En temps de fascisation, le fascisme pour les nuls

Des rappels historiques et politiques pour déjouer les inversions de réalité

vendredi 20 décembre 2024

Parfois, les inversions de réalité, mensonges et déformations sont tellement énormes et nombreux qu’on ne sait plus quoi dire quand quelqu’un dit que la gauche est fasciste, ou que l’extrême-droite est socialiste.
Alors cet article rappelle quelques bases, faits historiques et évidences, ce qui peut aider à répliquer lors d’une de ces saillies lancée au café du coin ou lors du repas de noël.

Ce qui peut aussi aider à démystifier les "ni droite ni gauche" ou les carastibouilles énormes lâchées continuellement par l’extrême centre du tyran et de ses sbires.

« Chère Frustration, le fascisme est-il de gauche ? »

- « Chère Frustration, le fascisme est-il de gauche ? » - Chère Frustration est une rubrique créée pour permettre à nos lectrices et lecteurs de nous adresser des questions, des remarques ou des témoignages sur lesquelles elles ou ils souhaitent une réponse publique de notre part. Aujourd’hui, le comité de rédaction répond à Raziel qui nous demande des arguments factuels contre celles et ceux qui affirment que le fascisme proviendrait de la gauche.
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L’idée que le “fascisme serait de gauche” est un classique de la rhétorique centriste avec d’autres bêtises du type “les extrêmes se rejoignent” ou “dans national-socialisme il y a…Socialisme 😉 ;)”. L’objectif est grossier : rendre “la gauche” responsable de systèmes dont elle a été victime et contre lesquels elle a résisté, et évincer la responsabilité majeure de la bourgeoisie et de la droite dans l’avènement des régimes fascistes.

Toutefois, comme cette rhétorique revient souvent, en particulier sur les réseaux sociaux, nous allons essayer de la prendre au sérieux et d’y répondre.

Pour cela il nous faut d’abord définir la gauche (nous préciserons les caractéristiques clés du fascisme au cours du déroulé même), exercice peu aisé tant elle recouvre des courants extrêmement différents. Nous l’assimilerons donc ici plutôt au socialisme, qui dans sa définition la plus élémentaire est l’objectif d’une société sans classe, c’est-à-dire sans propriété privée des moyens de production (donc assez éloigné d’Olivier Faure hein…).

Avant toute considération théorique, il faut revenir à des faits historiques basiques qui permettent déjà de neutraliser l’idée que le “fascisme serait de gauche” : chronologiquement, la première cible du fascisme a été la gauche.

Cela est vrai que l’on prenne le fascisme dans un sens très restreint – qui ne compte que l’Italie fasciste (1922-1945) et l’Allemagne nazie (1933-1945) – ou dans un sens plus élargi, c’est-à-dire en intégrant les régimes autoritaires de droite, comme par exemple le Chili de Pinochet (1973-1990), l’Espagne franquiste (1939-1975), le régime des colonels en Grèce (1967-1974) ou encore le Portugal de Salazar (1933-1974).

Dans toutes ces expériences fascistes ou fascisantes, les premières victimes de ces régimes (encore une fois au sens chronologique) ont été les syndicalistes, le mouvement ouvrier, la gauche en général, et les militantes et militants communistes. Les fascistes ont systématiquement démantelé les organisations syndicales et les mouvements ouvriers pour les remplacer par des structures contrôlées par l’État. Cela s’est accompagné d’une propagande massive pour déshumaniser et diaboliser les militantes et militants de gauche, les accusant de diverses conspirations et les rendant responsables, avec d’autres groupes, des problèmes de la nation. Force est de constater que l’on retrouve d’ailleurs aujourd’hui de nombreux éléments de cette propagande qui cherche à lier gauche et islamisme (“islamo-gauchiste” qui vient remplacer le “judéo-bolchévique”), ou à parler “d’ennemi intérieur”, d’ “anti-France” (terme historiquement maurrassien et pétainiste repris désormais par la macronie).

L’objectif idéologique était clair : détruire la gauche, et ce dans toutes ces formes (socialisme, communisme, anarchisme etc.).
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Si la destruction des mouvements ouvriers, syndicaux et de gauche a été une priorité politique pour les régimes fascistes, c’est parce qu’elle était un moyen de consolider leur pouvoir en annihilant toute opposition populaire. Pour la classe dominante et la grande bourgeoisie, les dictatures fascistes ont paru un moindre mal par rapport à l’agitation révolutionnaire de gauche.
Bien sûr, d’autres groupes ont été des victimes importantes ou majoritaires des fascismes (minorités ethniques, colonisés, intellectuels, religieux, etc.), exemplairement dans le cas du nazisme avec le génocide des juifs d’Europe.
(...)
Y avait-il du “socialisme” dans le “national-socialisme” (nazisme) ?

