INDE.15.06.2021. UN SOULÈVEMENT PAYSAN SPONTANÉ QUI ÉCHAPPE AU CONTRÔLE DE TOUTE ORGANISATION OU INDIVIDU
Pour le 200e jour de mobilisation aux campements paysans de Delhi, des membres des 500 organisations paysannes associées - et toujours unies - pour lutter contre le gouvernement ont tenu à s’exprimer.
Jagtar Singh Bajwa, leader des agriculteurs de la région du Terai dans l’Uttarakhand a déclaré : "Le gouvernement n’a pas compris qu’il s’agit d’un mouvement spontané, qui échappe au contrôle de toute organisation ou individu. Nous avons lancé un appel à des manifestations nationales le 26 juin dans les demeures des gouverneurs de chaque Etat. Cela montrera amplement ce jour là à tout le pays notre force »
Le même jour, Harinder Bindu, qui dirige l’aile féminine du syndicat paysan Bharatiya Kisan Ekta Ugrahan, a déclaré : « Bien que nous mobilisions les femmes depuis longtemps sur différentes questions, nous ne nous attendions jamais à ce que les chiffres de la mobilisation actuelle dépassent toutes nos attentes. C’est la première fois que les femmes ont non seulement participé mais ont également mené l’agitation pour dire que les gens sont plus importants que Modi. Je peux vous dire avec mon expérience de campagne dans 1500 villages que plus le mouvement se prolonge, plus la participation augmente. Les femmes campent toujours à l’extérieur des centres commerciaux Reliance et des silos Adani (qui appartiennent aux plus gros capitalistes de l’Inde et qui soutiennent Modi). Et cela ne fera que se renforcer.
Jagmohan Singh du syndicat paysan Bharatiya Kisan Union (Dakaunda) a déclaré qu’actuellement le Mouvement était en train de reproduire dans l’Uttar Pradesh (210 millions d’habitants) ce qui a été fait jusqu’à présent au Pendjab et en Haryana, où les dirigeants du BJP ont été bannis socialement, rendus incapables de faire quoi que ce soit.
Dharamender Malik de l’union paysanne Bharatiya Kisan Union (Tikait) souligne que le mouvement a réuni des musulmans et des Jats de l’Uttar Pradesh occidental qui ont oublié les relations amères qu’ils avaient entre eux après les émeutes religieuse de Muzaffarnagar. De même, au Rajasthan, les communautés Jats et Gurjar se sont réunies. Ce qui tient de l’exploit et à mettre au compte du mouvement paysan.
Pawan Duggal, un agriculteur leader de All India Kisan Sabha (AIKS), Rajasthan : « Si je devais regarder la situation dans son ensemble, je peux dire que le mouvement a provoqué une unité sans précédent parmi les travailleurs et les agriculteurs. Nous avons compris la signification du slogan « Kisan Mazdoor Ekta Zindabad » (Vive l’unité des travailleurs et des agriculteurs). C’est nous qui avons dit au pays qui nous a entendus qu’il y a des enjeux à combattre au-delà de la haine religieuse... Nous menons une vaste campagne au Rajasthan et les agriculteurs attendent avec impatience un grand appel de SKM (la coordination qui anime le soulèvement paysan) et nous agirons en conséquence. Pour les personnes qui doutent encore de l’ampleur de l’agitation, il faut se rappeler que tout le monde ne peut pas siéger à la frontière pendant six mois mais que le soutien reste intact. Lorsque nos campements de Delhi ont été détruits ces dernières semaines par la tempête et les pluies, il nous a fallu à peine 48 heures pour réunir suffisamment de fonds pour construire des tentes plus solides. Pourquoi quelqu’un donnerait-il un centime s’il ne croit pas en la cause !... Nous avons poussés le gouvernement dans une situation où ils ne connaissent vraiment pas la voie à suivre. Ils sont en soins intensifs."
Inderjit Singh, leader agricole vétéran de Haryana Kisan Sabha : « La chose la plus importante que l’agitation a apportée, je pense, c’est un assaut solide contre les structures de castes. La seconde chose, c’est que les communautés non agricoles ont elles aussi compris que les lois agricoles seraient dangereuses pour tous et nous faisons front."
Pendant ce temps, intensifiant leur agitation, des milliers de paysans ont entamé une « Kisan Kranti Padayatra » (marche à pied militante allant au contact des habitants) de cinq jours de Bulandshahar à la frontière de Ghazipur à Delhi qu’elle atteindra le 18 juin après 85 km de marche.
