurait perçu des prêts de banques russes, notamment.
La candidate d’extrême droite n’a pas fait campagne en 2022. Comme Macron, elle n’a pas organisé de meeting, pas de débat, elle est apparue le moins possible. Un comble : les deux candidats donnés en tête des sondages sont ceux qui n’ont pas fait campagne. Macron et Le Pen sont des candidats du système, les médias ont fait campagne pour eux. Le scénario est écrit et organisé depuis des années. Fonctionnera-t-il ? Les médias arriveront-ils à imposer le duo dont personne ne veut vraiment ?
Cette année, rappelons nous de ces tableaux, et de ces déclarations. Le clan Le Pen au pouvoir, c’est un régime nationaliste, autoritaire et militariste comme Trump et Poutine. C’est le désastre écologique assuré. C’est un état policier total, à l’image de la Russie, et des milices d’extrême droite en roue libre, à l’image des USA de Trump. Ce serait, comme sous Macron, un régime qui soutient les ultra-riches et écrase les pauvres. Et à la différence de la Russie et des USA : la France est un petit pays centralisé avec un régime politique quasiment monarchique, sous état d’urgence permanent.
(post de Nantes Révoltée)
Sur l’impasse du souverainisme
Le piège du souverainisme dans la débâcle grecque
extrait :
La baguette magique du souverainisme cache en réalité un sceptre
Et la sortie de l’euro ? Ce moyen, parmi d’autres, n’est en rien l’apanage des uns ou des autres. Il n’y a aucun brevet « sortie de l’euro » déposé à l’INPI. Et rien ne prouve qu’un parti se proclamant souverainiste serait plus à même de l’organiser, surtout au vu de l’expérience grecque. En réalité, la sortie de l’euro n’est qu’un outil dans une boite à outils qui en compte des dizaines. Et l’utilisation des uns n’empêche pas celle des autres. Pendant que le souverainisme ressasse, comme un disque rayé, la solution magique de la sortie de l’euro, la vraie gauche et les mouvements révolutionnaires projettent bien au-delà d’innombrables formes d’actions qui caractérisent leurs analyses respectives et objectifs politiques. Et rien ne doit être laissé au hasard. Les rapports de classes et de dominations ne s’effaceront pas au prétexte de l’unité nationale et du pouvoir plein et entier d’élus bonhommes et repus chantant la Marseillaise devant une foule émue. Car la baguette magique du souverainisme cache en réalité un sceptre et le pouvoir ne sert que le pouvoir.
Nous unir, classe contre classe, par-delà les frontières
Sortir de la zone euro pour sortir de la zone euro ne suffit pas. Crier au loup venu d’ailleurs pour détourner les brebis nationales de la menace des loups nationaux est une vieille recette éculée. Une ficelle, un piège, une potence. C’est lutter contre tous nos prédateurs qui est nécessaire, urgent, vital. C’est nous unir, classe contre classe, par-delà les frontières. C’est, au moins, nous mettre en synergie, attentifs et solidaires, face à l’internationale du capitalisme triomphant. C’est nous rappeler le chemin parcouru, pour en comprendre les échecs et redécouvrir les rêves de celles et ceux qui nous ont précédé, il y a un siècle-et-demi. C’est ouvrir de nouvelles perspectives, décoloniser l’imaginaire, inventer des chemins de traverses, oser au-delà de ce qui paraît possible et, en aucun cas, se replier sur soi.
(....)
Remarques persos sur le souverainisme :
Le RN de Le Pen étant comme les autres partis de droite adepte du capitalisme, il est également soumis ses lois implacables, lesquelles poussent inévitablement à la financiarisation et à la mondialisation des échanges, à la concurrence forcenée, à la quête de la main d’oeuvre la moins chère et aux délocalisations à l’étranger. Avec la clef : précarité, chômage, inflation, catastrophes écologiques, et ...guerres.
Le RN est donc, comme les autres, totalement incapable de générer un soi-disant "capitalisme national" qui serait plus protecteur. Et la renationalisation est contraire aux principes capitalistes, qui s’y opposeront.
Les gesticulations lepenistes sur l’euro, la finance, les immigrés "voleurs de travail" ou l’Europe masquent une connivence complète avec le capitalisme, et donc une impuissance complète à protéger les populations et les travailleurs de la prédation antisociale et antiécologique du libre marché.
Les patrons "nationaux" (voir ci-dessous sur le MEDEF) sont tout aussi voraces et prédateurs que les actionnaires des multinationales françaises ou étrangères.
