Depuis quelques jours que notre souverain a annoncé la mise en place du pass sanitaire, les discussions vont bon train, avec son lot d’accusations à l’emporte pièce, d’injonction infantilisante et de raccourcis néfastes.
Et depuis quelques jours, donc, il est question d’individualisme ou de solidarité. Et comme on peut le voir depuis de nombreuses années, nos débats souffrent, encore et toujours, de ce que je nommerais le « binairisme ».
Concernant la question du vaccin, le résultat des débats est donc le suivant :
Si je me vaccine, je suis un mouton, si je ne me vaccine pas, je suis un égoïste.
Binairisme affligeant !
Si je me vaccine, je suis juste, solidaire et altruiste, si je ne me vaccine pas, je suis éveillé et pure.
Binairisme crasse !
Si je me vaccine, je suis un progressiste, si je ne me vaccine pas, je suis un révolutionnaire éclairé.
Binairisme débile !
Si je suis d’accord, je suis anti-complotiste primaire, si je ne suis pas d’accord, je suis complotiste néo-fasciste.
Binairisme niais !
La nuance, elle, n’a plus sa place dans les débats.
Et voilà comment les questions de fond disparaissent de la place publique…
- La pensée binaire, ce mal contemporain
Mais quid de la méthode gouvernementale ? Quid des responsables réels de la catastrophe annoncée ? Et il ne s’agit pas là que de la pandémie !
Ah ! bien sur, il serait bien facile d’accuser nos gouvernants et nos industriels de tous les maux et je ne céderais pas à cette facilité. Car la problématique va bien au-delà de ça. Et bien au-delà de savoir s’il faut se faire vacciner ou non.
Alors, tout comme je dis aux tenants d’une théorie fumeuse qui voudrait que cette pandémie soit le fruit d’un complot pédo-sataniste ou de big-pharma, je dis aux moralistes qui hurlent à l’égoïsme face au refus de se faire vacciner et à l’urgence de se plier à ce qui relèverait de notre responsabilité collective : par pitié, taisez-vous !
Si je n’ai rien à ajouter concernant les délires paranoïaques de théoriciens foireux, j’ai plus de mal à me taire concernant l’injonction à être responsable sans quoi je ne serais qu’un enfant gâté, égoïste et individualiste.
Car en terme de responsabilité collective, nous sommes bien loin du compte, vaccin ou pas. Combien de vaccinés ont été ou sont solidaires des luttes sociales qui secouent le pays années après années ? Combien de vaccinés dénoncent sans relâche la gabegie permanente de nos modes de vie coupables ? (comme prendre l’avion comme d’autres prennent le RER, racheter un smartphone tous les ans, parcourir plus de 20000 km/an parce que le ski et la mer c’est loin, commander tout et n’importe-quoi sur Amazon ou même juste « exceptionnellement » avec toujours une bonne raison pour se justifier, faire ses courses au Drive, remplir sa piscine, posséder plusieurs logements, se goinfrer via Air bnb, s’autofinancer ses trajets grâce à blablacar, se déplacer ou commander des pizzas aux hormones avec UBER, accepter sans broncher la numérisation de nos vies, se taire quand des êtres humains sont violentés par notre police, feindre d’ignorer les discours racistes qui pullules sur nos médias et internet, accepter toujours plus de contraintes dans nos conditions de travail, fermer les yeux face au gaspillage permanent de tous les lieux de restauration, râler quand il n’y a pas de viande à la cantine tout en acceptant sans sourciller qu’on y donne de la merde à bouffer à nos enfants, etc...) La liste est tellement longue de notre culpabilité collective qu’il est impossible d’en établir une. Et tout à coup, voilà que toute une frange de la population s’indigne, gesticule, pousse des cris d’orfraie car une autre partie refuserait de prendre sa part de responsabilité !
Quelle honte ! Quelle misère !
Que chacun nettoie devant sa porte puis prenne le temps de comprendre pourquoi certains refusent un pass sanitaire qui posent évidemment problème : dans la méthode, dans le principe, dans le contexte.
Tout comme ne pas voter dans le système politique qui est le notre n’est pas un acte nécessairement inconséquent, ne pas se faire vacciner dans le contexte sociétal actuel n’est pas un acte nécessairement égoïste ou irresponsable.
Le gouvernement est, sinon définitivement cynique, tout à fait incompétent et fournit tous les ingrédients nécessaires à l’obscurantisme. Or dans une société devenue binaire, le complotisme paranoïaque, l’individualisme forcené, le jugement permanent, l’intolérance en sont la conséquence.
Je ne suis pas contre le vaccin ni ne crois qu’il soit néfaste. Mais je revendique le droit de ne pas le faire dans un contexte aussi chaotique que le nôtre, considérant que je n’ai pas, que je n’arrive pas, à avoir toutes les données nécessaires à une décision apaisée et en conscience.
Cela est scandaleux vis à vis des populations qui n’ont pas accès au vaccin et qui meurent des conséquences de la pauvreté et des inégalités sociales ? Je leur donne ma dose ! Mais quand bien même je le souhaite, nos dirigeants s’y refuseraient, tout en m’accusant d’être un irresponsable et en m’obligeant à me prendre mon injection. Cela avec l’approbation des bien-pensants gangrenés par le binairisme.
Or la solidarité et la responsabilité collective ne devraient-elles pas d’abord passer par la vaccination de toutes les personnes vulnérables à travers le monde, au-delà des frontières et sans considération financière ? Ne devraient-elles pas passer par un partage égalitaire des doses disponibles et la levée des brevets ? Ne devraient-elles pas passer par un réel partage des informations et la mise en place d’un vaste programme d’éducation scientifique via l’organisation de conférences, débats, discussions, vulgarisations scientifiques, dans chaque commune, chaque lycée, université, entreprise... ?
Ne tombons plus dans le panneau de la bien-pensance médiatique ou pseudo-alternative et de leurs regards binaires, bêtes et méchants. Ne pêchons plus par paresse ou malhonnêteté intellectuelle. Retrouvons un peu de sérieux, de bienveillance, de collectif.
Et, enfin, reprenons nos vies en main et ne vivons plus comme des esclaves.
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