Les routes nationales menant à la capitale nationale sont actuellement inondées par un fleuve de paysans venus de différents villages de Bulandshahr mais aussi des districts voisins, notamment Meerut, Muzaffarnagar, Baghpat, Bijnore et Saharanpur de l’Uttar Pradesh, qui lanceront également après bien d’autres des marches similaires dans les jours qui viennent. En outre, un convoi de 500 voitures du district de Sambhal partira pour la frontière de Ghazipur le 21 juin et environ 5 000 autres agriculteurs devaient se joindre à la marche sous la bannière de BKU (Asli).
Pendant ce temps, les paysans reprennent les Mahapanchayats (démocratie directe), interrompus un instant par le covid ; un groupe d’agriculteurs dirigé par le secrétaire général de la BKU (région de la capitale nationale) Mangeram Tyagi a organisé lundi un "Mahapanchayat" à Anupshahr.
Aujourd’hui, un groupe de paysans d’Hisar, Hisar Akhil Bharatiya Kisan Sabha, a atteint le campement paysan de Tikri à Delhi...
Et pendant que les paysans et leurs soutiens affluent à Delhi, les leaders paysans déclarent qu’ils n’ont renoncé en rien à leur marche sur le Parlement, qu’ils attendent seulement l’occasion la meilleure.
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INDE.17.06.2021. LA TENSION SOCIALE MONTE A NOUVEAU D’UN CRAN
Alors que l’épidémie de covid semble légèrement s’atténuer en même temps que les mesures de confinement et de couvre-feu, les conflits sociaux, un moment suspendus, reprennent de plus belle additionnés de toutes les colères accumulées pendant l’épidémie et le confinement tandis que les paysans intensifient et amplifient leur lutte.
Ainsi, rien que dans le Pendjab, on compte à nouveau plus de 100 lieux de blocages paysans, que ce soient des péages, des entreprises, des gares, ou des supermarchés... certains de ces lieux étant bloqués depuis 250 jours. De nouveaux secteurs de paysans entrent aussi en lutte, comme le 17 juin, les 6 millions de producteurs de lait de l’Etat du Maharashtra ou auparavant les producteurs de Sorgho dans l’Etat du Telangana.
Mais c’est aussi du côté ouvriers et employés que la lutte reprend de plus belle dans différents secteurs avec par exemple la mobilisation des employés domestiques le 16 juin parce que 72% des domestiques ont perdu leur travail avec le covid.
C’est aussi la grève des ouvriers du secteur public de la défense nationale - 400 000 employés - qui sont entrés en lutte au niveau local le 17 juin et continuent les 18 et 19 juin contre la privatisation de leurs secteur et menacent d’une grève illimitée nationale en appelant toute la population à les soutenir.
C’est encore une grève de 350 000 médecins annoncée le 18 juin, mais aussi une grève des ASHA, employées de santé rurales, qui sont en grève ou en lutte dans de nombreux Etats comme les 70 000 du Maharashtra en grève depuis 5 jours ou les 22 000 dans l’Haryana tandis que des agents de nettoyage mènent des luttes dans différentes régions comme ceux du Pendjab en grève depuis 1 mois ou que ceux du traitement de l’eau sont en lutte continue dans l’Uttar Pradesh.
Plus encore, à cela s’ajoutent plus de 200 000 ouvriers de la sidérurgie publique auxquels s’additionnent aussi ceux des mines qui sont appelés à la lutte contre les privatisations en faisant grève le 29 juin et les jours qui suivent tandis que le million d’employés de banques publiques menace également d’entrer en grève dans la période qui vient.
Par ailleurs des milliers d’enseignants en marche vers les campements paysans de Delhi, sont arrivés hier à la porte Tikri de Delhi pour prêter main forte aux paysans et participer eux aussi à l’occupation des portes de Delhi illustrant l’élargissement de la lutte.
Enfin, les dix principales organisations syndicales ouvrières ont appelé à soutenir l’action nationale des paysans qui appellent à bloquer tous les gouverneurs de tous les Etats du pays le 26 juin, une journée qu’ils ont baptisée « Sauvons la démocratie » tandis que la marche sur le Parlement reste toujours à l’ordre du jour.
INDE. 20.06.2021. LA RÉVOLUTION A REPRIS SA MARCHE
Alors que la seconde vague de covid semble être passée après avoir probablement fait, selon le soulèvement paysan, plusieurs dizaines millions de morts, la contestation la plus large est en train de reprendre ces jours-ci de plus belle et à un plus haut niveau, sans que le mouvement paysan pour sa part ne se soit jamais arrêté.
