L’écologiste Rémi Fraisse était assassiné par l’Etat il y a 10 ans

Il est possible de tuer un opposant politique sans risquer de crise majeure

dimanche 27 octobre 2024, par Chronique du régime policier.

En 2014, le sinistre gouvernement « socialiste » Hollande/Valls/Cazeneuve a réussi à faire accepter le meurtre d’un opposant politique à une grosse partie de la population, tout en étouffant par la force les protestations de celleux qui ne s’y résignaient pas.
Retour sur ce drame provoqué par l’Etat et ses flics radicalisés au service d’un modèle écocidaire, antisocial et antidémocratique.
Avec des analyses, rappels des faits, et témoignages.

Depuis, pour les gouvernements et leurs milices armées extrême-droitisés, la force, la brutalité, le mensonge, la manipulation, l’impunité, la tyranie, les inversions du réel... sont devenus une « religion », un mode de gouvernement choisi, assumé, développé, quotidien, planifié, étendu à tous les sujets et à toutes les franges de la population (et les personnes racisées et/ou issues des quartiers populaires sont toujours les plus visées).

L’écologiste Rémi Fraisse assassiné par l’Etat il y a 10 ans

Il y a 10 ans : la mort de Rémi Fraisse

Rémi aurait 31 ans aujourd’hui. Sa mort constitue un tournant politique majeur. Le 26 octobre 2014, la France apprend qu’un jeune écologiste de 21 ans a été tué dans le cadre d’une manifestation. Tué par une munition « offensive », composée de TNT. Retour sur une tragédie qui a marqué une génération entière de militant-es.

Dimanche 26 octobre 2014, au matin. Les médias répètent en boucle les mots de la préfecture : « Le corps d’un homme a été découvert par les gendarmes » à Sivens, dans le Tarn, sur l’esplanade de terre battue où se situait une forêt dévastée par un projet de barrage. Comme si ce défunt, encore inconnu, était mort par hasard, sans raison. Pourtant, une vie vient d’être arrachée par la grenade explosive d’un gendarme. La munition a tué sur le coup un jeune de 21 ans, Rémi Fraisse, quelques heures plus tôt.

Toute la nuit qui vient de s’écouler, des dizaines de grenades et de balles en caoutchouc ont été envoyées, dans la pénombre, sur quelques grappes de manifestant-es. Le Parti Socialiste vient de voler la vie un jeune écologiste pour imposer un projet absurde et destructeur de barrage : l’accaparement de l’eau pour de l’agriculture intensive et polluante. Deux ans plus tôt, il avait lancé l’une des plus grandes opérations répressives de l’histoire pour vider la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes, afin d’y construire un aéroport. Sans succès.

En cette fin du mois d’octobre 2014, le pouvoir tente immédiatement de salir à titre posthume le défunt : en suggérant dans les médias qu’il est peut-être responsable de sa propre mort, en faisant croire que le sac de Rémi aurait peut-être contenu des explosifs. Tout est faux, mais il faut faire illusion, gagner du temps.

On apprendra plus tard que les gendarmes ont tout de suite compris la gravité des faits : dans la nuit, quand Rémi avait été tué par l’explosion, ils avaient chargé pour récupérer son corps et le dissimuler. Un gradé avait déclaré : « Il est décédé le mec ». Les autres manifestant-es n’avaient pas remarqué, dans la pénombre, qu’un des leurs avait disparu. Ce n’est que le lendemain que sa disparition avait été signalée par ses ami-es, alors que les gendarmes et leur chaîne de commandement préparaient déjà leur défense et concertaient leurs mensonges.

Dans les jours qui suivent, le gouvernement obscurcit les rues de nuages lacrymogènes. À l’époque, il n’était déjà pas rare que la police tue en banlieue, mais c’est la première fois qu’une personne perd la vie au cours d’une manifestation depuis plusieurs décennies. Le précédent remonte au 6 décembre 1986, quand Malik Oussekine était mort sous les coups d’une patrouille de policiers à moto, près d’une manifestation étudiante.

L’écologiste Rémi Fraisse assassiné par l’Etat il y a 10 ans

Après la mort de Malik Oussekine, plusieurs centaines de milliers de personnes défilaient dans les rues de Paris et de plusieurs grandes villes de France en solidarité, contre les violences policières. L’affaire poussait un ministre à démissionner. Les « voltigeurs » étaient dissous. La loi Devaquet enterrée.

Après la mort de Rémi en 2014 : rien, ou si peu. C’est un tournant historique. Au lieu de calmer le jeu, le gouvernement choisit la force : il interdit les manifestations en hommage au jeune écologiste. Les villes sont mises en état de siège. Rennes, Nantes ou Toulouse sont occupées, plusieurs samedis d’affilée, par des dispositifs de centaines d’uniformes, appuyés par des hélicoptères.