L’autre point rhétorique qui est soulevé est le “socialisme” de “national-socialisme” (l’autre mot pour nazisme). Au-delà de la débilité de l’argument (il y a “démocratique” dans “République populaire démocratique de Corée”, le nom officiel de la Corée du Nord, sans que l’on puisse tout à fait associer l’idée démocratique au régime nord-coréen…), regardons-y de plus près.

Adolf Hitler et le NSDAP (le parti nazi) ont effectivement délibérément choisi le terme socialisme pour attirer les ouvriers et les classes populaires, qui étaient souvent affiliés à des partis de gauche (socialistes ou communistes). Cela leur permettait de concurrencer les mouvements ouvriers tout en élargissant leur base de soutien. Le mot socialisme résonnait positivement chez de nombreux travailleurs et travailleuses, car il était associé à la justice sociale et à l’opposition aux élites traditionnelles. En s’appuyant sur une rhétorique anti-élitiste, les nazis prétendaient défendre les « travailleurs allemands » contre les grandes entreprises (dans les faits, ils s’allièrent aux industriels).
Dans l’idéologie nazie, ce “socialisme” n’a rien à voir avec le marxisme ou le communisme (qualifiés de “bolchevisme juif”), il ne renvoie pas au socialisme de la société sans classe, mais à la “Communauté du peuple” (Volksgemeinschaft), une société dans laquelle les intérêts de classe ou individuels sont effacés au profit de l’Etat national et de la race, donc limitée aux “Aryens” et excluant les Juifs, les minorités et les opposants politiques. Ce “socialisme” qui n’a de socialisme que de nom était un “collectivisme racial” plutôt qu’un “collectivisme de classe”.
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Si les nazis ont parfois critiqué les grands capitalistes pour séduire les masses, ils ont, dans les faits, collaboré étroitement avec les élites économiques et industrielles (comme par exemple Krupp ou IG Farben), supprimé les droits des travailleurs et les syndicats indépendants et se sont opposés à toute redistribution de richesse et politiques égalitaires.
Par ailleurs, Hitler a rapidement “purgé” le parti nazi d’une sorte “d’aile gauche” (avec d’énormes guillemets…).
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l’antisémitisme contemporain se nourrit notamment d’une colère anti-élites. Il a été (et peut être encore) une stratégie de la classe dominante pour faire dévier la colère populaire à son encontre contre un groupe limité et vulnérable. Plutôt que de s’en prendre au capital, les antisémites vont chercher à créer une association entre capitalisme et Juifs. De cette manière, l’antisémitisme peut même parfois contaminer certaines personnes à gauche. L’obsession à l’encontre des capitalistes juifs (Rothschild, Soros…), pourtant très minoritaires, que l’on rencontre parfois, en fait partie. Il s’agit bien d’une imbécilité (et d’une imbécilité très dangereuse) en ce qu’elle remplace des rapports sociaux (le capital) par des essentialisations racistes. Si le capital a pu tolérer voire appuyer l’antisémitisme jusqu’à son versant génocidaire, c’est parce qu’il n’a jamais été menacé par l’antisémitisme.

Mais cette expression a aussi ses limites car l’antisémitisme est protéiforme, et l’antisémitisme de la bourgeoisie de droite, conservateur, chrétien, n’est pas autant emprunt du discours anti-élitiste ou anti-finance.

Par ailleurs, à partir du moment où un discours remplace l’analyse de classes par une analyse profondément raciste, il est légitime de considérer que, par définition, ce discours n’a plus rien de gauche ou de socialiste.
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La philosophe Hannah Arendt a proposé une réflexion très poussée sur la notion de totalitarisme, en particulier dans son ouvrage Les Origines du totalitarisme (1951) qui inclut le fascisme et le communisme (en particulier dans son versant stalinien).

Elle y voit en effet des caractéristiques communes comme par exemple la centralisation extrême du pouvoir, l’utilisation de la terreur, la prééminence de la propagande et de l’idéologie, la destruction des libertés individuelles ou la rupture avec les formes traditionnelles de gouvernement.
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Si le fascisme a une lecture de classes, ce n’est pas pour promouvoir la société sans classe mais au contraire le corporatisme, c’est-à-dire une soi-disant “réconciliation des classes” par une supervision et collaboration de l’Etat avec les grandes entreprises et la suppression des droits syndicaux.

D’une manière générale, toutes les caractéristiques fondamentales du fascisme – restriction totale des libertés, culte du chef, traditionalisme, négation de l’individu, supériorité masculine, nationalisme, impérialisme et volonté d’expansion territoriale – sont contraires à tout ce qui constitue la gauche, même dans ses définitions les moins ambitieuses.

Ce qui est propice au développement d’une pensée fasciste n’est pas tant “la gauche” que le “confusionnisme”, c’est-à-dire cette pensée qui se voudrait “ni de droite ni de gauche” (et qui est donc de droite) ou “et de gauche et de droite” (et donc de droite).