Dans le cadre étatisé et capitaliste, le souverainisme est impossible, et même s’il pouvait exister, il ne mènerait qu’à des changements très superficiels.
De plus, le replis sur des frontières, la fermeture aux autres cultures, augmentent les risques de guerre et de paranonïa.
A gauche, certains s’enlisent aussi dans une forme de souverainisme, encore une manière de susciter de faux espoirs et de s’enliser au lieu de s’attaquer aux vrais problèmes.
C’est l’internationalisme (pas le mondialisme ni le souverainisme ni la mondialisation capitaliste) qui peut nous sortir de ces impasses, avec, en plus de la sortie du capitalisme et du règne totalitaire de l’Economie (et donc aussi s’émanciper de l’Etat), à la fois une vraie vie collective implantée dans des lieux et une ouverture aux autres (voir le livre de Jérôme Baschet). Des liens de coopération et d’émancipation par l’autonomie et par la fin de la domination des classes dominantes, des liens fraternels entre les peuples du monde plutôt qu’un repli exluant sur des particularités locales exacerbées.
Les partis de droite appliquent le programme du MEDEF, des patrons et du capitalisme
Contrairement aux discours des médias et des candidats, les partis politiques de droite (PS, RN, LREM, LR, Reconquête) n’appliquent pas leur programme, quel qu’il soit, une fois élus ils appliquent souvent le programme du MEDEF (syndicat des patrons).
On a lu le programme du MEDEF : le patronat veut nous faire morfler
Il est intéressant d’analyser les propositions programmatiques du Medef, car elles sont souvent plus fiables que les programmes politiques des candidats élus à l’élection présidentielle pour savoir à quelle sauce les travailleurs vont être mangés. Par exemple, en 2012, le programme de François Hollande prévoyait notamment la proposition suivante : « Pour dissuader les licenciements boursiers, nous renchérirons le coût des licenciements collectifs pour les entreprises qui versent des dividendes ou rachètent leurs actions. ». Le positionnement du Medef était bien sûr tout autre et exigeait une facilitation des licenciements économiques. L’une des premières grandes lois de François Hollande fut la Loi de Sécurisation de l’emploi qui alla totalement dans le sens du Medef. Suivirent ensuite la loi Rebsamen, les deux lois Macron et la loi El Khomri pour enfoncer le clou, en opposition totale à ce qu’énonçait le programme de l’auto-proclamé ennemi de la finance.
En 2017, pas un mot dans le programme de Macron au sujet des comités d’entreprise. À peine élu, il les liquida par ordonnance, suivant ainsi les demandes du Medef, qui dans son programme de l’époque demandait clairement le regroupement de toutes les instances représentatives du personnel en un seul conseil, le fameux Comité Social et Économique (CSE) créé par Macron en 2017.
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Sur le chômage, la réforme désastreuse de fin 2021 ne suffit pas au Medef, car « les comparaisons internationales montrent que l’indemnisation du chômage reste, après cette réforme, plus élevée que chez nos voisins ».
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Le Medef, voilà l’ennemi. Nos dirigeants ne font qu’appliquer, petit à petit, son programme depuis des décennies, quelles que soient les alternances au pouvoir. L’espoir qu’on peut former pour les mobilisations à venir, c’est qu’elles ne se limitent pas à la sphère institutionnelle, c’est-à-dire à des revendications concernant la démocratie représentative et les élus, mais qu’elles prennent vie également au cœur même de l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire les entreprises.
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Même Le Monde le dit (...pour l’approuver) :
Election présidentielle 2022 : comment le lobby des grandes entreprises a influencé les programmes des candidats - Baisse des impôts de production, refonte des lycées professionnels, pouvoir d’achat… Les promesses des prétendants à l’Elysée ont pour certaines été fortement colorées par les organisations patronales.
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Le Medef et la Confédération des petites et moyennes entreprises, mais aussi les très grandes entreprises, réunies dans l’Association française des entreprises privées (AFEP), organisation plus discrète et moins connue du grand public, mais très influente dans la sphère publique : tous ont joué un rôle dans la fabrication et l’évolution des programmes des candidats en matière économique.
Remarques persos :
Les gouvernements sont tous entre les mains de l’Etat et du capitalisme, et donc inféodés au productivisme et à la quête de puissance, et vu qu’ils ne veulent pas lancer une insurrection générale contre le capitalisme (et encore moins contre l’Etat), ils se retrouvent obligés de se soumettre aux impératifs du capitalisme, et donc aux desiratas du MEDEF.