Tout est fait pour réduire à néant les protestations, étouffer les braises. Les policiers ont carte blanche : arrestations préventives de masse, charges sans sommation, tirs de grenades. À nouveau, des grenades explosives sont tirées contre les trop rares personnes qui se révoltent pour Rémi. Et la gauche syndicale et associative est aux abonnés absents : à l’époque, toute la classe politique soutient la police, forcément « républicaine », et personne en son sein n’a encore pris la mesure de la militarisation et de l’armement du maintien de l’ordre.

Le temps où les gouvernants faisaient le dos rond quand ils avaient du sang sur les mains est révolu. Le sang versé à Sivens suscite au mieux une indifférence gênée, au pire un soutien tacite. La gauche institutionnelle n’essaie même plus de faire illusion. Pourquoi sortirait-elle de sa léthargie pour un jeune botaniste tué par la gendarmerie ?

Ceux qui gouvernent la France vont acquérir une nouvelle expertise : celle de faire accepter le meurtre d’un opposant politique. À partir de là, il redevient “possible” de tuer un manifestant sans provoquer de réaction massive. Nous sommes en 2024, et aucun gendarme n’a jamais été condamné. Sa famille pleure toujours Rémi.

Le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, ira jusqu’à déclarer plus tard : « Ce ne sont pas les attentats qui m’ont fait gagner le respect de mes hommes, mais bien Sivens ». L’État a fait bloc autour de ses forces de l’ordre. Bernard Cazeneuve venait de leur montrer qu’il est possible de tuer un opposant politique sans risquer de crise majeure.

Depuis, il y a eu la Loi Travail, les Gilets Jaunes, les mégabassines et les retraites, des mobilisations sociales, écologistes, ou pour défendre les libertés, toutes réprimées avec une férocité extrême. Les mains arrachées, les yeux perdus, les blindés dans les rues, les trous dans les visages, les armes de plus en plus dangereuses. À chaque mobilisation, un nouveau saut dans la violence d’État. Des morts et des vies brisées.

Automne 2021, le tribunal administratif de Toulouse, saisi par la famille de Rémi, admettait la responsabilité de l’État. Aucun gendarme n’a été poursuivi, mais ce tribunal estimait que les institutions sont « civilement responsables des dégâts et dommages » cette nuit là. Les magistrats appellent cela une « responsabilité sans faute ». Un jugement en demie teinte.

Comble de l’horreur, le tribunal soulignait qu’il y a « une imprudence fautive commise par la victime de nature à exonérer partiellement l’État de sa responsabilité à hauteur de 20% ». Rémi est donc responsable à 20% de sa propre mort, et l’État à 80%. La victime a défendu la nature. Elle voulait que l’eau soit considérée comme un bien commun. Mais la faute est du côté de Rémi. L’État devait verser 46.000 euros. Le prix de la vie d’un jeune homme de 21 ans.

La famille a fait appel, et le jugement final de toute cette affaire a été rendu, en février 2023, 9 ans après les faits. Le tribunal confirmait la « responsabilité sans faute » de l’État, qui devra indemniser la famille de Rémi Fraisse pour « préjudice moral ».

Les juges ont estimé que Rémi était « non violent » face aux gendarmes mais qu’il « s’est délibérément rendu sur les lieux des affrontements », et qu’il a donc commis une « imprudence » qui le rend co-responsable de sa mort. Les torts sont « partagés » entre la victime et l’État.

Ces mots et cette décision sont gravissimes. Une haute instance de justice française écrit noir sur blanc que les manifestant-es s’exposent à la mort, et qu’ils et elles doivent en être conscient-es. C’est la fin du droit de manifester.

En démocratie les autorités sont tenues de garantir ce droit. Avec cette décision judiciaire, tout l’inverse a été officialisé. Manifester est officiellement considéré comme un « risque » et une « imprudence », tandis que la violence d’État est par principe justifiée. Ses victimes sont par principe coupables, au moins en partie, d’être simplement là.

Selon la justice, Rémi est donc reconnu pour toujours, à titre posthume, responsable à 20% de sa propre mort.

10 ans après ce lugubre 26 octobre, une génération entière a été marquée au fer rouge. Celle qui avait la vingtaine à l’époque, l’âge de Rémi. Et tout ce qui était dénoncé à l’époque au milieu du désert s’est aggravé. D’un côté, celles et ceux qui luttent pour des biens communs vitaux. De l’autre, les autorités et l’agro-industrie qui sont toujours prêtes à tuer pour s’accaparer l’eau, la terre, et l’air.

