Selon les révélations de Disclose, la France participerait depuis plus de cinq ans à une opération militaire clandestine dans l’immense zone aride qui sépare l’Égypte de la Libye. Nom de code : Sirli, du nom d’un petit oiseau du désert. Dans le cadre de cette mission de renseignement menée depuis 2016, plusieurs centaines de civils pourraient avoir été tués hors de tout théâtre de guerre par des missiles montés sur des avions égyptiens.
Le mot d’ordre est clair : les pires dictatures sont fréquentables. Particulièrement le régime du maréchal-président Abdel Fattah al-Sissi.
La France mène une opération militaire clandestine aux côtés de l’Égypte depuis février 2016, impliquée dans au moins dix-neuf bombardements mortels contre des civils. Il n’y a aucun point de comparaison dans notre histoire contemporaine récente. On parle d’exécutions extrajudiciaires, mais c’est aussi de mercenariat au profit d’une puissance étrangère. L’argent du contribuable sert à financer des opérations de guerre menées par l’Egypte avec la complicité de la France. Il s’agit d’une collaboration sur la durée, initiée sous la présidence de François Hollande et toujours en cours.
- L’Etat français complice de sales guerres + ventes d’armes à des dictatures
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L’argument terroriste, utilisé par la France pour vendre ces armes, est secondaire chez les Égyptiens. En France, les attentats de 2015, la lutte antiterroriste sont brandis comme un argument d’autorité ultime, mais on ne nous explique pas en quoi un porte-hélicoptères Mistral est utile contre un combattant de Daech au Sinaï, ni pourquoi le fait d’abattre un contrebandier bédouin à la frontière libyenne va protéger les Français.
En 2015, au cours d’une interview radio, pour justifier notre commerce avec l’Égypte, Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la Défense, a eu cette phrase : « Le développement et la démocratie, c’est postérieur à la sécurité. » Mais la sécurité de qui ? La grande force de la France, c’est de dessiner sa projection de puissance autour de concepts aussi vides les uns que les autres.
Cela relève du plus grand cynisme.
Pourquoi cet engagement inconditionnel auprès de l’Egypte ? Pourquoi récompenser ainsi un régime dictatorial dont les exactions sont largement documentées ? L’explication la plus probable, c’est que cette coopération puisse faciliter certaines ventes d’armes.
L’Égypte du maréchal Sissi est passé en moins de dix ans de la 23e à la 3e place au classement des partenaires de la France en matière d’armement.
C’est un cas unique. Dans le rapport publié par Amnesty en 2018, il est écrit que la France a vendu plus de matériel militaire à l’Égypte entre 2012 et 2016 que lors des vingt années précédentes. Sous la présidence d’Obama, les États-Unis ont rompu leurs liens avec ce pays pendant deux ans. Cela a créé un appel d’air au moment de l’élection de François Hollande, alors que les industriels français s’inquiétaient pour leurs commandes. Ce faisant, l’Égypte est devenue un eldorado où l’argent coule à flots. Grâce au financement des monarchies du Golfe ou à des facilités bancaires accordées par la France, nous leur vendons de tout, qu’il s’agisse d’avions de chasse ou de technologies de surveillance.
Pour justifier cette fuite en avant, les responsables politiques français insistent sur les opportunités d’emploi. C’est la meilleure façon d’empêcher tout débat, mais c’est aussi une manière de dire que les salaires distribués par les industriels valent plus que les vies des populations civiles qui périssent à cause des armes françaises. C’est d’autant plus révoltant que l’exportation de ces outils représente environ soixante mille emplois sur les trois millions d’emplois industriels directs recensés par l’Insee. C’est-à-dire 2 %.
Ce « partenariat stratégique » est lié à la politique de la France d’exportation de matériels de guerre, aujourd’hui le troisième exportateur mondial de matériels de guerre, ayant fait un choix politique visant à encourager l’industrie de la défense, présentée par les gouvernements successifs comme porteuse de croissance. Par ailleurs, la France fournit tous les secteurs – terrestre, naval, aérien, satellite – et privilégie les partenariats sur le long terme. Mais pour exporter autant, elle prend le risque de ne pas respecter ses engagements internationaux, qu’il s’agisse du Traité sur le commerce des armes [adopté en 2013] ou de la position commune de l’Union européenne. Si on les appliquait à la lettre, on ne traiterait ni avec l’Égypte, ni avec l’Arabie saoudite.
Dès la fin des années 1950, la France va perdre des marchés face aux Américains. Paris réalise que les pays de l’Otan sont la chasse gardée des États-Unis, le marché à l’export se resserre, et on se décide alors à traiter avec des régimes considérés comme dictatoriaux : la Grèce des colonels, l’Espagne de Franco, le Portugal de Salazar ou l’Afrique du Sud de l’apartheid, qui fait pourtant l’objet de restrictions dès 1963, et d’un embargo à partir de 1977.
Il y a indubitablement une diplomatie des armes. Depuis la réforme institutionnelle de 2012, le Quai d’Orsay est devenu l’instrument de promotion de l’industrie de défense. Il y a même un service au ministère voué à l’identification de nouveaux marchés. Comment pourrait-on
simultanément être garant des droits humains ? Nous avons pu l’observer lors du récent épisode théâtral autour de la vente de sous-marins à l’Australie : on fait de la vente des armes la condition sine qua non de la grandeur de la France. Il y a quelque chose de répugnant là dedans.
Cette politique mortifère ne permet même pas d’avoir un poids diplomatique. L’Arabie saoudite est le premier partenaire commercial en matière d’armement. Cela ne permet pas de peser auprès de ce pays pour qu’il mette un terme à sa guerre sale au Yémen. Au contraire.
Après l’assassinat de Jamal Khashoggi [cet éditorialiste du Washington Post éliminé par des sbires du prince héritier Mohammed ben Salmane dans l’enceinte du consulat saoudien d’Istanbul en 2018], Jean-Yves Le Drian, désormais ministre des Affaires étrangères, a refusé d’incriminer le royaume, malgré les informations transmises par les services turcs. Il en va de même avec l’Égypte : les contrats ont-ils permis d’obtenir la libération de prisonniers politiques parmi les soixante mille qui croupissent dans les geôles de Sissi ? Absolument pas.
Quand l’Etat, avant tout, accorde des autorisations de vente à des dictatures, en toute connaissance de cause, c’est l’interdiction de vendre des armes qu’il faut exiger.
À lire
Ventes d’armes, une honte française, d’Aymeric Elluin et Sébastien Fontenelle, éd. Le passager clandestin, 2021, 188 p. 14