Ce qui existe donc c’est le confusionnisme, un supposé mélange entre idées de droite et de gauche, sans colonne vertébrale. Le soralisme (Egalité et Réconciliation) qui se prétend “gauche du travail” et “droite des valeurs” appartient, par exemple, à cette tendance. Alain Soral, affirmant par ailleurs avoir été membre du Parti communiste avant de rejoindre le Front national de Jean-Marie Le Pen. Mais tout cela repose sur des mensonges. Le soralisme ne ment pas sur son versant droite – patriarcat revendiqué, homophobie, transphobie, antisémitisme, négationnisme, etc – mais ment sur son versant “gauche du travail” puisque ne soutenant pas les luttes sociales, ni aucun type de socialisation des moyens de productions. Se revendiquer d’un lien avec les classes populaires, imaginaire ou non, ne suffit pas pour se qualifier “de gauche”.

On peut ajouter au confusionnisme la gauche sans lecture de classe, c’est-à-dire une gauche morale sans analyse matérialiste. Celle-ci finit souvent par analyser tout sous le prisme des “réseaux”, préfère parler de “ploutocratie”, de “castes”, “d’oligarchie”, plutôt que de bourgeoisie, de capital ou de patrons, accuse la “prostitution des élites” et la “corruption” plutôt que d’étudier froidement et rigoureusement le système de classes.
L’idée que ce serait une petite élite qui “pourrirait” un corps qui serait de base “sain”, c’est-à-dire une approche qui passe à côté du fait que les comportements antisociaux des capitalistes sont eux-mêmes des produits du capitalisme, qu’il n’y a pas une “finance internationale” qui viendrait saboter des économies nationales productives mais que cette finance est bel et bien l’outil et le produit des puissances capitalistes elles-mêmes, est propice à des débouchés antisémites ou fascisants.

D’une manière générale, lors des moments de fascisation – et nous en traversons un – ce sont des personnes de tout le champ politique qui s’extrême-droitisent. Des personnes qui se considèrent de gauche passant à l’extrême droite, comme par exemple Michel Onfray, sont de ce point de vue des symptômes. Des symptômes qui ne doivent pas faire oublier l’évidence, à savoir que l’essentiel des cadres de l’extrême droite viennent de la droite et de la bourgeoisie, et que ce qui est spectaculaire c’est avant tout la fascisation des centristes, Pierre Manent déclarant en toute décomplexion qu’il faut “réduire le nombre de Musulmans en Europe” en étant un exemple aussi parlant que consternant.

Ce n’est pas du socialisme que provient le fascisme, mais bien du capitalisme, voire de la démocratie libérale elle-même.

Le fascisme est l’une des formes les plus brutales du capitalisme pour résoudre ses contradictions. Si le fascisme diffère politiquement de la démocratie libérale, sur le plan du système de production, et ce malgré des formes plus poussées de contrôle étatique (mais le capitalisme ne se définit pas par le libre marché), celui-ci continue de se caractériser par la domination du capital et de la propriété privée, par l’extorsion de la plus-value issue du surtravail des travailleuses et des travailleurs ainsi que par l’hégémonie de la forme-marchandise. On a même pu voir cohabiter, comme dans le Chili de Pinochet qui a servi de laboratoire au néolibéralisme de Milton Friedman, des formes fascistes de pouvoir avec le libéralisme économique le plus débridé et le plus sauvage.

Quand la démocratie libérale paraît insuffisante à la bourgeoisie pour maintenir sereinement sa domination de classe, l’option fasciste lui semble un moindre mal ou un mal nécessaire.

En conclusion, l’idée que le fascisme puisse être associé à la gauche est une rhétorique fausse et manipulatrice. Les régimes fascistes ont d’abord ciblé et réprimé les mouvements de gauche, les syndicats, et les socialistes, afin de détruire toute forme de résistance populaire. Les exemples historiques de Mussolini, Hitler, Franco et d’autres régimes fascistes démontrent clairement que ces mouvements étaient avant tout de droite, anti-socialistes, et soutenus par les élites bourgeoises. Les références à un “socialisme” dans le fascisme, telles que dans le cas du nazisme, sont purement rhétoriques et servent à manipuler les masses tout en collaborant avec les puissances capitalistes. Le fascisme s’oppose fondamentalement aux idéaux socialistes, visant à écraser toute lutte de classe au profit d’un pouvoir totalitaire et nationaliste.
(...)
- Article complet : https://www.frustrationmagazine.fr/fascisme-gauche-chere-frustration/

- Exemples récents d’attaques de néo-fasciste en France :Maison de Mélenchon saccagée : le dernier épisode d’une longue série - C’est une petite maison, au bord d’une forêt du Loiret, que le chef de file des Insoumis Jean-Luc Mélenchon dit avoir achetée et retapée « il y a 26 ans ». Le 16 décembre, elle a été repérée et saccagée par des militants d’extrême droite. Dans la bâtisse, des graffitis de croix gammée, un autre indiquant « on ta trouver » (sic), « vive Marine » ou « nique les arabe » (sic).


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