La transition autoritaire du régime politique s’est accélérée le 26 octobre 2014. Nous le payons aujourd’hui. N’oublions pas Rémi. Faisons vivre ses combats.

- source, avec liens complémentaires : https://contre-attaque.net/2024/10/26/il-y-a-10-ans-la-mort-de-remi-fraisse/

Sur Reporterre

- Les amis de Rémi Fraisse témoignent : « J’ai la rage, et je pense qu’elle ne partira jamais » - Le 26 octobre 2014, Rémi Fraisse a été tué par un gendarme lors d’un rassemblement contre le barrage de Sivens, dans le Tarn. Ses amis racontent à Reporterre leur colère, toujours vive dix ans après sa mort. (...) « On a senti que l’opinion publique et les médias sous-entendaient que Rémi était un militant violent et que, d’une certaine manière, il avait bien mérité ce qui lui était arrivé. » (...) « Le non-lieu est horrible. On a l’impression qu’il ne s’est rien passé, alors que Rémi est mort. Je n’ai jamais été une militante, et avant cela, j’avais quand même une certaine confiance dans la justice, dans la police. Depuis, c’est fini, je n’ai plus confiance en rien ». (...) « À travers notre expérience, nous avons été témoins de la manipulation des médias et de la criminalisation des personnes qui luttent contre des projets écocidaires. »
(...) « Il n’y a eu aucune remise en cause du maintien de l’ordre depuis la mort de Rémi, bien au contraire. On le voit avec ce qu’il s’est passé à Sainte-Soline ou ce qu’il s’est passé récemment sur la lutte contre l’A69, avec des personnes grièvement blessées, dit Juliette. Il n’y a jamais d’accoutumance à cela, c’est un drame à chaque fois, et cela nous replonge dans ce qu’on a vécu avec Rémi. »
Manon prend également l’exemple de Nahel Merzouk en 2023, tué par un policier lors d’un contrôle routier : « Les médias tentent de trouver un casier judiciaire, on laisse planer le doute sur le fait que la personne était un éventuel délinquant pour justifier l’acte du policier. Pour Rémi, c’était la même chose. Mais il n’y a rien qui justifie d’être tué par les forces de l’ordre. » Simon est lui aussi marqué par cette répression : « Il y a un déni du gouvernement en termes de violences policières. On a l’impression que rien n’a changé depuis la mort de Rémi, c’est même pire. »

- Mort de Rémi Fraisse : 10 ans après, retour sur un tournant de la lutte écologiste Voilà dix ans que Rémi Fraisse, botaniste de 21 ans, a été tué par un gendarme. Reporterre revient sur la lutte contre le barrage de Sivens, une page violente de l’histoire des luttes environnementales.

- Rémi Fraisse, 10 ans après : l’État meurtrier n’a pas étouffé le feu de la révolte - De l’homicide de Rémi Fraisse en 2014 aux graves blessés de Sainte-Soline, le mouvement écologiste subit une répression policière croissante. Sans que cela éteigne la révolte, écrit Hervé Kempf dans cet éditorial.
(...)
Mais l’État s’obstine à imposer des infrastructures détruisant l’environnement et ne répondant pas aux besoins sociaux. Il reproduit la violence : à Sainte-Soline, sur l’A69, le même schéma absurde est à l’œuvre. Refus de dialogue, non prise en compte des expertises contraires (même quand elles émanent d’organismes officiels), piétinement des avis défavorables dans les enquêtes publiques.
(...)
L’État n’apparaît plus comme porteur de l’intérêt général, mais comme le défenseur d’intérêts particuliers défendus à n’importe quel prix.
(...)
L’État français ne pratique plus le maintien de l’ordre, il pratique une répression violente visant à dissuader quiconque de manifester, quel qu’en soit l’objet ou la forme. Le résultat paradoxal en est de faire monter le degré de violence nécessaire pour se faire entendre, et d’aller à l’encontre de la paix civile, qui devrait être le premier objectif de gouvernants responsables.
(...)

- 10 ans après la mort de Rémi Fraisse, les écologistes racontent - Il y a dix ans, le militant écologiste Rémi Fraisse était tué à Sivens par un tir de grenade offensive. Sa mort affecte toujours les luttes actuelles. Militants et ONG reviennent sur cette journée.

Et ça continue :

- « Ne banalisons plus la violence de l’État, humiliante et illégale » - Participante à une manifestation du 20 juillet à La Rochelle, l’autrice de cette tribune raconte la violence de l’État qu’elle y a subi, qui l’a laissée effondrée, et plaide pour sa débanalisation.


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