C’est flagrant pour les partis de droite et d’extrême droite, mais même la gauche "de gouvernement" (France Insoumise, EELV, PCF) s’empêtre dans les mêmes problèmes vu qu’elle ne remet en cause ni l’Etat ni vraiment le capitalisme.
Néanmoins la gauche a quelques vraies préoccupations sociales et quelques bases anticapitalistes, à nous de la déborder et de la pousser nettement plus loin.
La foi dans le solutionnisme par les partis et les élections est une impasse, mais elle entraîne davantage d’adhésions que les luttes radicales pour l’auto-organisation, l’autonomie, la subsistance et la démocratie directe.
Cette foi amène à se décharger vers des experts, technocrates, politiciens, partis, capitalistes de la prise en charge personnelle et collective de la subsistance et de la vie politique concrète.
C’est la persistance irrationnelle de cette foi qui favorise l’émergence de "grands chefs" autoritaires et la continuation de ce système inchangé qui opprime et ravage.
Pour se venger et se rebeller utilement
Si on veut se venger utilement et se dépétrer des atrocités que nous font subir l’Etat et le capitalisme, il y a bien mieux à faire que de voter pour les faux "anti-systèmes" Le Pen / Zemmour ou pour les autres autoritaires Macron/Pécresse.
Le vote Le Pen ce n’est qu’un fantasme de vengeance, un boomerang truqué qu’on se prend dans la gueule, la vraie vengeance sociale est ailleurs.
Ce n’est pas avec Le Pen qu’on pourrait se libérer un temps soit peu des patrons, de l’exploitation salariale mondialisée ou nationale, des ultra-riches, des oligarques, de la finance inhérente au capitalisme (national ou mondial, c’est la même merde), des technocrates, du totalitarisme bureaucratique, des mécanismes destructeurs de l’écononomie de marché, des désastres climatiques et écologiques, au contraire, le RN aggraverait ces problèmes.
Si on veut se venger et faire chuter ce qui nous opprime, il ne s’agit pas de donner un bulletin à l’extrême droite et de taper sur plus miséreux que nous, il s’agit plutôt de la grève générale, d’insurrections pour l’émancipation sociale et l’écologie populaire radicale, des blocages et manifs sauvages partout, d’une gilet jaunisation des luttes, d’offensives radicales contre les bases et infrastructure du capitalisme et contre la centralisation étatique forcément autoritaire.
Bien sûr c’est nettement plus difficile que de faire campagne et de glisser un bout de papier dans une urne, mais pas le choix.
Si la droite (Macron, Pécresse, Zemmour, Le Pen) est au pouvoir, on sait donc que tout ne peut qu’empirer.
Si la gauche actuelle "réussissait", elle imposerait sans doute une répartition des richesses et un certain pouvoir de décisions en faveur des travailleurs et de la population "de base", ce qui améliorerait leur sort, mais à quel prix ?
L’Etat et le capitalisme étant toujours là, le productivisme et l’extractivisme pour alimenter la puissance et l’Argent seraient toujours en vigueur, avec les désastres écologiques et sociaux qui vont avec, les spoliations, l’exploitation d’autres peuples ailleurs pour alimenter la machine industrielle ici.
L’Etat a besoin du productivisme (qu’il soit purement capitaliste ou géré directement par l’Etat), et le capitalisme a besoin de l’Etat, soit ces pôles fusionnent soit ils marchent ensemble de manière complémentaire. Dans tous les cas la planète est ravagée.
Si les droites sont clairement des ennemies, les gauches sont au mieux des marche pied, des appuis temporaires et limités.
Sur Frustration Magazine :
Comment Le Pen compte nous faire morfler en 4 points et 8 minutes - Dans cette élection, Macron incarne le capitaliste décomplexé dont la première mesure sera de nous faire tous bosser plus, et plus longtemps. Zemmour quant à lui a pris avec joie le rôle de l’obsédé de la race et de la haine des arabes. Marine Le Pen a fait nettement moins parler d’elle, son programme ou ses idées sont peu commentées, ou alors sous l’angle de son “sérieux” et de son assagissement. Pourtant, cette femme appartenant à la bourgeoisie défend un programme politique permettant d’enrichir sa classe sociale, comme ses deux rivaux. Et elle ne renonce en rien à ses idées racistes. Elle a changé, dit-on ? Oui, elle a laissé de côté les quelques idées sociales de son programme de 2017. A Frustration, contrairement à Léa Salamé, on s’en fout de ce que Marine Le Pen a pu ressentir quand sa nièce l’a trahie. Par contre, on aimerait savoir quel est son programme.
