Les désastres, violences sociales et nuisances documentées en tout genre s’accumulent sur nos têtes, et en particulier sur celles des pauvres d’ici et d’ailleurs, et pour les autres êtres vivants c’est encore pire, mais la plupart du temps les peuples acceptent leur sort, restent résignés, impuissants, sidérés, passifs, fatalistes..., voire se culpabilisent ou adhèrent au modèle qui les écrase.
Les révoltes restent rares, et quand elles éclatent souvent elles ne sont pas assez suivies.
Conditions matérielles défavorables, biais psycho-anthropologiques, médias des dominants, répression, habitude, soumission volontaire, volonté de délivrance des réalités matérielles et politiques..., au-delà des choix individuels liés à la liberté divers facteurs "expliquent" cette situation somme toute étonnante et absurde (des milliards de personnes sont dominées et accablées par des minorités de puissants dans un système devenu impersonnel qui détruit l’habitabilité de la Terre et pourrait générer de nouvelles guerres généralisées).
L’article ci-dessous en explore utilement quelques uns, pour que davantage de personnes puissent sortir de l’individualisation des problèmes sociaux fabriqués et imposés par le système techno-industriel étatico-capitaliste, se libérer de l’(auto)accablement pour rejoindre et amplifier les luttes radicales et éventuelles révolutions.
Pourquoi acceptons-nous l’inacceptable ?
Pourquoi acceptons-nous l’inacceptable ?
Et comment construire une santé mentale collective ?
Les injustices sociales en France, comme la réforme des retraites, les discriminations raciales et la violence policière, sont exacerbées par des politiques migratoires répressives et des discours xénophobes. Les communautés LGBTQIA+, notamment les personnes trans, subissent aussi des attaques violentes et des régressions législatives. Ces inégalités sont systématiques et marginalisent des millions de personnes. Cependant, malgré ces luttes et mobilisations, une résignation collective persiste, en partie à cause de mécanismes psychologiques invisibles qui rendent l’inacceptable acceptable.
Malgré ces défis, des mouvements comme les Gilets jaunes ou les luttes féministes et antiracistes/décoloniales montrent que la colère et la résistance existent. Mais pourquoi ces élans s’essoufflent-ils ? Cette question dépasse les seules causes économiques et politiques, elle touche à des mécanismes psychologiques profonds. Ces mécanismes qui nous poussent à accepter l’inacceptable peuvent être déconstruits. En repensant la santé mentale comme un enjeu collectif, nous pouvons transformer notre manière de percevoir l’injustice, en créant des espaces de solidarité et d’action commune. C’est à travers cette réinvention de notre rapport à l’autre et à la société que nous pourrons espérer changer les choses.
(...)
Dans les sociétés contemporaines, ce biais se manifeste par l’acceptation progressive de situations pourtant insupportables : précarité croissante, dégradation des services publics, ou explosion des prix de l’énergie. Par exemple, en France, le démantèlement progressif des hôpitaux publics, documenté par des sociologues comme Pierre-André Juven (La casse du siècle : À propos des réformes de l’hôpital public), a conduit à une pénurie de soignants et de lits. Pourtant, cette réalité est perçue comme une « nouvelle normalité » à laquelle il faudrait s’adapter, et non comme un problème systémique à résoudre.
Ce phénomène se retrouve également dans des sphères plus personnelles. Prenons l’exemple du monde professionnel : un travailleur qui, année après année, voit ses conditions de travail se dégrader – une surcharge de tâches, des heures supplémentaires non payées, ou des pressions managériales croissantes – finit souvent par intégrer ces contraintes comme faisant partie du « métier ». Il rationalise : « C’est comme ça partout » ou « Je dois m’estimer chanceux d’avoir un emploi ». Pourtant, ces ajustements psychologiques masquent souvent une souffrance profonde. En acceptant ces conditions, le salarié s’adapte à un environnement hostile sans remettre en question la structure qui en est responsable.
De la même manière, les personnes racisées développent des stratégies d’adaptation face aux discriminations systémiques. Un exemple frappant est celui des contrôles au faciès. Pour beaucoup, cette pratique récurrente devient une « routine » : éviter certains quartiers, anticiper les interactions avec la police en préparant leurs papiers, ou encore minimiser l’expérience en se disant que « cela aurait pu être pire ». Ces stratégies d’ajustement sont des mécanismes de survie, mais elles renforcent également la banalisation de l’injustice. Comme le souligne le sociologue Abdellali Hajjat dans ses travaux sur l’islamophobie et les discriminations, cette normalisation contribue à invisibiliser les violences structurelles, car les individus finissent par intégrer ces traitements comme des faits inévitables de leur quotidien.