L’Etat du Pendjab est la pointe avancée de ce qui fermente dans tout le pays et indique certainement ce qui va se passer dans les prochaines semaines.
Ainsi le gouvernement du Pendjab vient d’accorder une augmentation de 20% des salaires et des pensions à tous les employés de l’Etat. Il faut dire que dans un contexte où plus de 100 lieux sont occupés depuis des mois par les paysans -péages autoroutiers, hypermarchés, stations essence, magasins et entreprises de groupes qui soutiennent Modi - et où le bannissement social des leaders du BJP empêchent ces derniers d’avoir une activité publique - de multiples grèves ouvrières locales ont éclaté sur fond d’une agitation sociale nationale grandissante.
Il y a d’abord la grève des employés du nettoyage urbain (éboueurs, balayeurs...) dans 135 villes de l’Etat du Pendjab qui sont en grève depuis le 13 mai. Ce sont ensuite les enseignants contractuels sans emploi qui occupent depuis des semaines le siège du ministère de l’éducation. Et puis les ingénieurs des compagnies électriques qui sont en grève depuis le 7 juin et enfin les employés des finances qui sont également en grève.
A ces grèves locales s’ajoutent des luttes nationales comme celle quasi permanente dans l’Etat mais aussi dans de nombreux autres Etats depuis des mois des ASHA (employées de santé rurales) mais aussi celle des jeunes médecins en lutte depuis le 19 juin, l’entrée en lutte également des 400 000 employés du secteur de la Défense à partir du 17 juin, qui ont brûlé partout des effigies de Modi le 19 juin avec menace de grève illimitée contre la privatisation des entreprises publiques de la défense nationale ; il y a encore les actions des employés des chemins de fer le 20 juin pour dénoncer la responsabilité du gouvernement dans la mort des cheminots par le covid ; la rencontre le 20 juin des organisations syndicales pour organiser la lutte contre la privatisation des télécoms ; la manifestation des automobilistes, taxis, camions le 21 juin, contre la hausse du prix de l’essence ; la menace d’une grève illimitée du million d’employés de banque contre leur privatisation ; l’annonce d’une grève le 30 juin - et sur 3 jours parfois ou plus encore - des aciéries et des mines contre leur privatisation également... tout comme la lutte annoncées des employés des aéroports contre une baisse de salaires... Une intense agitation sociale qui existait déjà avant la seconde vague du covid que celle-ci a interrompue un moment mais qui reprend autour d’une autorité accrue du soulèvement paysan pour unifier toutes ces colères et en même temps d’une baisse de celle du pouvoir avec la crise du covid.
Or, cerise politique sur le gâteau social, le Pendjab est aux mains du Parti du Congrès qui anime l’opposition de centre gauche au pouvoir central qui a tout à la fois fait des déclarations de soutien à leur égard mais en même temps les réprimait en coulisses. Or en brûlant les effigies du 1er ministre du Pendjab comme de Modi, les grévistes ont clairement signifié qu’ils ne se faisaient guère d’illusions sur l’alternance politique traditionnelle. Ainsi, la rue est -elle en train de montrer qu’elle ne croit pas aux solutions politiciennes électorales et qu’elle est en train de dicter progressivement son propre agenda à tout le pays.
Un autre exemple de ce qui fermente en Inde - cette fois-ci plus spécifiquement au niveau paysan et qui en montre sa force montante- est dans l’Etat de l’Haryana (dirigé par le BJP), probablement le second Etat après le Pendjab où la lutte des paysans est la plus avancée.
Dans cet Etat où le SKM - la coordination de 40 organisations qui anime le soulèvement - a l’influence directe la plus importante, les paysans ont pris très au sérieux les mesures de bannissement social des leaders du BJP et ses alliés et leur interdise quasi toute activité publique.
Ainsi ces derniers jours, le 1er ministre de l’Etat et le dirigeant du BJP ont été bloqués par des manifestations paysannes dans leurs déplacements comme ils l’avaient déjà été tout au long du mois de mai.
Cela occasionne à chaque fois des affrontements avec la police, des arrestations et de nouvelles manfiestations pour la libération des prisonniers. Mais la gradation de la détermination et la mobilisation des paysans est elle que depuis mai le pouvoir recule et libère -voire indemnise - les paysans et militants qu’il a arrêtés, montrant son impuissance croissante et la montée progressive en puissance du soulèvement paysan.
Mais plus encore, le 21 juin, le SKM a décidé d’interdire à tous les dirigeants du BJP et ses alliés, l’entrée même dans tous les villages de l’Haryana, pour la journée internationale du Yoga où ont lieu de nombreuses cérémonies. C’est une journée instaurée par Modi et soutenue par de nombreux Etats dans le monde, vouée cette année à la lutte pour la santé contre le covid, une véritable provocation quand on sait la responsabilité de Modi dans le désastre sanitaire du covid.