Le RN porte un projet fasciste
Si l’on en croit les sondages, l’extrême droite pourrait obtenir dimanche, lors du 1er tour de l’élection présidentielle française, autour d’un tiers des voix (en cumulant les voix de Le Pen, Zemmour et Dupont-Aignant). En outre, si elle parvient au 2d tour, Marine Le Pen est annoncée très haut au 2d tour, plus haut que jamais (autour de 48,5%). S’il en est ainsi, c’est que la pénétration de l’idéologie portée par l’extrême droite, historiquement forte dans cette vielle puissance impériale en déclin qu’est la France, a encore progressé au cours des dernières années, largement promue par la plupart des « grands » médias et notamment l’empire médiatique qu’a constitué le milliardaire Bolloré : son projet a été ainsi banalisé, légitimé.
Mais comment caractériser cette idéologie et ce projet ? Devenu Rassemblement national sans que rien de fondamental ne change dans son programme ou sa stratégie, le Front national est de moins en moins caractérisé par les observateurs, mais aussi par les militant-es et organisations de gauche ou syndicales, comme un parti fasciste ou néofasciste. Réputée approximative et militante, cette catégorisation ferait l’impasse, nous dit-on, sur toute une série de traits propres au fascisme qui seraient absents dans le cas du FN/RN. Comme le montre ici Ugo Palheta dans un texte en 2 parties, caractériser ainsi le parti de Marine Le Pen permet au contraire de saisir les propriétés distinctives de son projet.
Ce texte d’Ugo Palheta est extrait de La Possibilité du fascisme (La Découverte, 2018). Sociologue, membre de l’Observatoire national de l’extrême droite, Ugo Palheta est l’auteur de nombreux articles pour Contretemps, et, plus récemment avec Ludivine Bantigny, de Face à la menace fasciste (Textuel, 2021), et avec Omar Slaouti de Défaire le racisme, affronter le fascisme (La Dispute, 2022).
1. Le RN porte un projet fasciste (1re partie) - par Ugo Palheta
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Ensuite, caractériser le FN/RN comme néofasciste n’implique nullement que l’ensemble de ses militant·es, et encore moins de ses électeurs·rices, soient favorables ici et maintenant à l’installation d’une dictature d’extrême droite, ou se réfèrent au fascisme comme à un modèle. Pour autant, on ne saurait écarter ni une dynamique de radicalisation politique qui pourrait s’emparer d’une partie du corps social dans des circonstances exceptionnelles de crise ou au terme d’un processus plus progressif de polarisation politique, en particulier car le terrain a été préparé par des décennies de diffusion et de respectabilisation de la xénophobie et du racisme, ni la possibilité que le FN/RN s’appuie sur cette base électorale pour parvenir au pouvoir par la voie légale. L’exemple des fascismes italien et allemand durant l’entre-deux-guerres montre en effet que ces mouvements ont pu l’emporter et se maintenir durablement aux commandes de l’État en disposant d’une audience de masse et en s’alliant avec des pans de la droite conservatrice mais sans parvenir à obtenir le soutien de la majorité de la population. Dans le cas allemand, le maximum du soutien dont les nazis purent se prévaloir avant janvier 1933 fut de 37 % (bien davantage d’ailleurs que Mussolini en Italie avant son accès au pouvoir), et si leurs électeurs partageaient sans doute pour beaucoup un ultra-nationalisme et un antisémitisme plus ou moins viscéral, leurs motivations étaient hétérogènes. Ils étaient pour la plupart loin d’adhérer à l’intégralité de la politique mise en œuvre par Hitler dans les années suivantes, en particulier à la volonté de guerre expansionniste et a fortiori à la « solution finale »[3]. Cela n’empêcha nullement les nazis de conquérir le pouvoir politique et de mener au désastre d’une nouvelle guerre mondiale et du génocide. Nous n’en sommes évidemment pas là, mais on ne saurait prendre prétexte du fait que les électeurs du FN/RN n’ont qu’une connaissance très partielle de son programme ou ne souhaitent pas l’avènement d’une dictature pour nier ou minimiser le danger.