D’un point de vue psychologique, cette capacité d’adaptation est un mécanisme de protection : notre cerveau tend à minimiser les chocs émotionnels en « normalisant » ce qui devrait être exceptionnel. Mais cette adaptation, si elle nous protège individuellement, nous empêche collectivement de reconnaître l’urgence d’agir et peut paralyser l’action collective
(...)
Les inégalités sociales, souvent présentées comme inévitables dans les discours politiques et médiatiques, finissent par être acceptées comme un état de fait.
Prenons l’exemple des écarts de richesse. Lorsqu’un PDG gagne 400 fois le salaire moyen de ses employés, cette réalité devrait susciter l’indignation. Mais les récits dominants – comme celui de la « méritocratie » ou du « risque entrepreneurial » – transforment ces écarts en phénomènes normaux, voire légitimes. Les médias jouent ici un rôle central : en valorisant des figures comme Elon Musk ou Jeff Bezos, ils participent à cette construction idéologique. Comme l’explique le sociologue Pierre Bourdieu dans Sur la télévision, les médias ne se contentent pas de relater les faits : ils contribuent à modeler notre perception de ce qui est acceptable ou non.
(...)
Les politiques d’austérité, par exemple, sont souvent présentées comme des « nécessités économiques », rendant leurs conséquences – licenciements, fermetures de services publics – moins contestables. Les discours politiques insistent obstinément sur des impératifs comme « réduire la dette publique » ou « améliorer la compétitivité », occultant les impacts humains et sociaux de ces choix. En nous habituant à ces récits, nous acceptons ce qui devrait être combattu.
Cependant, il est essentiel de souligner que cette normalisation n’est ni totale ni irréversible. De nombreux travailleurs et travailleuses refusent ces conditions et s’organisent pour les contester. Les mouvements sociaux, les grèves et les luttes syndicales témoignent d’une résistance active face à cette normalisation.
(...)
en conscientisant les mécanismes de normalisation, il devient possible d’agir collectivement. Identifier ces récits qui banalisent l’injustice, les déconstruire et s’organiser pour les contester sont des étapes indispensables pour transformer une indignation individuelle en action collective. Ainsi, si l’effet de normalisation est puissant, il n’est pas insurmontable. Les résistances collectives montrent qu’il est possible de refuser l’inacceptable et de poser les bases d’une société plus juste.
(...)
un individu, confronté à des situations où ses efforts ne produisent aucun effet, finit par croire qu’il est incapable de changer quoi que ce soit.
- Inégalités, précarité, souffrance au travail, pollutions... Pourquoi acceptons-nous l’inacceptable ?
- Se noyer seul, ou se révolter collectivement ?
Sur le plan collectif, ce biais se manifeste après des mouvements sociaux réprimés ou qui échouent à obtenir des victoires significatives. Les manifestations massives contre la réforme des retraites en France en 2023, bien qu’intenses, n’ont pas empêché son adoption. Pour beaucoup, ce type d’échec renforce un sentiment d’inutilité de l’action politique. Cette impuissance apprise n’est pas seulement un phénomène individuel : elle est renforcée par des stratégies institutionnelles. La répression policière, les discours dénigrant les grèves ou les mobilisations ou encore la lenteur des changements politiques contribuent à installer ce sentiment d’impuissance. Ces mécanismes participent à la reproduction des inégalités en paralysant toute velléité de contestation
(...)
Beaucoup de personnes se retrouvent à vivre des situations difficiles, comme le chômage ou la pauvreté, dans la solitude, se sentant souvent responsables de leur propre sort. Cette culpabilisation est renforcée par un discours dominant qui fait porter la faute sur l’individu et non sur le système qui produit ces inégalités. C’est désormais bien connu, il suffit de “traverser la rue” pour trouver du travail. Pourtant, il n’y a pas de honte à être confronté à des difficultés qui échappent à notre contrôle. Le chômage, par exemple, est largement le résultat d’un marché du travail précarisé et d’une économie qui valorise l’exploitation plutôt que le bien-être. Il est essentiel de rappeler qu’il n’y a aucun aveu d’échec à se retrouver dans une situation où les structures économiques et sociales sont défaillantes. Ce n’est pas un échec personnel, mais bien une conséquence de l’organisation injuste du travail et des ressources.
(...)
