La méthanisation ne sent pas bon !

Il est souvent plus rentable d’utiliser les terres agricoles pour produire de l’énergie plutôt que de la nourriture

jeudi 29 septembre 2022, par duclary.

Du lait, des pommes de terre, du blé ou du maïs. Alors que la sécheresse et la guerre en Ukraine font craindre des difficultés d’approvisionnement en fourrages et en aliments, en Bretagne, on produit de la nourriture… qui ne nourrira personne.

Des denrées alimentaires viennent régulièrement compléter la mixture engloutie par certains méthaniseurs agricoles. Ceux-ci produisent du méthane, transformé en

La méthanisation ne sent pas bon !

suite en électricité ou utilisé sous la forme gazeuse, parfois appelée « biogaz ».

À La Chapelle-Neuve (Morbihan), l’entreprise de méthanisation Tinerzh, créée par cinq agriculteurs, annonce ainsi dans son dossier, soumis récemment à consultation publique, l’« incorporation uniquement d’effluents d’élevage, de sous-produits animaux tels que lait ou produits issus du lait et denrées alimentaires d’origine animale issues exclusivement des industries agro-alimentaires (IAA) ».

Mais pourquoi gâcher de la nourriture pour produire de l’énergie alors que la méthanisation se vante de recycler les effluents d’élevages (lisier, fumier…) ? Eh bien, parce que certaines cultures et produits alimentaires sont bien plus méthanogènes que ces effluents, c’est-à-dire qu’ils produisent plus de méthane. La fermentation du fumier est bien moins efficace que celle du maïs.

C’est pour cette raison, par exemple, que l’entreprise Margaron SAS, à Roybon (Isère), fournit des pommes de terre aux méthaniseurs. Le tubercule, comme d’autres aliments, ne s’apprécie plus seulement pour son intérêt nutritionnel, mais aussi selon ses capacités à produire du méthane. Il en va de même pour le maïs dont l’arrivée en Bretagne correspond à l’avènement de l’élevage intensif.

Ces pratiques, qui mettent en concurrence l’alimentation et la production de méthane, ne sont à priori pas illégales, les denrées étant vendues comme des déchets. Mais elles viennent contredire les principes de la méthanisation agricole tels que présentés par le ministère de la transition écologique : « Les unités de méthanisation agricole ou “à la ferme” ne traitent que les effluents agricoles (fumier, lisier…). »
Le risque de dérive est connu. Le Code de l’environnement interdit de jeter dans les méthaniseurs trop de végétaux issus des « cultures principales » : pas plus de 15 % des intrants qu’on jette dans le méthaniseur par an.

Cependant, la production de méthane nécessite un approvisionnement 24 heures sur 24. Il faut donc alimenter son installation en continu. Et pour tenir la cadence, les exploitants introduisent dans leur méthaniseur des cultures et lisiers issus de leurs terres ou d’autres fermes, ainsi que des coproduits de l’industrie agroalimentaire.
La tentation d’utiliser des cultures en principe destinées à l’alimentation humaine ou animale, bien plus intéressantes pour produire du méthane, incite certains agriculteurs à des tours de passe-passe.

Contourner la réglementation en un clic

En automne débute en Bretagne la récolte du maïs ensilage. Après cette culture d’été, une autre plante, comme l’orge ou le triticale, est semée pour être récoltée en hiver. Cette rotation des cultures, à la base de l’agronomie, est un élément essentiel dans la gestion de la fertilité des sols, la lutte contre les bioagresseurs (agents pathogènes), et donc un atout pour l’augmentation des rendements.

Cultivées pour l’alimentation humaine ou animale, certaines plantes servent aussi à nourrir et à protéger les sols. Mais, à la suite de la loi sur la transition énergétique de 2015, un autre type de culture apparaît dans les champs : la culture intermédiaire à vocation énergétique (CIVE).
Implantée et récoltée entre deux cultures principales dans une rotation culturale, la CIVE est utilisée comme intrant dans une unité de méthanisation agricole, après avoir joué un rôle de couvert végétal pour protéger les sols de l’érosion ou les cours d’eau du ruissellement des polluants. Aucune limite n’est fixée à l’introduction des CIVE dans les méthaniseurs, contrairement aux cultures principales (maïs, chou, orge…) qui ne peuvent dépasser 15 % des intrants par an.

C’est là que se trouve la faille. Certains méthaniseurs contournent cette réglementation. Difficile de dire combien, d’autant plus que les contrôles sont presque inexistants. Cette faille est pourtant connue des pouvoirs publics.
Déclarer une céréale, habituellement culture principale, comme « culture dérobée » ou CIVE, se fait d’un simple clic. La technique est désormais bien rodée : avant le 15 mai, on sème des céréales, comme du sorgho ou du seigle fourrager, désignées comme cultures principales sur le site Telepac, passage obligé pour toucher les aides de la politique agricole commune conditionnées au respect de la diversité des cultures.