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face à la contestation sociale, le FN/RN se tient toujours du côté de l’ordre, soutient les gouvernements désireux d’employer la force et maintient un projet ultra-autoritaire, aspirant à aller plus loin et plus vite dans l’écrasement de toute opposition. Il faut enfin rappeler l’influence et l’implantation du FN/RN au sein des appareils répressifs d’État, en particulier dans les services les plus violents (BAC, CRS, etc.). Cette situation peut faire passer pour superflue aux yeux de ses dirigeants le fait de se doter de milices préposées au harcèlement et à la répression des opposants.
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Quelle politique croit-on qu’un parti prétendant depuis tant d’années que la France est « submergée » et « colonisée » par des éléments considérés comme « anti-nationaux » et « inassimilables », mènerait s’il parvenait au pouvoir ? Pense-t-on sérieusement qu’un tel parti ne ferait que prolonger les politiques menées par les gouvernements bourgeois traditionnels ?
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2. Le RN porte un projet fasciste (2e partie) - par Ugo Palheta
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Il importe au contraire de rappeler deux constats, simples mais politiquement cruciaux : le FN/RN constitue – avec Reconquête, le parti récemment fondé par Zemmour – la composante la plus brutalement raciste du nationalisme français ; le racisme a joué – et joue toujours – un rôle central dans son idéologie et dans son développement (ce qui ne doit pas être confondu avec l’idée qu’il serait central en chaque moment dans sa propagande). Contrairement à ce qui est bien souvent affirmé, le parti de Marine Le Pen n’a en rien rompu – et ne semble pas en voie de rompre dans les mois ou années à venir – avec le projet politique qui fut celui de l’extrême droite française lorsque celle-ci s’est engagée dans la construction du mouvement au début des années 1970 : une prétendue régénération de la nation et de son unité, fondé sur la volonté d’une purification, par la mise au pas – sinon la soustraction violente – de tous les éléments considérés comme « étrangers » voire « traîtres » à la nation, ou perçus comme des sources potentielles de désordre et de division. Ses dirigeants maintiennent ce socle idéologique du mouvement par des déclarations ciblant prioritairement les musulmans et les migrants. Mais ils visent aussi les élites qu’ils désignent comme « mondialistes » – aussi bien de droite que de gauche – parce qu’elles seraient complices de l’« invasion migratoire », assimilée à une entreprise de destruction délibérée de la nation et de l’identité françaises. D’où la double cible de Marine Le Pen dans ses discours de campagne : « le totalitarisme islamiste et le totalitarisme mondialiste ».
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Le FN/RN est ainsi perçu comme le parti qui s’oppose le mieux, non à la détérioration de la situation économique et sociale ou aux inégalités croissantes, mais à ce qui est perçu par ses électeurs comme un danger de dissolution démographique de la France, de destruction culturelle de l’« identité française » et/ou de marginalisation sociopolitique des « vrais Français ».
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Mais l’immigration ou l’identité nationale ne prennent-ils pas objectivement moins de place dans le discours frontiste, en raison de la stratégie de « dédiabolisation » et du « tournant social » ? Cela est évident, au vu des deux campagnes présidentielles de Marine Le Pen. Mais c’est que le FN/RN n’a plus besoin aujourd’hui de rappeler sans cesse ses positions en la matière. Au contraire, pour élargir son audience à des franges de la population jusqu’ici éloignées, il lui faut faire des incursions sur des terrains – services publics, écologie, droits des femmes, laïcité, etc. – qui n’étaient pas déjà les siens. Pour autant, il ne s’agit généralement pas d’une reprise telles quelles de positions « de gauche », mais d’une traduction dans le langage politique propre à l’extrême droite : celui de la nation menacée de décadence et de dégénérescence du fait de l’immigration, de l’affirmation de l’islam et de la mondialisation économique. Durant sa dernière campagne présidentielle, Marine Le Pen a ainsi construit l’essentiel de ses discours autour de la menace d’une « disparition », d’une « dissolution » ou d’une « soumission » de la France sous l’effet de deux « mondialismes » qui constitueraient deux « totalitarismes » : le « mondialisme financier et affairiste » et le « mondialisme djihadiste » ; ou encore « la mondialisation d’en bas avec l’immigration massive, levier du dumping social mondial, et la mondialisation d’en haut avec la financiarisation de l’économie ». La rhétorique prophétique et catastrophiste de la « destruction de la France », régulièrement employée par Marine Le Pen, n’a d’autre objectif que de servir un nationalisme radical et exclusiviste. Ce dernier demeure en effet la formule génératrice de la quasi-totalité des analyses et des propositions avancées par le FN, et charrie immanquablement la xénophobie et le racisme.