Une provocation que dénonce et relève le soulèvement paysan au nom de toutes les victimes du covid dans tout le pays parlant ainsi pour tous ceux qui sont en colère contre la gestion du covid par Modi et leur donnant une expression politique en acte, unifiant tous les mécontentements derrière lui.
Enfin, ce jour-là, également, les paysans ont annoncé qu’ils bloqueraient le siège de la société de production d’électricité dans l’Haryana, sous-entendant qu’il pourrait y avoir des coupures de courant.
Par ailleurs, chaque jour ce sont des milliers de paysans et leurs soutiens, ouvriers, jeunes, femmes, enseignants qui affluent aux campements des portes de Delhi, les transformant en autant de Communes insurectionnelles préparant la marche sur le Parlement à Delhi.
En préparation, le 26 juin, les paysans appellent à faire le siège des Raj Bhavan, résidences luxueuses des gouverneurs dans tous les Etats, symboles de l’arrogance du pouvoir central dans chaque Etat. Les organisations syndicales ouvrières, les organisations féministes, étudiantes y appelent également se ralliant à l’initiative paysanne leru donnant ainis un peu plus l’autorité de leader de toutes les luttes de toutes les classes populaires.
Les révolutions ne se font pas en un jour, mais on assiste là depuis le 26 novembre 2020 et ses 250 millions de travailleurs en grève, aux étapes de la marche vers la révolution et ce pourra être des leçons pour tous.
INDE. 22.06.2021. LES PAYSANS AMÈNENT DE LA NOURRITURE POUR TENIR LE SIÈGE DE DEHI DURANT 6 ANS
« NOUS NE REVIENDRONS JAMAIS, SINON AVEC LA VICTOIRE »
Pour bien montrer leur détermination au pouvoir et à la population, d’immenses convois de tracteurs ont amené hier aux campements de Delhi de la nourriture pour tenir 6 ans.
Après avoir annoncé qu’ils bloqueraient les résidences des gouverneurs partout dans le pays, le 26 juin, aujourd’hui, le soulèvement paysan a annoncé une suite le 30 juin, en appelant ce jour-là les tribus indigènes du pays (100 millions d’habitants) à organiser une journée commune afin de les soutenir dans leurs revendications notamment sur leurs droits à la forêt que le pouvoir leur enlève petit à petit en les donnant aux groupes capitalistes qui la détruisent en l’exploitant où à l’armée qui y construit des camps pour surveiller la contestation des tribus. Et cela dans la plus grande des violences puisque par exemple les militaires ont tué récemment 4 indigènes à Selagar tandis que 18 étaient blessés et que 11 étaient déclarés disparus, dans des affrontements autour d’un camp construit dans une forêt de l’Etat du Chhattisgahr pour soit-disant lutter contre le terrorisme des naxalistes, cette guérilla paysanne qui dure depuis des décennies.
En attendant le 26 et 30 juin, les 20, 21 et 22 juin, les paysans ont bloqué dans l’Haryana comme ils l’avaient annoncé le 1er ministre, le ministre de l’Education et le responsable du BJP, ainsiqn eu d’autres leaders, s’affrontant aux policiers, brisant leurs barrages et bloquant les commissariats de police lorsque des paysans étaient arrêtés jusqu’à leur libération, ce qu’ils obtiennent maintenant systématiquement, ainsi à Ambala ou Panchkula mais aussi dans le Pendjab à Abohar.
Dans le même temps, des manifestations quotidiennes ont lieu un peu partout contre la hausse des prix de l’essence et des produits de première nécessité tandis qu’à la longue liste des luttes dans la sidérurgie ( à Durgapur par exemple le 21 juin) ou dans la Défense, les 17,18 et 19 juin, et les appels à leur amplification à la fin du mois contre les privatisations, s’est rajouté à la menace de grève illimitée des 1 millions d’employés de banque, celle d’entrer à son tour dans la lutte des ouvriers du pétrole et du gaz, et puis un premier appel à la lutte le 25 juin aux 1,3 millions d’employés des chemins de fer.
« TENEZ-VOUS PRÊTS AVEC VOS TRACTEURS » a déclaré hier Rakesh Tikait, un des leaders paysans les plus connus, ne parlant pas seulement des 26 et 30 juin, le temps est venu de faire faire ses faire ses valises au gouvernement.
(posts de Jacques Chastaing)
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