Puis, à partir du 15 mai, date butoir des télédéclarations, on sème du maïs, désigné comme CIVE, ou culture secondaire. Il n’est donc pas comptabilisé pour la PAC…, mais demeure éligible à la subvention de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) au titre de la méthanisation (40 euros par mégawatt-heure dans une limite de 600 000 euros).
Récolté vers le 15 septembre, ce maïs pourra être utilisé dans le méthaniseur sans craindre de dépasser la limite des 15 % d’intrants issus de cultures principales par an. Avec un rendement de 40 à 50 tonnes à l’hectare, le maïs offre un approvisionnement idéal pour le méthaniseur.

L’énergie paie mieux que les produits agricoles

« Sur la même parcelle, la même année, on peut ainsi mettre deux cultures dédiées au méthaniseur, pointe René Louail, ancien éleveur porcin et ex-porte-parole de la Confédération paysanne. J’aurais ainsi bénéficié de la PAC pour la culture principale et des aides publiques sur les CIVE au titre de la production d’énergie. » Le syndicaliste paysan affirme avoir constaté cette dérive dans plusieurs exploitations de sa commune à Saint-Mayeux (Côtes-d’Armor).
Charlotte Quénard, chargée de mission à la chambre d’agriculture de Bretagne, confirme ces analyses : « L’énergie paie mieux que les produits agricoles. Le problème de base, c’est ça. On gagne plus d’argent à produire de l’énergie que de l’alimentation. »

Côté ministère de l’agriculture, Léa Molinié, chargée de mission sur la méthanisation et les énergies renouvelables, concède lors d’une réunion en juillet 2021 que « la législation actuelle ne permet pas de limiter l’usage des CIVE et des résidus de cultures en méthanisation ».
Lors de son intervention, elle mentionne aussi les critiques de plus en plus audibles concernant « la crainte d’un détournement des sols agricoles de leur vocation alimentaire » et « les inquiétudes sur la concurrence d’usages des fourrages entre méthanisation et alimentation animale en période de sécheresse ». Début août 2022, la fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) d’Ille-et-Vilaine évoque à son tour des situations de « “concurrence” sur les usages du maïs entre les éleveurs et certaines unités de méthanisation ».
Le hic, c’est que produire du maïs pour les méthaniseurs est « plus rémunérateur que de produire du lait ou des céréales pour le marché alimentaire », souligne le conseil économique social et environnemental régional, le Ceser, dans son rapport de juin 2022 sur l’alimentation en Bretagne à l’horizon 2050.
La Région Bretagne envisageait d’aller plus loin que la seule règle des 15 % en limitant les cultures dédiées à 10 % de la surface agricole utile (SAU). La chambre d’agriculture a toutefois demandé le retrait de cette mesure, la jugeant trop contraignante… et potentiellement fatale pour les projets.

« Nous faisons le constat que l’inscription dans les projets de méthanisation agricole de cultures dédiées est un critère incontournable pour les organismes bancaires. Concrètement, le risque est donc de voir les banques refuser d’accorder des prêts aux agriculteurs », indique-t-elle dans un avis du 4 août 2019.
Autrement dit : pour obtenir un prêt, il faut montrer qu’on va cultiver des végétaux pour produire de l’énergie.
La chambre d’agriculture de Bretagne estime le cadre suffisant pour éviter une dérive vers un modèle germanique, où la production de maïs à destination des méthaniseurs s’est envolée.
Cette dérive à l’allemande pourrait malgré tout advenir, selon un article de l’économiste Pascal Grouiez, du laboratoire Ladyss (CNRS). Les céréaliers, les plus à même de financer des méthaniseurs de très grande capacité, pourraient revendiquer la levée du verrou des 15 %.
« Le modèle français se rapprocherait alors du modèle allemand, où les cultures dédiées occupent une place centrale, réduisant les possibilités pour les éleveurs de diversifier leurs revenus par la méthanisation », indiquent les auteurs de l’étude dans une note à destination des décideurs.

Les éleveurs deviendraient alors « de simples apporteurs de matières dans des unités de méthanisation portées par d’autres (industriels, céréaliers, etc.), réduisant ainsi leur possibilité d’obtenir un revenu correct de la méthanisation ».
Et ainsi, ceux qui croyaient déjà à la poule aux oeufs d’or de la méthanisation deviendront des dindons de la farce. C’est, hélas, ce que vit l’agriculture aujourd’hui, conditionnée par des années de productivisme, d’emploi d’intrants massifs, d’appauvrissement des sols mais dont le revenu des paysans ne cesse de baisser. Une agriculture au service de l’industrie agro alimentaire !

Et nous n’avons pas parlé du digestat produit par les méthaniseurs, en plus du gaz, et qui semble être un poison potentiel répandu ensuite sur les champs, ni des odeurs ou de la circulation des camions…

Source : Mediapart et Reporterre


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