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C’est donc moins un changement de « nature » du FN/RN, ni d’ailleurs de sa stratégie d’ensemble, qui s’est trouvé au cœur du conflit entre Jean-Marie Le Pen et sa fille, qu’une divergence de tactique politique. Le véritable changement impulsé par Marine Le Pen – qui, sur ce point comme sur d’autres, a fait du « mégrétisme sans Mégret » – c’est d’avoir mis au premier plan le « problème de l’islam ». Ainsi a-t-elle radicalisé par l’islamophobie la rhétorique xénophobe du FN[14], tout en opérant un recodage « républicain » du discours frontiste. Si a pu s’imposer l’illusion d’une transformation profonde du FN, c’est du fait de la très large diffusion de l’islamophobie, qui tend à rendre acceptable l’hostilité publiquement manifestée à l’égard des musulmans, mais aussi du discours public faisant de l’immigration et des immigrés un « problème » à résoudre, et ce depuis les années 1970. Cette double progression de l’islamophobie et de la xénophobie, couplée à l’affirmation d’une « nouvelle laïcité » permettant de stigmatiser les musulmans au nom de la défense de la « République », tend ainsi à légitimer par avance toutes les sorties les plus ouvertement racistes du FN, du moins dès lors qu’elle vise les musulmans et les migrants (extra-européens ou roms).
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Les dirigeants frontistes mettent ainsi d’autant plus en avant un prophétisme xénophobe et islamophobe de la conquête de la France par « l’islam »[25] qu’ils défendent un prophétisme identitaire de la renaissance de la nation française. Mais ils le font en prétendant que l’immigration ne serait visée qu’en tant que phénomène sociopolitique, et non les immigrés en tant que personnes. Ces derniers subiraient actuellement, non pas les politiques anti-migratoires, mais la destruction des nations par le « mondialisme » (sous la forme du déracinement et de la perte des repères culturels) : s’opposer à l’immigration constituerait paradoxalement la seule véritable défense des immigrés. Cette tactique rhétorique ne tient pourtant généralement pas longtemps. Marine Le Pen a ainsi multiplié les déclarations dans lesquelles elles présentent les immigrés extra-européens et/ou les musulmans (dont une grande partie ne sont pas immigrés mais descendants d’immigrés, sans même parler des convertis) comme une menace, une cinquième colonne, voire une force d’occupation.
(...)
L’historienne Valérie Igounet, qui a pu accéder aux brochures de formation, cite ainsi une note interne de l’IFN rédigée et diffusée au début des années 1990, intitulée « L’image du Front national », dans laquelle on peut lire : « Pour séduire, il faut d’abord éviter de faire peur et de créer un sentiment de répulsion. Or dans notre société soft et craintive, les propos excessifs inquiètent et provoquent la méfiance ou le rejet dans une large partie de la population. Il est donc essentiel, lorsqu’on s’exprime en public, d’éviter les propos outranciers et vulgaires. On peut affirmer la même chose avec autant de vigueur dans un langage posé et accepté par le grand public. De façon certes caricaturale, au lieu de dire “les bougnoules à la mer”, disons qu’il faut “organiser le retour chez eux des immigrés du tiers-monde”. »
(...)
Si la progression du FN/RN a reposé en bonne partie sur la banalisation de ses thèses par des partis et des intellectuels de droite comme de gauche, s’il n’aurait pu s’enraciner sans le processus d’imprégnation xénophobe et raciste, il serait erroné et dangereux de prétendre que son accès au pouvoir ne ferait que prolonger les politiques d’ores et déjà menées. Un parti dont le succès repose à ce point sur la xénophobie et le racisme, qui est perçu à ce point comme le meilleur défenseur de l’intérêt des Blancs, ne pourrait accéder et se maintenir au pouvoir sans donner en permanence des gages à son électorat. Il lui faudrait lâcher la bride à des appareils répressifs d’État dont une partie importante des membres sont d’ores et déjà acquis à ses positions, et donc aller beaucoup plus loin dans l’entreprise d’assujettissement des immigré·es et descendants d’immigré·es postcoloniaux, des musulman·es, des Rom·es et certainement des juifs·ves (quoi qu’en disent actuellement les dirigeants du FN/RN).
(...)
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