Le “capitalisme émotionnel” désigne la manière dont notre société capitaliste transforme nos émotions en une responsabilité personnelle et une marchandise. Dans ce système, il nous est constamment demandé de « rester positif », de « faire face » et de « réussir malgré les difficultés », en particulier dans des contextes d’injustice sociale et économique. L’idée de la « résilience », souvent véhiculée par les médias et les institutions, devient un impératif moral : si vous échouez à être heureux malgré les adversités, c’est de votre faute. Cette pression constante pour gérer nos émotions comme une performance individuelle fait partie d’un processus plus large d’aliénation émotionnelle.
(...)
Le capitalisme émotionnel est donc un outil de contrôle social, car il détourne notre attention des causes profondes de notre mal-être (injustices sociales, précarité, discriminations) et nous fait croire que notre souffrance est une question d’aptitude personnelle à surmonter les épreuves. Cela crée un sentiment de culpabilité, car on nous fait porter la responsabilité de nos émotions et de notre résilience, sans jamais questionner les structures sociales qui alimentent cette souffrance.
(...)
Pour dépasser les limites de l’individualisme, il est essentiel de repenser la santé mentale comme un bien commun. Plusieurs initiatives inspirées des luttes féministes et des communautés marginalisées ont démontré que des structures communautaires de soutien peuvent offrir des solutions alternatives. Par exemple, les centres sociaux autogérés ou les réseaux d’entraide pour les travailleurs précaires permettent de créer des espaces où les personnes peuvent partager leurs expériences et trouver du soutien, loin des logiques de consommation des soins traditionnels. Ces espaces permettent de reconstruire des liens sociaux, de se soutenir mutuellement et de remettre en question l’isolement imposé par les structures capitalistes.
(...)
Plutôt que de pathologiser systématiquement les effets du système sur les individus, il est plus pertinent de reconnaître que les souffrances psychologiques, dans de nombreux cas, sont des réponses normales à des conditions sociales et économiques injustes. Cependant, cela ne veut pas dire que la santé mentale doit être entièrement politisée de manière simpliste ou que l’on doit jouer aux « apprentis sorciers » de la psychiatrie. L’enjeu est de comprendre qu’un soutien psychologique efficace doit tenir compte du contexte social et des inégalités qui peuvent fragiliser un individu.
(...)
Redonner un sens à l’action collective est essentiel pour contrer le sentiment d’impuissance que beaucoup de personnes ressentent face aux injustices sociales. Participer à des mouvements sociaux peut être un moyen puissant de reconstruire l’espoir et de lutter contre l’isolement. Cependant, il est important de souligner qu’il n’y a aucune culpabilité à ne pas être impliqué dans ces actions. Chacun évolue à son rythme, et l’engagement politique ne doit pas être un fardeau supplémentaire
(...)
Les victoires obtenues par des mouvements sociaux, comme l’augmentation du salaire minimum ou la reconnaissance des droits des travailleurs, ont un impact psychologique direct : elles brisent le sentiment d’impuissance et rappellent qu’il est possible de transformer la réalité. Ces victoires, bien qu’elles puissent sembler petites à l’échelle globale, nourrissent l’espoir et renforcent la solidarité.
(...)
Les mécanismes psychologiques qui nous poussent à accepter l’inacceptable ne sont ni inévitables ni figés. En comprenant mieux ces biais, en décryptant l’effet de normalisation et en reconnaissant l’impact de l’individualisation des problèmes sociaux, nous pouvons démystifier cette résignation collective. Nous avons le pouvoir de déconstruire ces dynamiques à travers l’éducation, la solidarité et, surtout, l’action collective. Ce processus n’est pas facile, mais il est possible. Changer de regard sur les inégalités, c’est déjà commencer à les transformer. Ce n’est pas un effort solitaire, mais une démarche collective, qui commence par la reconnaissance des souffrances et la volonté d’agir ensemble pour y remédier.
NOTE :
On pourrait ajouter les causes sociales : pression constante de la mise en concurrence, course à la survie épuisante, séparation multipforme en classes sociales et culturelles, séparation spatiale par l’urbanisme et suivant les revenus, disparation de l’espace publique dans un système marchand et policier, réduction des capacités de pensée (formatage scolaire, médias, baisse de la lecture et de l’écriture, réseaux sociaux avec messages courts et images...), « cleanisation » et gentrification des centre ville, etc.
Pour libérer les potentiels de révolte, il faudrait donc agir conjointement sur les questions psychologiques et matérielles.
Car dans le système en place, la plupart ne peuvent/pourront « s’en sortir » seuls (même les riches se prendront les guerres, les crises économiques et les mégafeux dans la tronche), et rien de bon ne vient/viendra des institutions et du « libre » marché.